Burn-out : toujours plus de travailleurs au bout du rouleau

Ils sont 28.000. Soit 7 % des 400.000 personnes indemnisées par l’assurance maladie-invalidité. L’épidémie de burn-out progresse à grands pas. Ainsi, le coût de l’incapacité de travail est estimé par l’Inami à 7,1 milliards d’euros en 2017. Pourtant, le « syndrome d’épuisement professionnel » n’est toujours pas reconnu comme maladie professionnelle. Qui sont-ils ces travailleurs épuisés ? Parmi eux, Anne Everard a subitement dû renoncer à travailler. De son burn-out, elle a écrit un livre pour aider les autres « burnies » à remonter la pente. Son credo : lentement mais sûrement. « Un incendie consumant toutes les ressources internes », « un tsunami qui se retire », « une corde qui rompt ». Parmi les témoignages rassemblés dans le livre d’Anne Everard, les métaphores ne manquent pas pour désigner le burn-out. L’auteure, elle, choisit l’image d’un barrage soumis à trop forte pression, qui, soudain, cède. C’est ce qui lui est arrivé, un samedi matin, il y a quatre ans. Impossible de sortir du lit : les yeux ouverts, le corps comme paralysé. Pendant trois mois, cette juriste de formation qui avait depuis peu lancé sa propre société, a dormi 18 heures par jour. Au total, elle mettra deux ans à se remettre sur pied, période durant laquelle « tout (manger, se laver, s’habiller…) était une épreuve ». Entre l’incompréhension des proches et sa culpabilité de ne plus « assurer » s’est rapidement immiscé chez Anne Everard, un sentiment de solitude : « On est pourtant nombreux à vivre la même chose, mais personne ne peut nous dire quoi faire pour aller mieux. » Deux ans après le début de son repos forcé, elle a entamé la rédaction d’un livre (paru en avril 2017 aux éditions Albin Michel). Dans ce « Guide du burn-out », elle partage, d’une façon volontairement simple et accessible, des témoignages et conseils, comme ceux qu’elle aurait souhaités, à l’époque, « trouver sur sa table de chevet ». Aujourd’hui, elle sillonne les librairies, maisons médicales et entreprises de Belgique, pour sensibiliser aux risques du stress au travail. Cet après-midi-là, dans la salle de réunion d’une société spécialisée dans l’organisation de salons professionnels, Anne Everard intervient devant une vingtaine de personnes. « Alors le burn-out, ça concerne qui ? », lance-t-elle, avant de dresser le profil-type des « burnies » (le surnom affectueux qu’elle a donné aux personnes touchées par un burn-out). Réponse : « Des gens volontaires, exigeants, dynamiques et qui veulent toujours faire plein de choses. » Des rires fusent autour de la table : « On est tous comme ça ici », « c’est ce que les employeurs recherchent ! » Anne Everard ne peut qu’acquiescer. « Pourtant, ajoute-t-elle, on pense toujours que ça n’arrive qu’aux autres ». L’épée de Damoclès au-dessus des open-space S’il a beau être invisible, le burn-out est quasiment toujours précédé de signaux d’alerte, qu’il est utile de pouvoir repérer : douleurs musculaires et maux de dos, troubles du sommeil et changements d’humeur… A l’énoncé de ces signes avant-coureurs, quelques employés hochent de la tête. Des regards s’arrêtent, des sourires entendus sont partagés. Visiblement, personne ne se croit vraiment à l’abri : l’épée de Damoclès du burn-out plane au-dessus des open-space. Un changement de management, une perte de sens au travail, la naissance d’un enfant, voire la mort d’un proche sont autant d’éléments déclencheurs qui peuvent faire basculer une personne en état de « stress positif » vers l’épuisement total. « Si le secteur de la santé (médecins généralistes et infirmières) a longtemps connu une plus forte prévalence de burn-out, aucune profession n’y échappe réellement aujourd’hui », affirme François Perl, directeur général du service indemnités de l’Inami. L’épidémie progresse à grands pas. On compte aujourd’hui environ 7 % de burn-out et 15 % de dépression sur les 400.000 personnes qui bénéficient de l’assurance maladie-invalidité. Pour François Perl, il faut d’ailleurs « envisager ces deux pathologies ensemble : le burn-out et la dépression ont évolué de façon parallèle ces dernières années, et l’une est encore souvent diagnostiquée à la place de l’autre… » Cette confusion a conduit, pendant plusieurs années, à une imprécision statistique de taille : entre 2010 et 2015, le nombre de burn-out a certes doublé, mais dépassait à peine les 8.000 cas (de nombreux burn-out étant, à tort, classés dans la catégorie « dépression »). « 23.000 personnes touchées rien qu’en 2016 » En 2016, l’Inami modifie ses codes de pathologie et opère une distinction plus claire entre les deux pathologies mentales : « On a alors connu une explosion du nombre de burn-out, avec 23.000 personnes touchées rien qu’en 2016. » Bien que décrit pour la première fois en 1976 par un psychanalyste américain, le burn-out est un phénomène nouveau, observé depuis une dizaine d’années en Belgique. La pathologie n’est toujours pas reconnue comme maladie du travail, « et ne sera probablement jamais reconnue en tant que maladie professionnelle », estime François Perl. « On ne l’enseigne pas dans les études de médecine, s’étonne pour sa part Anne Everard. Une personne m’a un jour confié : « Mon médecin me dit que le burn-out n’existe pas, que dois-je faire ? ». La conférencière témoigne donc aussi auprès de généralistes, pour tenter de leur communiquer son approche : accompagner sans juger. « Il s’agit d’une maladie invisible. La façade est intacte mais l’intérieur est cramé. L’entourage se dit parfois que c’est un peu facile de passer ses journées au lit, qu’on devrait bouger, que ça nous ferait du bien. Sans se rendre compte qu’un burnie n’a plus aucune énergie à l’intérieur. » De son épreuve, Anne Everard dit aujourd’hui garder une fragilité, devenue comme un « garde-fou », qui lui permet de résister… Quand la tentation de trop en faire se fait à nouveau ressentir.

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