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Comment 15 sociétés belges ont été piégées par une arnaque publicitaire

La société CTEA a gagné près de 9 millions en vendant de la publicité dans des magazines fictifs. Avec la complicité de syndicats français. En Belgique, Electrabel et CMI ont été piégées.

Récit - Chef du service Enquêtes Temps de lecture: 5 min

Si les petits ruisseaux font les grandes rivières, les petites arnaques mènent également à de grandes escroqueries. Et ça, la société française CTEA (Centre technique d’éditions administratives) semble l’avoir bien compris.

Depuis son siège parisien, elle prétendait être spécialisée dans l’édition de magazines. Dans son catalogue, une grosse dizaine de revues aux noms pompeux, comme le Guide national des praticiens hospitaliers, le Magazine du nucléaire, ou la Revue technique des fournisseurs de la défense. La société CTEA affirmait éditer, imprimer et diffuser ces magazines. Et, pour se rémunérer, elle vendait des espaces publicitaires. Quelques commerciaux démarchaient donc des entreprises françaises, belges, anglaises et même roumaines pour acheter des encarts dans ces fameuses revues.

Ça, c’est pour la théorie.

Car, dans la pratique, les inspecteurs français de l’Office central pour la répression de la grande délinquance financière ont découvert qu’il ne s’agissait que d’une vaste arnaque. Car les revues n’étaient pas diffusées.« J’ai eu conscience dès le début de mon activité que certaines revues n’avaient jamais été diffusées et que cela constituait pour moi une arnaque, avoue le directeur technique de CTEA, lors d’un interrogatoire. Seuls les annonceurs (…) recevaient l’exemplaire justificatif prouvant que l’annonce était bien parue ». Les démarcheurs de CTEA affirmaient écouler jusqu’à 45.000 exemplaires des revues, mais la société n’en imprimait que 300… Juste assez pour distribuer une copie à chaque annonceur qui venait de se faire pigeonner.

Usurpation d’identité

Il faut reconnaître que les méthodes de démarchage étaient bien huilées. Des écoutes téléphoniques ont permis aux enquêteurs de découvrir les pratiques peu scrupuleuses du pseudo-éditeur. « Les interceptions des lignes téléphoniques de la société CTEA établissent que ces derniers usurpaient la qualité de membre du Ministère de la Défense (…) pour proposer des insertions publicitaires dans la Revue technique des Fournisseurs de la Défense », écrit par exemple le Parquet de Paris dans son réquisitoire. Pour d’autres revues, les démarcheurs usurpaient également « la qualité d’employés de la SNCF ou d’agents de l‘APHP (les hôpitaux de Paris, NDLR) lorsqu’ils proposaient la vente d’encarts dans les revues appelées SNCF, Répertoire hospitalier et Guide national des praticiens hospitaliers », ajoute le Parquet.

Dans cette affaire, treize personnes ont été renvoyées devant le tribunal correctionnel de Paris pour « escroquerie en bande organisée ». Dont les principaux protagonistes Jean et Jacques Marouani, père et le fils à la barre de CTEA (leurs avocats n’ont pas répondu à nos sollicitations). L’arnaque a débuté en janvier 2002, date de la création de CTEA, et a pris fin le 26 mars 2008 (jour où la police a débarqué dans la société en coffrant tout le monde). Le procès se tiendra du 17 au 25 janvier prochain.

Une complicité syndicale

Vous vous demandez qui fournissait le contenu rédactionnel à ces magazines bidons, qui devaient tout de même être tirés à 300 exemplaires. La réponse est simple : on demandait au directeur technique de faire de jolies revues « alimentées d’articles qu’il pompait sur internet », écrit le Parquet.

Mais la ruse ne s’arrête pas là. Pour charmer les potentiels annonceurs, CTEA s’appuyait carrément sur le soutien de responsables syndicaux français. Ces syndicalistes signaient une lettre d’accréditation crédibilisant la revue. Du style : « nous vous confirmons que nous éditons depuis de nombreuses années la revue [X], largement diffusée auprès de l’ensemble de nos services ». En échange, « les syndicats perçoivent une subvention annuelle d’environ 5.000 euros », écrit la police dans son rapport d’enquête.

« Il faut être franc, notre syndicat n’avait aucune source de financement. Cette subvention nous permettait de fonctionner », reconnaît un ancien responsable du SNUT, un petit syndicat du Ministère de la Défense acheté par CTEA. Les différents responsables syndicaux interrogés lors de l’enquête ont d’ailleurs confirmé que ces revues n’étaient pas distribuées dans leurs rangs, car elles ne représentaient « aucun intérêt ». Et avoir simplement signé la lettre d’accréditation pour obtenir le chèque de 5.000 euros. « Pour les syndicats et associations, ces revues n’étaient qu’un prête-nom afin de percevoir des subventions », résume le directeur technique de CTEA. Interrogé par la police, Jean Marouani raconte comment il s’est mis certains syndicats en poche. En « les amenant souvent dans d’excellents restaurants et leur offrant à tous, chaque année pour Noël, des caissettes d’excellents vins de grande qualité, en j’en passe ».

Une arnaque à 6 zéros

Parmi les sociétés piégées, Alcatel France, qui a payé 27.388 euros d’encarts publicitaires dans différentes revues. Le géant pharmaceutique Pfizer, qui a lâché 28.528 euros. Ou encore les laboratoires Pierre Fabre, qui ont versé plus de 34.000 euros de placements bidons. Le Soir a pu consulter les extraits de compte de CTEA pour les années 2006 et 2007. Et il y apparaît que 15 sociétés belges sont également tombées dans le panneau (publicitaire), dont deux gros poissons. Suez-Tractebel S.A. (devenue International Power), filiale d’Engie Electrabel. A au moins deux reprises, la société a versé plus de 5.000 euros à CTEA. Même constat pour la société CMI, dans le secteur de la défense. Pour un montant total de 4.800 euros. Contactées, ces deux sociétés n’ont pas souhaité commenter l’information.

Ces montants semblent anecdotiques. Mais entre juillet 2003 et décembre 2007, CTEA a réalisé un chiffre d’affaires de près de 9 millions d’euros. Dont à peine 3 % ont été utilisés pour des frais d’impression.

 

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2 Commentaires

  • Posté par Evrard Jean, samedi 6 janvier 2018, 2:15

    Tiens, ça rappelle drôlement le système mis en place naguère par des démarcheurs de policiers et autres pompiers nécessiteux qui vendaient des publicités factices pour leurs revues qui n'étaient édités qu'à concurrence du nombre de gogos qui s'étaient laissés prendre...

  • Posté par Bigdeli Faramarz, vendredi 5 janvier 2018, 11:12

    Ce genre d’arnaque existe depuis longtemps. Des sois disant membres de la Police, Pompier, Ministère de finance, etc.. avec une copie des revues intitulées « les amis de la Police » etc. contactaient les particulier et les sociétés pour vendre des espaces publicitaires ou juste pour indiquer qu’un tel les soutenait. L’arnaque en France est juste en plus grande échelle.

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