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Charlie Hebdo, 3 ans après: la liberté coûte cher

Trois ans après les attentats djihadistes, le journal satirique tire la sonnette d’alarme sur une République toujours en berne. L’état d’alerte temporaire est devenu permanent. La peur et les menaces sont devenues quotidiennes. La protection de la rédaction est financièrement à la charge du journal.

Récit - Journaliste au service Culture Temps de lecture: 5 min

Trois ans après la tuerie de Charlie Hebdo, qui fit 12 morts et marqua le début d’une vague d’attentats terroristes en Europe, la rédaction de l’hebdomadaire satirique a sorti cette semaine un numéro spécial, qui tire la sonnette d’alarme sur la situation psychologique et économique qui touche le journal et ses survivants.

En couverture, recto-verso, un djihadiste face à un membre de Charlie. L’un et l’autre sont séparés pas la porte d’entrée de la rédaction de Charlie Hebdo. Le terroriste est en liberté. Le dessinateur verrouillé à l’intérieur du bunker. Commentaire du dessinateur : « Le calendrier de Daech ? On a déjà donné. »

« La situation ne s’est pas améliorée, écrit Riss, directeur de la rédaction, dans son édito. Au contraire. Ce qui devait être temporaire est devenu permanent. »

Le gâchis est immense, accuse la rédaction. Qui fait une comparaison cruelle. Au lendemain des attentats djihadistes du 7 janvier 2015, l’union nationale s’était concrétisée par une manifestation monstre, trois millions de personnes dans la rue, un soutien massif à Charlie Hebdo, dont le numéro du 14 janvier fut vendu à sept millions d’exemplaires. Un consensus qui tranche avec l’isolement actuel du journal.

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La liberté d’expression a un prix, écrit le caricaturiste. Pour exister et surtout pour empêcher d’autres attentats, Charlie Hebdo est aujourd’hui obligé de recourir à deux types de protections. La première concerne les locaux du journal, assurée par une société privée : entre 1 et 1,5 million d’euros par an, « entièrement à la charge du journal ». Un prix exorbitant, qui contraint Charlie Hebdo à vendre au moins « au moins 15.000 exemplaires par semaine, soit 800.000 par an », pour payer uniquement la sécurisation de locaux.

La liberté est devenue un produit de luxe

Certes, le journal satirique dispose d’une trésorerie importante, depuis les ventes historiques de janvier 2015. Mais, interroge Riss, « qu’arrivera-t-il à Charlie Hebdo le jour où ces réserves seront épuisées, après avoir été dépensées pour la protection des locaux ? » Et : « Est -il normal pour un journal d’un pays démocratique que plus d’un exemplaire sur deux vendus en kiosque finance la sécurité des locaux et des journalistes qui y travaillent ? » Riss, découragé, conclut : « Cette liberté, vitale et indissociable de notre démocratie, est en train de devenir un produit de luxe, comme les voitures de sport ou les rivières de diamants de la place Vendôme, et dont seuls les médias fortunés pourront jouir à l’avenir. »

La seconde protection touche la sécurité de certains membres de l’équipe, escortés en permanence et où qu’ils aillent (au restaurant, dans le train, à leur domicile…) par le Service de la protection de la police nationale.

Dans son numéro de début janvier, un dossier de trois pages détaille le vécu de la rédaction depuis trois ans. Le constat est digne d’un reportage de guerre. La rédaction vit dans un bunker. Ses journalistes ne font plus un pas sans escorte. Les menaces sont permanentes, émanant la plupart du temps des réseaux sociaux. Un jour, raconte Fabrice Nicolino, « à la suite d’un dessin qui n’avait pas plu dans la lointaine Russie, l’un des nôtres a payé le prix fort. Des petites crapules poutiniennes ont publié sur la Toile son vrai nom, son adresse en Bourgogne, le plan pour arriver chez lui, le nom de ses voisins ».

La peur

Et puis, il y a la peur viscérale qui saisit chacun d’entre eux, dans les moments les plus divers et parfois anodins du quotidien. Avec de temps à autre des incidents, des montées d’angoisse fulgurantes… et des tas d’anecdotes rocambolesques. Comme ce jour d’été où le frère d’un membre de Charlie déposa un petit paquet cadeau sur le pas de son domicile. La police arriva illico sur les lieux, pour faire exploser le paquet. « Quand je suis arrivé, raconte le Charlie, ma porte était défoncée, et tout le palier, jusqu’au plafond, était rouge cerise. C’est normal, car mon frère m’avait apporté des cerises à peine cueillies. » Devant ce spectacle surréaliste, un policier lâchera : « Je n’ai jamais vu un truc pareil en trente-cinq ans de carrière. »

« Nous pleurons notre République défunte »

Le numéro anniversaire de Charlie profite de ce constat très amer pour s’adresser au président de la République. « Un territoire de Paris, capitale d’un pays libre, vit en état de siège, comme s’il était possible, admissible, supportable qu’un journal subisse constamment la peur d’un nouvel attentat (…) Monsieur le président, est-il bien juste que nous soyons contraints d’acheter ainsi notre vie en payant une police privée ? Et, ce faisant, de privatiser notre liberté et notre sécurité ? »

A ceux d’entre leurs détracteurs qui les traitent de mercenaires, les membres de Charlie apportent cette réponse, qu’ils transmettent à Emmanuel Macron : « Pas de malentendu, Monsieur le président. Nous ne pleurons pas nos ducats et nos picaillons. Nous pleurons notre République défunte, incapable de parler haut et clair pour que les principes simples de la liberté d’expression soient respectés en tout point de notre pays. »

 

Comment Jérémy Ferrari est devenu le premier humoriste post-attentats

Fin 2015, Jérémy Ferrari termine l’écriture de son spectacle quand surviennent les attentats du Bataclan et des terrasses parisiennes. Il décide de tout changer et réécrit le one man show en deux mois.

Récit - Journaliste au service Culture Temps de lecture: 3 min

On peut dire de lui qu’il est le premier humoriste post-attentats djihadistes alors que Charlie Hebdo commémore les trois ans de l’attentat qui a décimé sa rédaction. En 2015, Jérémy Ferrari finissait la préparation d’un nouveau one man show, centré sur la géopolitique et les tensions qui menaçaient alors le monde arabe. Il y travaillait depuis 2013 et s’apprêtait à le monter en janvier 2016.

La genèse de cette création ? « Quand il y a eu le printemps arabe, et notamment grâce à internet, j’ai senti que le monde bougeait. Il y avait un vent de liberté. Et quand il y a de la révolution dans l’air, on sait bien que les problèmes sont là, que les extrémismes se réveillent, que les guerres ne sont pas loin. J’ai senti qu’il fallait faire quelque chose avec ce qui se passait. Comme je ne suis pas allé à l’école, je suis allé voir un professeur de géopolitique. J’ai repris avec lui des bases de géographie, d’histoire. On a démarré à zéro. Et petit à petit, on a creusé les sujets qui m’intéressaient. »

Vends deux pièces à Beyrouth, le spectacle qu’il tourne depuis deux ans, était finalisé en octobre 2015. C’est alors qu’il y eut les attentats du Bataclan et des terrasses parisiennes... qui ringardisèrent d’un coup le propos du spectacle prévu. Ferrari prit alors un risque insensé : tout changer. Et commencer le spectacle par une alerte à l’attentat. Le mois passé, l’artiste nous rappelait les conditions très particulières de sa création, subitement dépassée par les événements. « J’ étais très emmerdé. Le spectacle était écrit depuis un mois ou deux. Je ne pouvais pas ne pas parler de ce qui venait de se passer. Problème : comment en parler ? »

Aller le plus loin possible

Durant les semaines qui précédèrent la première, c’est peu dire que Ferrari devint un homme sous influence. « Mon entourage m’encourageait. Mais beaucoup de gens me disaient que j’étais complètement fou, que c’était trop violent, qu’il fallait y mettre de la douceur. C’était impossible ! Finalement, je me suis dit que le seul moyen, c’était d’y aller à fond. Dans l’humour provocateur, si vous êtes dans la demi-mesure, ça ne marche pas. Plus vous allez loin, plus ça devient absurde... et plus on finit par s’éloigner de la réalité. » Il n’empêche : la mise en route du one man show fut extrêmement risquée. « La première phrase du spectacle, c’était  : “en cas d’attaque terroriste...” Je ne vous cache pas que lors de la première, juste avant de rentrer en scène, lorsque je me disais “dans cinq secondes, je vais mimer les victimes en train de se faire tirer dessus”, je n’étais pas très à l’aise. » Le risque fut récompensé. Deux ans après sa première, Jérémy Ferrari tourne encore ce spectacle, qui n’a jamais cessé de faire salle comble.

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