Dans les coulisses de la tournée de «Cabaret»

Qui a dit que les artistes ne sont pas du matin ? Alors qu’on arrive au rendez-vous, un samedi, à 9h, devant Le Public à Saint-Josse, nous voilà bonne dernière à monter dans le car qui doit emmener toute la troupe de Cabaret à Roubaix, dans le Nord de la France, pour y jouer le soir même. « Et encore, ce n’est rien, rétorque une comédienne quand on taquine la troupe sur sa ponctualité matinale. La semaine prochaine, il faudra être prêt à 4h du matin pour prendre l’avion et jouer à Brest ! » Nous étions donc toute disposée à revoir nos préjugés quand, un bon quart d’heure après avoir pris la route, il apparaît qu’il manque un comédien à l’appel. Demi-tour donc pour aller repêcher ce retardataire victime d’une panne de réveil. 10h. Après un arrêt à Gand pour cueillir les Flamands de la bande, le car repart dans le brouhaha feutré des conversations. Comédiens, danseurs, musiciens ou chef d’orchestre prennent des nouvelles des uns et des autres, partagent un petit-déjeuner, sortent une thermos d’infusion. Certains s’allongent pour un roupillon ou s’isolent pour lire une BD. D’autres bavardent joyeusement, à propos notamment des remèdes aux problèmes de santé quand on est patraque et que the show must go on. « Pour les chanteurs, il y a la cortisone, lance le compositeur Pascal Charpentier. Ça te sauve les cordes vocales le soir même mais ça te les bousille les jours d’après. » De toute façon, l’équipe carbure surtout à l’homéopathie : huiles essentielles, curcuma, gingembre. « Mais le meilleur remède c’est de monter sur scène, assure la comédienne Delphine Gardin. Avec l’adrénaline, tu oublies tous tes problèmes. » Dans certains cas pourtant, l’adrénaline ne suffit pas : lors de l’escale précédente à Lyon, la pianiste, victime d’une intoxication alimentaire, a dû être hospitalisée. « Ils se sont serré les coudes et sont montés sur scène sans moi mais tout en m’envoyant plein de messages de soutien, se souvient la pianiste. Il y a vraiment un lien spécial dans cette troupe : on s’est trouvé dès le départ. » D’ailleurs, certains se sont tellement bien trouvés qu’ils sont tombés amoureux sur la tournée de ce spectacle créé il y a 3 ans. « On compte déjà un bébé Cabaret, » ironise l’administratrice de la tournée Lou Kacen. 13h30. Après s’être rafraîchis à l’hôtel, les artistes se retrouvent au Colisée de Roubaix pour faire les raccords techniques, découvrir les loges, trouver le chemin de cour à jardin. Les techniciens, eux, sont arrivés deux jours plus tôt avec un semi-remorque de matériel pour installer le plateau tournant, les accessoires, le son, l’éclairage, les instruments. Tout est donc prêt pour prendre ses marques sur le plateau, régler les micros, se synchroniser avec les poursuites de lumière. Quant aux musiciens, pour faire chauffer leurs instruments, ils entonnent un « Que je t’aime » en hommage à Johnny qui vient de disparaître. Côté technique, il faut aussi régler le timing du rideau de chaîne, qui descend trois fois moins vite que d’habitude. Pronostic : il faudra lancer le top quatorze secondes plus tôt, afin d’être au poil pour le final, délicat, puisque les comédiens se dénudent sans trop se dévoiler justement grâce au mouvement du rideau. Après trois bonnes heures de raccord, chacun prend le chemin des loges pour se reposer. « J’ai besoin de pioncer, s’exclame le comédien Antoine Guillaume. Même si ce n’est que 20 minutes, ça me requinque ! Je mets des coussins par terre dans ma loge et je dors. » 18h. Le spectacle commence dans deux heures et chacun se prépare à sa manière, dans des loges à la hiérarchie militaire : le chef d’orchestre a la loge numéro un, avec canapé et télé, les rôles principaux ont les loges suivantes, chacun la leur, tandis que les rôles secondaires partagent des loges plus spartiates. Quant aux musiciens, ils héritent de la salle commune, la plus chaleureuse puisque c’est là que tous se réunissent pour un pique-nique à la bonne franquette. Dans les effluves de nans et de camembert, un artiste improvise la musique du Fantôme de l’opéra au piano tandis que les autres chantent en chœur. « On est tous mordus de comédie musicale, » sourit un danseur dans une scène qui pourrait être extraite de la série Fame , le côté américain et années 80 en moins. Dans les loges, l’ambiance est plus tranquille. Le chanteur Damien Locqueneux boit de la tisane à la sauge : « Un jour, j’ai eu une extinction de voix et la sauge m’a sauvé ! » D’autres s’étirent, vérifient leurs emails ou se maquillent. « Le maquillage est un moment calme qui permet de se recentrer, » nous confie Julie Delbart, pianiste et assistante à la direction musicale. Pas de répit par contre pour l’habilleuse qui emmène déjà certains costumes en coulisses. « Certains rôles ont cinq costumes, alors j’aide aux changements rapides. Et puis, il y a ceux qui perdent leurs affaires dans le noir, » sourit celle qui est arrivée la veille pour sortir les costumes des malles, les repasser, faire les retouches, dispatcher les accessoires dans les loges. 20h. Toujours pas de stress mais une agitation joyeuse alors que le spectacle va débuter. Même le régisseur plateau fait quelques pompes pour s’échauffer. Lumière de poche au poignet, histoire de voir ses gestes dans le noir, l’habilleuse aide les comédiennes en enfiler leurs bas ou faire leurs lacets. Pendant le spectacle, chacun s’occupe comme il peut pendant ses temps morts en coulisses. Ceux-ci font des claquettes, ceux-là réalisent des petites vidéos délirantes ou se mettent carrément à bouquiner sur un coin de table. Celle-ci attend, pour se moucher, que la musique redémarre, discrétion oblige. Il faut dire que les coulisses sont propices aux courants d’airs et que la troupe se balade le plus souvent en slip entre deux changements de costumes. Ils ont beau risquer un sérieux refroidissement, chacun est chaud ce soir-là pour poursuivre la soirée au bar du théâtre. Galvanisés par les applaudissements, les artistes semblent gonflés à bloc. « Après le spectacle, il faut toujours un temps de décompression, avoue la pianiste. On se retrouve pour prendre un verre. Parfois, les musiciens reprennent leurs instruments. C’est toute cette vie autour du spectacle qui fait le charme de la tournée. » Du 31/12 au 5/1 au Théâtre de Liège.

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