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Le rock est-il mort?

Le rock a soixante ans. Les (jeunes) groupes à guitares ne font plus recette, tant dans les hit-parades qu’en haut des affiches des festivals. L’âge de la retraite ?

Journaliste aux services Culture et Médias Temps de lecture: 6 min

C’est une question qui se pose depuis (au moins) 1970 et la séparation des Beatles, mais qui revient de plus en plus régulièrement. Et aujourd’hui plus que jamais, à l’heure de la crise du disque, du zapping internet et du tout électronique. Et alors que les groupes à guitares sont de moins en moins nombreux à jouer en tête d’affiche des festivals. Le rock est-il mort ? Vaste question qui n’a en réalité jamais trouvé réponse. Et pour cause, car cette question en recèle une autre… C’est quoi, le rock ?

A question simple, réponse compliquée. Si l’on s’en tient à l’aspect technique, c’est un genre de musique caractérisé par « des mélodies simples et une rythmique appuyée qui est jouée et chantée, souvent à haut volume sonore, par un petit groupe de personnes avec des guitares électriques et une batterie ». On concédera que cette définition est peu concluante.

La vérité est que, comme l’indique l’Encyclopædia Britannica, « depuis la deuxième moitié du XXIe siècle, le rock est devenu le plus inclusif des genres musicaux (…) et par conséquent le plus difficile à définir. Pour répondre à la question “qu’est-ce que le rock ?”, on doit d’abord comprendre d’où il vient et ce qui l’a rendu possible ». Et l’article d’ajouter à bon escient : « Et pour comprendre sa signification culturelle, on doit comprendre comment le rock fonctionne, tant dans le cadre social que musical ».

Version blanche et hybride du RnB

Le rock naît aux Etats-Unis au milieu des années 50 et s’impose comme une version blanche et hybride du RnB, style en vogue chez les Noirs américains. Les pionniers comme Elvis Presley ou Buddy Holly y ajoutent des touches de folk et de country. Surtout, c’est une musique charnelle qui fonctionne à l’énergie et est dénuée de théorie. Dès le départ, le rock est donc un mélange de genres assez libre. Et il le restera. C’est ce qui lui permettra d’évoluer et de durer.

Une des caractéristiques du rock est également d’avoir su utiliser les avancées technologiques. Ainsi, durant les années 60, il tire profit, mieux qu’aucun autre genre, de l’amplification et de la distorsion, faisant de la guitare électrique son instrument de prédilection. Le rock innove. Et le rock se mélange facilement avec les autres styles. Tout peut devenir potentiellement rock. Ce qui crée rapidement des sous-genres, des hybrides d’hybrides, et ouvre de nouvelles pistes. Et c’est ainsi que la pierre continue de rouler…

A son éclosion, le rock, cette musique simple issue des bas-fonds de la société et jouée par des anonymes traçant leur route avec les moyens du bord, se positionne dans le coin opposé de la pop et de ses chansons innocentes et passe-partout, fabriquées en studio pour mettre en avant la personnalité de leurs interprètes.

Liberté, modernité, hédonisme

Le rock a un côté dangereux, interdit, désinhibé, évoque le sexe et autres tabous. Il est authentique et inspire la liberté, la modernité, l’hédonisme, la rébellion, l’individualisation et l’émancipation d’une jeunesse qui, jusque-là, était sous la coupe parentale et/ou sociétale.

Le rock est intimement lié à la jeunesse de l’époque. Il est cette jeunesse. Il exprime ses besoins, ses envies, ses ambitions. Le rock dit « Non ! » à l’ordre imposé, et affirme haut et fort sa personnalité. Il est la contre-culture.

Conséquence… Cette musique d’outsiders devient la plus populaire jamais commercialisée. Et c’est sur son incroyable succès que l’industrie du disque va se construire. C’est tout le paradoxe du rock et son incroyable destin : pour la première fois, un mouvement contre-culturel est devenu, de son vivant, la culture de masse.

« C’est fini tout ça… »

A soixante ans, le rock n’est plus une musique de jeunes.

Au niveau musical, les avancées sonores d’hier sont aujourd’hui dépassées. Les sons dominants et innovants sont électroniques et non plus électriques. Et ce n’est pas un hasard si ce sont les formations électroniques qui remplissent désormais les salles et clôturent les festivals.

Quant à son aspect social… La liberté, l’individualisation, la rébellion. « C’est fini tout ça… », lançait déjà Jack White en 2003. « Contre quoi peut-on bien se rebeller aujourd’hui ? Les impôts ? » C’est que le rock a gagné. La jeunesse des années 60 a gagné. Elle a atteint ses aspirations. Elle est libre, individuelle, moderne, hédoniste, désinhibée… Au point qu’aujourd’hui, la rébellion rock est récupérée, formatée et vendue comme un souvenir de musée. Dernier exemple en date : les cartes de crédit Sex Pistols lancées par la banque Virgin Money… Et pour ce qui en est des problèmes de la rue, seuls le hip-hop (pour d’aucuns un héritier du rock « comme symbole de résistance ») et quelques irréductibles punks restent la voix des sans-voix.

Ajoutez à cela le fait que l’industrie du disque construite autour du rock est en train de se transformer en profondeur. Et on pourrait enfoncer le dernier clou du cercueil, comme Robert Miklitsch, professeur de cultural studies à l’université de l’Ohio, en annonçant qu’« à l’ère de la reproduction digitale, le rock est devenu une commodité comme une autre, au mieux une forme dépolitisée d’amusement et, au pire, de la muzak pour vous divertir quand vous faites du shopping ».

Mais ce serait une erreur. Et faux. Le rock n’est pas mort, pour au moins deux raisons. D’abord, l’impact de son explosion sixties perdure, ainsi que les valeurs qui y sont attachées. Le « Fuck you I won’t do what you tell me ! » (« Va te faire foutre, je ne ferai pas ce que tu me dis ! ») de Rage Against The Machine. La liberté de dire « non ! », de vivre sa vie comme on l’entend, mais aussi de former un groupe sans avoir ni le sou, ni la technique, ni les bons contacts. Simplement se lancer. A l’énergie. Sans contraintes.

Et puis, le rock a cette capacité de se mélanger à d’autres musiques, de se fondre dans d’autres styles pour en créer d’autres. « Non, le rock n’est pas mort, affirmaient récemment les Black Keys. Il y a beaucoup de jeunes groupes qui ne se définissent pas comme des groupes de rock, mais qui, malgré eux, appartiennent à des sous-genres du rock. Même chez ceux qui font de la musique sur ordinateur. Chaque genre doit être capable de se renouveler en fonction des nouvelles générations. » Le rock ne se joue peut-être plus avec une guitare électrique, mais tous les artistes qui se démarquent de la culture dominante en découlent, d’une manière ou d’une autre.

 

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