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Robert Guédiguian: «J’aimerais plus de représentation populaire au cinéma»

Présenté à Venise, « La villa », long-métrage de Robert Guédiguian, est un film poétique sur le temps qui passe. Et sur la vie.

Entretien - Journaliste au service Culture Temps de lecture: 7 min

Il a un accent chantonnant qui ne le quitte pas et une parole assurée. Apresque 64 ans, le Marseillais Robert Guédiguian fait partie de ces cinéastes à la fois artistes et politiques. « Je suis un peu un clown, mais dans le bon sens du terme. Il n’y a pas de sens péjoratif d’ailleurs. J’essaie de trouver des formules pour être un peu provocateur. » Dans La villa, il raconte ainsi l’histoire d’une fratrie en l’ancrant dans le monde et s’en sert pour parler de tout. Toujours en mêlant politique et poésie.

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Au départ, ce film découle d’une volonté de tourner dans un lieu. Quelle est votre histoire avec cette calanque ?

J’y vais depuis une quarantaine d’années je dirais, et je la connais très bien. Comme tous les gens qui font du cinéma, tout ce qui m’arrive au cours d’une journée peut devenir un film. Ça fait longtemps que je me dis que cet endroit est étonnant l’hiver : il ressemble à un théâtre. On dirait que les façades sont tenues par des épontilles et qu’il n’y a pas de maisons, que c’est vraiment un décor. Il y a la mer d’un côté, la colline de l’autre. C’est vraiment isolé, il n’y a personne. Comme un désert, un décor de western 30 ans après qu’un film a été tourné. On a le sentiment que ce n’est plus ce que ça a été et on se demande ce qui s’est passé. Le film est venu de là : j’ai appelé mon copain avec qui je travaille, Serge Valletti (son coscénariste, NDLR), en lui expliquant que je voulais faire un film uniquement dans cette calanque. Comme toujours, il faut qu’on y fasse entrer le monde entier et toutes les grandes questions du monde d’aujourd’hui, sinon ça n’a pas d’intérêt.

Qu’apporte le huis clos ?

Il a des défauts et des qualités. C’est presque un genre. Une manière d’être très proche de quelques personnages, d’aller à fond sur eux et au fond des choses. Le huis clos empêche aussi un peu l’action : c’est un film où il n’y a pas d’action. L’action, c’est le dialogue et l’évolution des personnages au cours de quelques jours. Il se passe des tas de choses mais ce ne sont pas des actions au sens où on l’entend d’ordinaire au cinéma.

Cette conception de l’action caractérise vos films… Comment fait-on pour capter l’attention du spectateur malgré tout ?

Je suis la preuve que c’est possible ! J’ai par exemple fait Marius et Jeannette dans une cour. C’est comme un studio. Il n’y a que quelques personnages. Et c’est exactement ça dans La villa. Si j’exagère, je pourrais dire que c’est la même chose que Le Promeneur du Champ-de-Mars. Il y a un vieux et un jeune qui parlent pendant deux heures. On a fait 650.000 entrées. Donc c’est possible : je prouve que le dialogue est une action. L’action, ce n’est pas que mettre le feu à une voiture, se foutre sur la gueule ou faire l’amour dans la rue. L’action, c’est aussi deux personnes qui se rencontrent et qui parlent de choses intéressantes, de manière intéressante, avec des beaux textes, des belles réparties bien construites. Les possibilités sont infinies et on va plus en profondeur, alors que l’action est un spectacle souvent gratuit.

Comment avez-vous trouvé cette villa ?

Je connais cette calanque par cœur et je connais tous ses habitants. La villa appartient à une amie à moi qui est décoratrice. Elle s’est évanouie lorsque je lui ai dit qu’on allait tout refaire dans sa maison. On a aussi repeint des façades dans la calanque. Pour moi, le décor naturel n’existe pas : nous avons changé des choses pour bâtir notre décor et raconter cette histoire. Avec cette villa, l’idée était qu’elle soit le monument qui symbolise le passé. Tous l’ont bâti de leurs mains.

Au centre du film, une famille. C’est une notion qui est centrale dans votre travail, que ce soit par les thèmes que vous abordez ou les gens avec qui vous travaillez…

La famille est la première forme de communauté. Après c’est l’immeuble, la rue, le village, la société, la religion, le parti… Donc c’est quasi inévitable. En plus, je voulais bâtir les destins de mes trois personnages principaux avec qui je travaille toujours (Ariane Ascaride, Jean-Pierre Daroussin, Gérard Meylan, NDLR). L’idée est peut-être venue du fait que je ne les avais jamais faits frères et sœurs. Je voulais travailler l’idée d’une fratrie qui ne s’était pas vue depuis longtemps mais comme dans toutes les communautés, quelque chose se remet en place. C’est parce qu’on a la même histoire, le même passé. Donc la même langue. Tout ça était très propice à la dramaturgie de ce film.

Le fait de toujours travailler avec le même noyau d’acteurs les implique plus dans le processus créatif ?

Non, la division du travail est tout à fait respectée entre nous. Bien sûr, comme nous nous voyons toute l’année que nous faisions des films ou pas, on pourrait dire que par capillarité, je suis un peu leur porte-parole. On est tous ensemble pour, je pense, des affinités idéologiques. On s’est rencontrés très tôt, on vient du même milieu, on est quasiment tous des fils de prolos  égarés dans le monde du cinéma, donc je crois qu’on est content de raconter ces histoires-là ensemble.

Vous vous sentez égaré dans le monde du cinéma ?

Je dis « égaré » entre guillemets. Je le dis avec humour, dans le sens où théoriquement, sociologiquement, on n’aurait pas dû être là. Les gens qui font du cinéma, du théâtre, de la peinture ne viennent pas du monde ouvrier et encore moins du monde paysan. C’est comme ça. Mais je pense que c’est très important d’y être et de parler de ces sujets-là car il n’y a que nous qui le faisons. J’aimerais qu’il y ait un peu plus de représentation populaire au sens noble du terme et un peu moins de films qui m’ennuient beaucoup, où c’est toujours une histoire entre une dentiste et un avocat aux Buttes-Chaumont. Tout ça m’indiffère un peu : j’ai envie de voir des films avec des paysans et des ouvriers. Il y a bien entendu de très beaux films sur la bourgeoisie. Mais je ne suis pas obligé de me taper toute l’année des films qui se passent dans la petite bourgeoisie. Ce qui représente 80 % du cinéma français.

Dans « La villa », vous parlez d’ailleurs du monde dans sa globalité en abordant la problématique des migrants…

On n’a pas le droit de faire un film aujourd’hui sans parler des réfugiés. Comme dans toutes les formules, on exagère et on est un peu provocateur mais c’est une des questions centrales de l’humanité entière. Comment en parler ? Je pense en « essentialisant », c’est-à-dire en se basant sur le principe même de ce qu’est un réfugié. C’est pour ça que ce sont des enfants, et pas des adultes. Qu’est-ce que je fais en tant qu’être humain face à des enfants qui tapent à ma porte, qui ont froid, faim et qui dorment dehors ? On n’a aucun choix, on les accueille. Ça ne se discute pas. Je ne veux aucune autre considération. Je ne voulais pas montrer autre chose dans une fiction. Bien sûr que dans la masse de gens qui arrivent, il ya des choses très contradictoires et des sales types qui sont des réfugiés. Mais c’est comme dans le monde entier. Je ne veux pas me poser ces questions, je veux aller au principe même. Voilà pourquoi il fallait des enfants et ne rien dire d’eux. Je ne les fais pas parler exprès.

La meilleure manière d’être politique, c’est d’être poétique ?

Je pense. Parce que ça va à l’essentiel. Dans l’art comme dans la science, il est nécessaire de procéder à des abstractions. Donc de dégager des éléments pour pouvoir les analyser. La poésie est un processus d’abstraction, qui sert à mieux comprendre le réel.

 

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