Leur plus grand défi à 9 mois des Jeux de Rio

Cela fait un quart de siècle, maintenant, que l’île de Lanzarote est devenue la seconde résidence des athlètes olympiques belges. C’est là, sous le soleil des Canaries, que chaque année, à la même époque, ils viennent trouver refuge pour reprendre l’entraînement ou le peaufiner, pour faire connaissance, échanger leurs impressions et renforcer l’esprit d’équipe. Tous les quatre ans, il y a un toutefois un stage plus important que les autres, celui qui précède de quelques mois les Jeux olympiques pour lesquels ils bossent sang et eau sans regarder à un sacrifice. C’est là que commence vraiment à se matérialiser le grand moment de l’été suivant. Tous ont des ambitions similaires mais chacun a un défi particulier à relever. Nous avons sondé six d’entre eux. Eclairant. Charline Van Snick (judo) : gagner son combat contre la balance Ce n’est pas sa meilleure amie, tant s’en faut. Pourtant, Charline Van Snick est quotidiennement en contact avec sa balance. Et même deux fois plutôt qu’une. « Je me pèse tous les jours, matin et soir, avoue-t-elle. Cela fait partie de mon job. Il faut observer une rigueur constante. Bon, ici, je fais un peu moins attention car je suis en plein dans un gros bloc d’entraînement. Mais dès qu’il sera terminé, il faudra à nouveau que je sois très attentive. » Plus les années passent, plus la lutte contre les kilos excessifs s’intensifie pour la judoka liégeoise, qui « tire » dans la plus petite des catégories, celle des moins de 48 kg, où elle sera l’une des favorites au tournoi olympique de Rio, quatre ans après avoir décroché le bronze à Londres. Et les derniers jours avant une compétition, ceux où il faut se déshydrater pour arriver sous ce poids fatidique, sont de plus en plus pénibles. Une évolution malheureusement normale et naturelle avec l’âge. « Je suis plus lourde qu’auparavant, indique la championne d’Europe en titre, qui a aussi pris du volume musculaire. Je sens que mon corps a changé, un effet de mon arrêt forcé d’un an (NDLR : 10 mois en fait entre octobre 2013 et juillet 2014). Il me faut désormais un mois pour atteindre mon poids de compétition. » Du coup, elle limite volontairement ses sorties – ce qui l’arrange également pour ne pas trop se dévoiler aux yeux de ses rivales – et se contente des tournois qui distribuent le plus de points pour pouvoir se maintenir dans le top 8 mondial (elle est actuellement 5e) et garder un statut de tête de série. Une succession effrénée de régimes serait forcément nocive et épuiserait son organisme. « J’ai fait une exception en participant au Tournoi de Paris à la mi-octobre, raconte-t-elle. Je voulais absolument effacer ma déception des Mondiaux d’Astana ». Des Mondiaux où elle s’était fait sortir au deuxième tour par la future championne du monde, l’Argentine Pareto. Pour rendre les choses moins pénibles, Charline Van Snick applique, depuis cette année, un nouveau régime alimentaire mis au point par une biologiste d’Orléans, Bénédicte Le Panse. « L’idée, c’est de donner exactement au corps ce dont il a besoin, ni plus ni moins, pour être constamment en forme et ne plus subir de coup de pompe. On travaille beaucoup avec des indices glycémiques. Le protocole impose aussi de manger à des heures bien précises. C’est nettement moins épuisant qu’un régime basé sur un nombre de calories à ne pas dépasser. Je peux enchaîner plus facilement. » Elle affirme ne pas se priver de grand-chose parce qu’elle souhaite absolument préserver la dimension « plaisir » de son alimentation. « J’aime préparer moi-même mes plats, cela ne me stresse pas du tout. Savoir ce que je peux manger fait aussi partie de mon métier. » Deux œufs et du pain complet au petit-déjeuner, un fruit après chaque entraînement en guise de collation, des pâtes, du riz ou du quinoa avec des légumes le midi, des féculents, du poisson, de la viande blanche en soirée – « Mais je ne mange jamais après 20 heures ! » – sont quelques éléments des menus qu’elle s’offre chaque jour. Une fois, cette saison, lors du Grand Prix de Samsun, en Turquie, elle a vécu ce qu’aucun judoka ne souhaite vivre : elle n’a pas réussi à faire le poids. « Cela s’est passé à l’époque où je venais de rentrer dans mon nouveau protocole alimentaire ; j’ai manqué de temps. » Une mésaventure qui ne devrait plus se reproduire après les Jeux. Une fois ceux-ci terminés, elle devrait « monter » en moins de 52 kg. « Ma décision n’est pas encore définitive, mais j’y pense sérieusement. » Jonathan et Kevin Borlée (athlétisme) : faire fi de la concurrence En 2015, ils ont respectivement bouclé la saison avec le 3e et le 4e chrono de leur carrière, prouvant ainsi, à 27 ans, qu’ils étaient loin d’être finis. Pourtant, Jonathan (44.67) et Kevin Borlée (44.74) n’ont pas forcément bondi de joie quand ils l’ont réalisé. Car pour la première fois, ni l’un ni l’autre n’a réussi à atteindre la finale du 400 m du grand championnat de l’été, en l’occurrence les Mondiaux de Pékin. Un coup d’arrêt qui les a surtout meurtris mentalement. La faute à qui ? A une concurrence devenue subitement folle en cette année pré-olympique. Les chiffres ci-contre parlent d’eux-mêmes. Jamais, depuis leur arrivée dans les hautes sphères du 400 m mondial, l’année des Jeux de Pékin, les « twins » n’avaient eu autant d’« avions » à côté d’eux. Cinq hommes sous les 44 secondes et 33 sous les 45 secondes, soit plus, ou tout près, du double de l’année précédente, c’est du jamais vu. Avec un chrono quasi identique en 2011, une année avant les Jeux de Londres, ils avaient fini 8e (Kevin) et 9e (Jonathan) mondial ; quatre ans plus tard, ils ne sont plus que 21e et 24e. A l’heure où l’athlétisme mondial est frappé par le scandale, cela pose forcément question. « Tout en se demandant ce qui se passe, on essaie pourtant de rester sereins, affirme Kevin. Quand on fait ce que l’on a à faire et qu’on réalise les objectifs que l’on s’est fixé, il n’y a pas vraiment d’autre alternative. Mais j’espère malgré tout que l’IAAF va envoyer un message fort pour que ceux qui vont trop loin se calment un peu… » Les Bruxellois le disent en chœur : s’ils ont eu du mal à digérer les performances de leurs adversaires, leur contrôle sur celles-ci est impossible. Autant, dès lors, se concentrer sur leurs propres qualités pour tenter de les améliorer et voir où cela les mènera, ce qui sera déjà une tâche suffisamment ardue. « L’avantage, c’est que nous avons établi une bonne base en 2015, explique Jonathan. Cela reste une très bonne année. Cela veut dire qu’il faudra simplement ajuster quelques trucs au niveau des dates où on entamera certains blocs d’entraînement. La seule grande difficulté, ce sera de trouver des courses ; à part en Diamond League, où on risque de ne pas pouvoir rentrer, il y a généralement très peu de 400 m de haut niveau au calendrier. Même si on en a sans doute moins besoin qu’avant, c’est un peu gênant. » A Rio, les jumeaux Borlée disputeront leurs troisièmes Jeux olympiques consécutifs, un avantage non négligeable par rapport à certains de leurs concurrents plus jeunes qui ont émergé cette année. « On espère, effectivement, que notre expérience va jouer », dit Kevin. Tous deux sont persuadés que, malgré les chronos de folie qu’ils ont vus cet été, ils pourraient refaire le coup de Londres et atteindre tous les deux la finale du 400 m. « Si nous sommes à notre meilleur niveau, on peut y arriver. Etre à 100 % aux Jeux est notre premier objectif. Serons-nous capables de battre notre record personnel ? C’est pour cela que l’on travaille. Aux Jeux, beaucoup de facteurs entrent en ligne de compte le jour J. Il ne faut pas se cloîtrer dans l’idée d’un chrono bien précis. Aux JO de Londres, où la finale avait été assez rapide, nous étions sortis des demis avec des chronos moins rapides qu’aux Mondiaux de Pékin » (NDLR : 44.84 pour Kevin, 44.99 pour Jonathan) Une fois que Rio sera derrière eux, en 2017, ils sont bien décidés à lever le pied, bien plus qu’en 2013. « On en aura besoin pour souffler physiquement et mentalement ! » Et n’excluent pas de tenter l’une ou l’autre « expérience ». Sur 200 m pour Jonathan, qui aimerait bien disputer un jour une saison complète sur la distance, sur… 800 m pour Kevin, une épreuve où son père a toujours dit qu’il pourrait un jour se reconvertir avec succès. « Mais chaque chose en son temps ! », s’empressent-ils d’ajouter. Claire Michel (triathlon) : arriver à dompter son vélo Tomber, se relever. A de multiples reprises, cette année, Claire Michel a dû s’astreindre à ce rituel. Si elle a fini la saison avec quelques résultats encourageants qui lui ont permis de récolter les points nécessaires pour réintégrer la liste actuelle des sélectionnées pour Rio au ranking olympique de sa fédération internationale, la triathlète bruxelloise a aussi passé beaucoup de temps à soigner ses blessures, souvent consécutives à des chutes à vélo. « Chaque fois que je revenais en forme, je me blessais à nouveau, raconte-t-elle. A un moment durant la saison, mon copain m’a même demandé si je pensais pouvoir rentrer un jour d’une compétition sans béquilles ! » La liste de ses malheurs a débuté en mars avec une déchirure au mollet survenue à New Plymouth. Puis ce sont trois accidents de vélo qui ont meurtri son corps : le premier deux semaines plus tard, à Auckland, en heurtant la roue arrière d’une concurrente placée devant elle, le deuxième en avril au Cap, en négociant mal un virage, avec une entorse du pied comme conséquence, et le troisième, à Alanya, en octobre, quand une de ses adversaires s’est rabattue brutalement devant elle. Enfin, on mentionnera, pour le gag, mais sans rire, cette glissade au bord de la piscine de son hôtel lors des Jeux européens de Bakou, en juin, où elle s’est fracturée les deuxième et troisième métatarses du pied gauche. « Au-delà de la rééducation que mes blessures ont nécessitée, il y a aussi toutes les compétitions que j’ai manquées à cause d’elles. Des épreuves souvent importantes où j’ai perdu l’occasion de prendre des points dans la course aux Jeux. J’ai notamment loupé l’Euro et le “test event” de Rio. Tout cela a généré pas mal de stress à certains moments. » Si Claire Michel s’est souvent trouvée en difficulté à vélo cette année, c’est parce qu’elle n’a découvert cette discipline que quand elle a décidé de passer au triathlon en 2012, à 24 ans. Il lui a fallu apprendre sur le tard à ne pas avoir peur de la vitesse et à rouler en peloton dans des épreuves de tout premier plan. Tout en restant prudente, elle pense, aujourd’hui, être sortie de ce nœud qui est surtout psychologique. « J’ai compris que je devais apprendre à m’imposer dans un peloton, ce qui ne viendra qu’en gagnant en confiance. Donc, me dire perpétuellement que je suis une mauvaise cycliste ne m’apportera rien. Je crois beaucoup en l’influence du mental sur le physique. Du coup, je roule beaucoup à l’entraînement avec des gens que je connais, je me lance des petits défis, ce qui me permet de prendre de l’assurance. C’est quand on est stressé que l’on fait des erreurs. » Son objectif dès le début de la saison 2016, en mars, à Abou Dhabi, sera de prendre des points très rapidement pour grimper au classement et se rassurer. « Plus tôt je me mettrai à l’abri, plus de jours d’entraînement j’aurai pour préparer Rio. » Et pour dompter cette sacrée bécane. Jolien D’Hoore (cyclisme) : franchir la dernière marche Cinquième aux JO 2012, quatrième aux Mondiaux 2014 et 2015 : il y a des séries que l’on aimerait bien interrompre. Jolien D’Hoore, 25 ans, la meilleure cycliste du pays, compte bien en finir avec les places d’honneur à Rio et monter enfin sur ce podium de l’omnium, l’épreuve sur piste qui regroupe, sur deux jours, six disciplines : le scratch, la poursuite, la course à élimination, le 500 m, le départ lancé et la course aux points. C’est dans cette dernière épreuve, qui rapporte justement le plus de points, que la « Flandrienne de l’année » pense pouvoir faire la différence. « Je suis très endurante et régulière, affirme-t-elle. Comme c’est là que tout se décide, c’est plutôt bon pour moi ! » Révélation des derniers Jeux, elle sera, à Rio, l’une des favorites, un statut qu’elle a patiemment construit tant sur la piste que sur la route au fil de ces dernières saisons. « Nous serons cinq pour trois places, dit-elle : la Britannique Laura Trott, l’Américaine Sarah Hammer, la Néerlandaise Kirsten Wild, l’Australienne Annette Edmonson et moi-même. J’irai résolument pour la médaille. » Non contente d’être équipière de la dernière dans l’équipe Wiggle Honda, la meilleure du monde, où elle a signé jusqu’en 2017, elle est également sa compagne de chambre lors des stages et des compétitions à l’étranger. « Avec Annette, on se connaît effectivement très bien. J’ai déjà essayé de savoir ce qu’elle faisait à l’entraînement, mais elle ne lâche rien ! » Future kiné – « J’attaquerai mon masters après les Jeux » – Jolien D’Hoore, elle, a beaucoup travaillé sa vitesse sur piste, a fait du gros travail de musculation en salle de fitness, et bossé son endurance sur route. « Désormais, j’ai l’impression de récupérer plus vite ». Pour bien enchaîner à Rio, ce pourrait être un avantage. Louis Croenen (natation) : gérer le facteur Phelps On savait qu’il avait du talent à revendre mais il s’est révélé comme le nageur surprise de 2015. Cet été, aux Mondiaux de Kazan, Louis Croenen (vite rejoint par Pieter Timmers sur 100 m libre) est devenu le premier Belge à atteindre une finale mondiale individuelle depuis Fred Deburghgraeve et Brigitte Becue à Perth, en 1998. Une 7e place sur 200 m papillon, l’une des épreuves les plus exigeantes du programme, qu’il a agrémentée d’un record de Belgique en 1.55.39. Le tout avant de finir 6e du relais 4 x 200 m libre en compagnie de Timmers, Glenn Surgeloose et Dieter Dekoninck. « Mentalement, c’est important d’avoir obtenu ces résultats à un an des Jeux, dit le Campinois. C’est bon pour la confiance. Et ça me remplit de fierté. » Pas question, pourtant, d’auto-complaisance pour l’étudiant en éducation physique de la VUB. Croenen est bien décidé à ne pas s’arrêter en si bon chemin et de remettre ça à Rio, une ambition logique et légitime. Mais pour rester dans le top 8, il va devoir s’accrocher et encore nager plus vite. « Sous les 1.55 », pense-t-il. L’an prochain, en effet, il retrouvera à ses côtés un certain Michael Phelps, qui était suspendu à Kazan par sa fédération pour conduite en état d’ivresse. Le retour du plus grand nageur de l’Histoire – 22 médailles olympiques, dont 18 d’or –, dont la place de finaliste ne fait évidemment aucun doute, ne laissera intrinsèquement plus la moindre marge au Belge. « C’est vrai, admet Croenen. On voit aux chronos qu’il a réussis cet été qu’il est revenu à son meilleur niveau et tout le monde est persuadé qu’il sera au top l’an prochain. Il a toujours été mon idole, mais je me dis aujourd’hui que c’est un peu dommage qu’il soit revenu à la compétition ! » Gérer son éventuelle présence ne semble toutefois pas l’affoler outre mesure. « Il a déjà nagé contre lui à Mesa, en avril dernier, rappelle Rik Valcke son entraîneur. J’avais insisté pour qu’il dispute cette compétition pour s’habituer à ces meetings américains » (NDLR : Croenen y avait remporté le 200 m papillon… que Phelps n’avait pas nagé et terminé 20e du 100 m papillon que l’Américain avait dominé). Louis Croenen devra « simplement » gérer sa propre course, sans se soucier des autres, ce qu’il est tout à fait capable de faire, et rester dans sa bulle. « Aux Jeux de Londres, je m’étais un peu trop laissé impressionner en pénétrant dans la piscine. » Ce ne devrait plus être le cas à Rio.

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