«Régionaliser l’enseignement serait une opération hasardeuse»

La Fédération Wallonie-Bruxelles résistera-t-elle à la « montée en puissance du fait politique régional » ? Faut-il permettre « aux régions de disposer de l’ensemble des leviers politiques jugés indispensables à leur (re)déploiement social et économique ? » Faut-il, car ce serait bien là la principale conséquence, découpler l’enseignement bruxellois de l’enseignement wallon ? Au risque de voir émerger d’inévitables conséquences : statuts de profs différents, validation séparée des diplômes, horaires propres à chaque Région, référentiels de cours spécifiques, dédoublement de l’administration… ? Toutes ces questions figurent en clair ou en creux dans la carte blanche qu’a adressée au Soir une dizaine de personnalités du pilier chrétien francophone : les leaders du MOC (Mouvement ouvrier chrétien), de la CSC et des Mutualités chrétiennes. Alors qu’à gauche et à droite (PS, MR, CGSP…), les leaders se toisent sur ce délicat sujet, les signataires de la carte blanche martèlent le discours ambiant au centre : « Une régionalisation pure et simple des compétences de la Fédération s’apparente à une opération plus qu’hasardeuse sur le plan institutionnel et hautement risquée sur le plan social et budgétaire. » Solidarité et efficacité Certes, admettent les auteurs, une telle opération « aurait le mérite de simplifier et clarifier le paysage institutionnel francophone en supprimant un niveau de pouvoir qui reste assez mal connu des citoyens francophones ». L’argument, pour pertinent qu’il soit, ne tiendrait cependant pas la route face à trois enjeux essentiels. Sur le plan de la solidarité intra-francophone d’abord. Alors que « la dernière réforme de l’État, dont les Régions ont désormais à assumer l’extrême (et parfois inutile) complexité des effets, a déjà considérablement lézardé la solidarité interpersonnelle et l’égalité des droits entre citoyens, n’avons-nous pas d’autres priorités que de nous engager tête baissée dans une nouvelle aventure institutionnelle qui risque d’avoir pour conséquence de miner ce qui reste de lien de solidarité et d’unité entre francophones ? », demandent les signataires. Sur le plan de l’efficacité du système ensuite. L’enseignement obligatoire (« compétence majeure de la Fédération Wallonie-Bruxelles et cible prioritaire des visées régionalistes ») pêche certes par « ses manquements et dysfonctionnements » mais c’est oublier que le « Pacte pour un enseignement d’excellence » vise à corriger le tir. Un Pacte qui a dit combien « le système scolaire est miné au plus profond par des logiques de concurrence et de ségrégation qui se nourrissent de ses divisions et de ses clivages : entre caractères, entre réseaux, entre établissements, entre filières, entre options, entre niveaux, entre élèves… En quoi une division supplémentaire, de nature régionale, permettrait-elle l’émergence, urgente, d’une véritable institution éducative commune à tous et au service de l’émancipation intellectuelle et sociale de tous les jeunes, sans distinction d’aucune sorte ? », interrogent les leaders du MOC, de la CSC et des Mutualités chrétiennes. Clarifier les finalités politiques Sur le plan idéologique, enfin. Pour ces derniers, il « est évident que les diverses prises de position en faveur d’une régionalisation des compétences de la FWB sont guidées par un certain nombre de partis pris idéologiques. En cela, la position (néo)libérale semble assez claire : l’urgence doit être à la formation et à la mobilisation des compétences des individus au service de leur employabilité ». Dans ce cas de figure, « les missions émancipatrices et démocratiques de l’enseignement et de la culture se devraient d’être reléguées au second plan. Pour y arriver, une régionalisation de ces matières constitue une voie idéale ». Une voie que les signataires ne partagent pas, tout en omettant de signaler que le fait régional est tout autant soutenu par certains progressistes que par le courant néo-libéral. Au final, ils estiment que tout débat sur l’avenir institutionnel des compétences gérées par la Fédération « nécessite une clarification des finalités politiques poursuivies par les uns et les autres et des modèles de sociétés qui en découlent ». Ils nécessitent aussi, et surtout, de se laisser guider par l’interrogation suivante : « Quelle réelle plus-value, en termes d’égalité et d’émancipation, les citoyens francophones, wallons et bruxellois, peuvent-ils attendre d’une régionalisation des compétences gérées par la Fédération ? ». La réponse est en clair et en creux dans ce qui précède.

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