Le décumul wallon pourrait être postposé de six mois

Services du greffe et présidence, collaborateurs parlementaires et bien sûr élus wallons : l’inquiétude atteint son paroxysme à Namur. L’impact des résultats des élections communales du 14 octobre devrait avoir un effet dévastateur sur le parlement de Wallonie. En cause : le décumul. L’échéance approche. La panique n’est pas loin. 1 L’ampleur du problème Un rapide calcul permet d’affirmer que 60 députés sur 75 devront effectuer un choix entre leur mandat de parlementaire et une fonction exécutive locale (bourgmestre, échevin ou président de CPAS), lors de l’installation des conseils communaux en décembre prochain. Les élus Ecolo (4), PTB (2) ainsi que l’indépendant Puget ne sont pas concernés par les questions de cumul. L’obstacle se présente donc devant 90 % des députés, à des degrés divers cependant. Une précaution nécessaire. L’ampleur réelle du grand chambardement ne peut pas être estimée avec précision. Elle est tributaire des résultats électoraux du 14 octobre. Mais il n’est pas question pour autant de politique-fiction : les services du parlement ont alerté officiellement les représentants des partis de la gravité potentielle du scénario qui se dessine. Qui osera défendre l’idée d’une remise en cause partielle du décret wallon sur le décumul des mandats ? 2 Le décret En 2010, la majorité PS-CDH-Ecolo a accouché d’un décret qui doit limiter le cumul des mandats des députés. La Wallonie jouait alors un rôle précurseur. La législation organisait une phase transitoire : jusqu’aux élections communales de 2018, les députés-bourgmestres (ou échevins…) conserveraient leurs deux mandats, mais devraient se déclarer « empêchés » pour un d’entre eux. A ce jour, on dénombre au parlement wallon 31 députés qui ont choisi d’exercer leur mandat parlementaire et 7 qui ont opté pour leur mandat local. Au-delà de cette échéance de 2018, se déclarer empêché ne suffira plus. Chacun devra renoncer à un de ses deux mandats. Autant dire : démissionner du parlement ou du collège communal afin de répondre au prescrit du décret jusqu’aux élections régionales prévues en mai 2019. Entre ces deux échéances électorales, le personnel politique du sud du pays va donc traverser une « zone grise » inédite : peser le pour et le contre, écrire des scénarios hypothétiques, choisir une carrière… Ultérieurement, la philosophie générale du décret de 2010 devrait enfin donner sa pleine mesure : des élus locaux d’un côté, des élus régionaux de l’autre. A quelques exceptions près toutefois… La législation wallonne octroie en effet une sorte de « droit de cumul » à certains députés, et cela ne changera pas : par parti, 25 % des élus sont potentiellement dans le cas, ceux qui ont réalisé (ou qui réaliseront en 2019) le meilleur taux de pénétration. De l’eau politique a coulé sous les ponts depuis 2014. On ne dénombre plus que dix élus bénéficiant de ce privilège : Paul Furlan, Nicolas Martin, Christophe Collignon, Jean-Charles Luperto, Pierre-Yves Dermagne et Christine Poulin au PS, Josy Arens, Dimitri Fourny et Maxime Prévot au CDH et enfin Jacqueline Galant au MR. D’autres bénéficiaires ont pris d’autres voies : Paul Magnette (PS) et Hervé Jamar (MR). Des derniers sont devenus ministres : Rudy Demotte (au PS), François Bellot, Willy Borsus, Pierre-Yves Jeholet et Jean-Luc Crucke (au MR). Ceux-ci sont concernés par les règles sur le cumul applicables aux membres d’un gouvernement. Ils resteront « empêchés » dans leurs communes, au moins jusqu’aux prochaines élections régionales, qui redistribueront les cartes pour eux aussi. 3 Les difficultés concrètes Mettons-nous à la place d’un député X aujourd’hui bourgmestre empêché dans sa commune. Premier souci : quelle attitude adopter en vue du scrutin communal ? Briguer à nouveau le maïorat ou miser sur une carrière à Namur, qui suppose d’être réélu en mai 2019 ? La socialiste Christie Morreale a par exemple annoncé qu’elle ne serait pas candidate bourgmestre à Esneux, pour privilégier son mandat parlementaire. Imaginons toutefois que notre élu cartonne lors des communales où il s’est présenté malgré tout. Son résultat lui permet de revendiquer l’écharpe de bourgmestre. C’est le deuxième souci. Première option, radicale : il peut démissionner dans la foulée de son siège de député et le voilà parti pour six années de mandat local. Seconde option : il renonce à la maison communale et choisit le parlement wallon, en croisant les doigts puisqu’il devra convaincre les électeurs de le renvoyer à Namur en mai 2019. Sacré risque à courir : le renoncement au maïorat est sans retour, il n’autorise pas de deuxième chance en cas d’échec lors des régionales. L’alternative concernera quelques figures majeures de l’assemblée : le président André Antoine (CDH, député-bourgmestre empêché de Perwez), Dimitri Legasse (PS, député-bourgmestre empêché de Rebecq), Philippe Dodrimont (MR, député-bourgmestre empêché d’Aywaille)… Ce dernier a déjà fait le choix de la Région, il ne sera pas tête de liste en 2018. A noter que le scénario est quelque peu différent pour les échevins ou les présidents de CPAS qui ne sont pas désignés en raison de leur score électoral, à l’inverse du bourgmestre. Un député-échevin pourrait donc siéger au parlement de décembre 2018 à juin 2019 en restant simple conseiller communal, puis espérer que la majorité locale à laquelle il appartient lui aura réservé la petite place promise au collège. Possible, mais politiquement compliqué : il s’agira d’être sûr de ses amis… 4 On cherche suppléants Concentrons-nous cette fois sur les députés actuels qui feront le choix d’un destin communal au seuil du prochain hiver. A Frameries, Jean-Marc Dupont (PS) a déjà averti qu’il en irait ainsi pour lui. Dans le même arrondissement, Nicolas Martin (qui peut cumuler toutefois) et Joëlle Kapompole pourraient se retrouver au centre d’un jeu local qui s’annonce embrouillé. Dans le Luxembourg, Philippe Courard (PS) mais aussi Yves Evrard (MR) entretiennent normalement des ambitions locales. Idem pour Bruno Lefebvre (PS) à Chièvres ou pour Mathilde Vandorpe (CDH) à Mouscron. Les régionales de 2014 ont engendré des suppléants. Leur heure est peut-être venue. Mais rien n’est simple : très souvent, ces réservistes sont eux-mêmes des élus locaux bien installés qui renâcleront à abandonner la proie (un mandat local de six ans) pour l’ombre (un siège parlementaire à confirmer en 2019). Un cas parmi d’autres : dans les rangs PS, Muriel Targnion serait sollicitée pour remplacer Véronique Bonni si cette dernière devient bourgmestre de Dison. Or la Verviétoise est désormais à la tête de Verviers et ne compte pas rempiler à Namur. 5 Un parlement potentiellement affaibli Un fin connaisseur de la situation politique régionale résume en une formule la situation qui s’annonce : « Connaissez-vous un seul élu qui renoncerait à être bourgmestre de sa commune pendant six ans pour le bonheur tout relatif d’être député wallon durant six mois ? » Pour l’assemblée de Namur, le scénario du pire est le suivant : un parlement incomplet dès décembre prochain parce que des élus choisiraient leurs communes et que les suppléants ne boucheraient pas tous les trous. Et même si les bancs parlementaires font le plein, ils risquent d’accueillir de nombreux « petits nouveaux », à six mois des élections. « Une ineptie totale », selon un de nos interlocuteurs.

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