Accueil Opinions Cartes blanches

Le tronc commun n’est pas la solution

Une carte blanche de Pierre Hazette. L’ancien ministre de l’Enseignement secondaire en Communauté française plaide pour une revalorisation des filières et l’exploitation des temps libres et autres journées blanches par des activités linguistiques, artistiques, sportives et philanthropiques.

Carte blanche - Temps de lecture: 5 min

L a théorie, c’est quand on sait tout et que rien ne fonctionne. »

Je me suis souvenu de cette saillie d’Albert Einstein en lisant les propos péremptoires et définitifs de la Professeure Dominique Lafontaine de l’Université de Liège. Elle s’inscrit fidèlement dans la suite de ses devanciers liégeois, les maîtres pédagogues Gilbert De Landsheere et Marcel Crahay. L’Ecole de Liège a, en effet, largement inspiré les réformes pédagogiques qui ont bouleversé l’enseignement dans la communauté française de Belgique.

L’instauration du tronc commun vient du siècle précédent. Il n’a pas fonctionné parce qu’il s’est traduit, dans la perception des adolescents, comme l’assurance de passer automatiquement de la première à la deuxième année de l’enseignement secondaire. Il s’est heurté aux objections que les enseignants soulevaient, non seulement lorsqu’ils étaient confrontés à la démotivation des élèves, mais aussi lorsqu’ils constataient la difficulté de garder la qualité de leur enseignement au niveau qui les rendait fiers de leur travail et motivait les élèves, heureux d’apprendre et de progresser.

Des erreurs « sacralisées »

Le tronc commun jusqu’à quatorze ans a été un échec.

La correction proposée par le pacte d’excellence et soutenue par Madame Lafontaine fixe à quinze ans le terme du parcours commun, en attendant, annonce-t-elle, de le porter à seize ans.

Chez nous, on n’apprend pas vraiment de ses erreurs ; au contraire on les sacralise !

On s’accroche à un système qui prend l’eau pour éviter de présenter un autre modèle de société où chaque enfant trouverait sa place, parce que ses aptitudes propres auraient été reconnues et valorisées. On se gargarise de comparaisons internationales pour affirmer que nos piètres résultats se corrigeront en aggravant les erreurs qui les ont provoqués. Curieusement, le modèle allemand n’est jamais évoqué, alors que le chômage des jeunes y est moindre qu’ailleurs.

Une pluralité d’excellences

Dans un authentique « Pacte d’excellence », il conviendrait d’écrire « excellences ». C’est que l’excellence n’est pas unique. Il y a dans chaque enfant une quête de reconnaissance et plus tôt la parcelle d’excellence qu’il y a en lui se sera révélée, plus l’école aura l’obligation de lui ouvrir le chemin qui monte. Ce sera trop tard à quinze ans.

Se conforter par une étude statistique des systèmes étrangers, c’est refuser de construire l’école avec ses acteurs de terrain, avec les attentes des parents, des Hautes Ecoles et des Universités, des responsables économiques, aussi. Je rejoins Michel Onfray. « Une civilisation n’existe qu’en répondant à ce qui met sa vie en péril. » On peut, à coup sûr, dire la même chose de notre Communauté française de Belgique.

Exploiter les temps libres

Lorsque la Ministre annonce qu’elle accorde la priorité au français et à l’arithmétique à travers tout l’enseignement primaire, on a envie d’applaudir et d’ajouter, après l’ovation, que d’autres priorités sont à l’ordre du jour : meubler les temps libres, les jours de congé, les journées blanches, les mercredis après-midi, les samedis par une offre d’activités manuelles, de stages linguistiques, de découvertes artistiques et d’initiation à l’art, de pratiques sportives accessibles aux filles comme aux garçons, d’actions philanthropiques, de visites aux bibliothèques ou aux académies comme aux centres de technologie avancée. En associant à ces activités d’éveil ou d’initiation, des acteurs extérieurs à l’école, nous créerions enfin une société enfants admis et libérés de l’addiction aux tablettes et smartphones.

Des filières épanouissantes

Ainsi lorsque s’ouvrira l’enseignement secondaire, l’adolescent pourra trouver, non un tronc commun, parce qu’il aura appris à se connaître, parce que ses instituteurs auront recueilli les observations qui, s’ajoutant aux leurs, à celles des CPMS et à celles des parents, permettront de lui conseiller une orientation parmi tant d’autres. En d’autres termes, on en aura fini avec la relégation vers les filières techniques ou professionnelles. Celles-ci s’offriront, au contraire comme la voie d’accès à un épanouissement attendu, espéré. De même, les filières de l’enseignement général pourront développer les enseignements adaptés aux attentes dans les domaines littéraire, scientifique, économique, artistique, sportif… Je ne crains pas de défendre les filières, pourvu qu’elles soient conçues pour permettre les passages de l’une à l’autre. La diversité de l’offre éducative, je la réclame, non pas quand l’adolescent aura quinze ans, mais quand accédant à la « grande école », il prendra conscience qu’il franchit une étape de sa vie et que le passage est important.

Dans ce contexte d’éducation élargie aux loisirs actifs, se situera aussi la réponse à apporter aux enfants et adolescents dont le français n’est ni la langue maternelle, ni la langue de communication à la maison. Pour eux, aussi, il faut briser le cadre horaire et offrir, voire imposer, la fréquentation d’activités d’appropriation de notre langue et de notre culture.

« Pour penser en largeur, écrit Michel Debray, il convient d’émouvoir en profondeur, et pour faire palpiter, il faut faire espérer. Quoi ? Que demain sera un autre jour. Que l’on peut s’en sortir. »

 

Le fil info

La Une Tous

Voir tout le Fil info

16 Commentaires

  • Posté par Debrabander Jean, lundi 29 avril 2019, 7:00

    M. Hazette, de loin le meilleur des ministres de l'enseignement que j'ai connus (plus d'une dizaine). Le seul qui ose critiquer nos psychopédagogues responsables du marasme actuel et futur de l'enseignement en Communauté française, suivis aveuglement par la demi-ministre actuelle. Le tronc commun de trois ans est une resucée du rénové qui allait tout arranger : on voit les dégâts.

  • Posté par De Cuyper Thierry, mardi 29 janvier 2019, 15:40

    Un principe fondamental devrait guider la philosophie des politiques, il est repris dans la Convention des Droits de l’Enfant et la Charte européenne des citoyens. « Dans tous les actes relatifs aux enfants, qu'ils soient accomplis par des autorités publiques ou des institutions privées, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. » Un tronc commun donne davantage de chance aux élèves pour choisir l'orientation de toute une vie. Donnons une chance à nos enfants.

  • Posté par De Cuyper Thierry, lundi 28 janvier 2019, 12:07

    Un principe fondamental devrait guider la philosophie des politiques, il est repris dans la Convention des Droits de l’Enfant et la Charte européenne des citoyens. « Dans tous les actes relatifs aux enfants, qu'ils soient accomplis par des autorités publiques ou des institutions privées, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. » Un tronc commun donne davantage de chance aux élèves pour choisir l'orientation de toute une vie. Donnons une chance à nos enfants.

  • Posté par De Cuyper Thierry, lundi 28 janvier 2019, 12:05

    Nos jeunes sont des jeunes intelligents, personne ne peut affirmer qu'ils le seraient moins que les petits Finlandais qui avec ce tronc commun sans redoublement ont un excellent score aux tests PISA . Nos enfants ont, eux aussi, droit à un tronc commun sans redoublement comme les Finlandais. Ils pourraient enfin être épanouis et avoir du bonheur à l'école!!

  • Posté par De Cuyper Thierry, lundi 28 janvier 2019, 12:02

    Le tronc commun permet aux élèves de choisir à un âge plus tardif l'orientation de toute une vie. La plupart des pays laisse aux jeunes ce choix à 16 ans. Chez nous on le leur refuse et on les sanctionne pour les mauvais résultats obtenus en les empêchant de décider eux mêmes!! Mr Hazette n'a pas participé aux réflexions du pacte d'excellence et devrait donc se déclarer incompétent !!!

Plus de commentaires

Aussi en Cartes blanches

Voir plus d'articles

Le meilleur de l’actu

Inscrivez-vous aux newsletters

Je m'inscris

À la Une