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Les tiroirs secrets de l’école inclusive

Et si l’école devenait vraiment un lieu où peut germer l’humanité dans toute sa diversité, à l’heure où le Pacte pour un enseignement d’excellence promet une mixité et une école inclusive renforcée ?

Carte blanche - Temps de lecture: 9 min

Debout sur un pied, « La Fabrique des Hommes » s’essouffle… pour disparaître peu à peu dans le brouillard épais de nos mythes contemporains nourris à la flamme du chalumeau de nos peurs. Des fausses croyances coulées dans le béton armé de nos frontières et de nos rêves de conquête…

A une époque où nous tentons de tous nous ressembler, de repousser les limites de la vie et de la mort, de vivre à l’abri de la fragilité… et donc du vivant, nous sommes devenus les spectres de notre histoire et les fantômes de nos ancêtres.

Nous outrageons des libertés fondamentales et des droits acquis au terme de luttes sociales séculaires parfois sanglantes…

Parce que l’inclusion sociétale et scolaire dessine les contours d’un univers où la diversité et l’équité ne sont pas exilées mais déposées au « Chœur de l’humanité »…

Parce que « nous sommes faits de l’étoffe dont sont faits les rêves », je voudrais modestement et peut-être candidement, souffler au Pacte dit « d’Excellence » l’arcane d’une histoire encore enveloppée dans les tiroirs, à ce jour, tenus secrets de cette école inclusive…

L’inclusion… Une révolution poétique éclairée humblement la nuit à la lueur de nos rêves et emportée le jour par une infinité d’humanités aussi étincelantes qu’audacieuses…

« Les tiroirs secrets de l’école inclusive… »

Dans le tiroir secret de l’école inclusive, il y a la « Charte des Nations Unies », l’Encyclopédie de Dalembert, quelques mots raturés par L’Abbé de L’Epée et le 1er livre en braille…

Dans le tiroir secret du directeur de cette école, il y a toutes sortes de lunettes, deux mains qui se parlent, une très grande oreille et un stéthoscope pour écouter battre le « chœur » de son école…

Dans le tiroir secret de l’instituteur de cette école, il y a un numéro en cas d’urgence, la photo d’une vieille dame, des bonbons pour la gorge, des mots doux pour caresser, des idées pour rebondir, des paires de bras pour retrousser ses manches et du vent pour souffler dans le dos… ou dans les voiles…

Dans le tiroir secret de la secrétaire de cette école, une vieille machine à écrire… l’Histoire

Dans le tiroir secret d’un élève de cette école, une boîte à mots oubliés toute cabossée, un vieux sachet de blagues périmées, des carambars d’antan, un écrin de verre pour lire à travers les mots transparents, une cabane dans les arbres pour héberger les mots en situations irrégulières, des crayons de toutes les tailles, de toutes les couleurs et une collection de gommes pour attendrir les inégalités…

Dans le tiroir secret de la surveillante de cette école, une collection de craies de toutes les écoles ordinaires, des écharpes de toutes les longueurs, des gants de toutes les tailles, des pansements pour toutes les blessures et des appeaux de toutes sortes pour ramener tous les oiseaux au nid…

Dans le tiroir secret du professeur de sport de cette école, des médailles pour tous les exploits…

Dans le tiroir secret de « l »’homme à tout faire de cette école », des « mains en or », des « doigts de fée », de « l’huile de bras » et beaucoup d’imagination…

Dans le tiroir secret de la « fée de la propreté » de cette école, il y a des éponges pour frotter l’indifférence, des loques pour faire briller toutes les différences et des plumeaux pour dépoussiérer les vieux préjugés…

Dans le tiroir secret d’un parent de cette école, un rêve qui se meurt, un rêve qui se raconte et un rêve qui espère…

Dans le tiroir secret des frères et des sœurs de cette école, il y des rêves d’avenir dessinés à la main pour leurs frères et leurs sœurs chaloupés par le handicap, des larmes furtives de parents mises en bouteilles, une vieille lettre pour Saint-Nicolas déchirée par des doigts en colère que le dieu « Orthographe » a banni un jour et une canne à pêche télescopique pour décrocher SA bonne étoile.

Dans le tiroir secret de l’enfant de cette école que l’on dit « ordinaire », des secrets à perte de vue et des différences emprisonnées dans la toile d’araignée de notre ignorance… une âme tapie sous l’auréole de la normalité qui n’attend qu’un mot, qu’un geste, qu’un regard, qu’une attention pour chanter sa singularité au milieu des arbres fruitiers et amers peuplant son jardin secret…

Dans le tiroir secret de l’enfant aux oreilles cassées de cette école, il y a des mains qui dansent sur un piano de mots vibrants, une infinité de sons dessinés à la scie sauteuse, du papier de verre pour chatouiller les verbes et une marionnette en forme de bouche pour dévorer sa langue maternelle.

Dans le tiroir secret de l’enfant aux yeux éteints de cette école, il y a une collection de senteurs rapportées de tous ses voyages, de la dentelle de rire, de la colère qui brûle, de la couleur qui pique, une symphonie écrite pour les yeux et une longue-vue pour voir au-delà des apparences…

Dans le tiroir secret de l’enfant de cette école à l’horizon inquiet, un avenir qui tremble, un cochon tirelire qui guette l’arrivée des huissiers, une assiette vide, du silence hébété, un océan de honte, une vie d’amour, d’amitié que l’isolement et le manque d’argent ont éloigné et un ami, aujourd’hui imaginaire, dont la fidélité semblait autrefois indéfectible.

Dans le tiroir secret de l’enfant voyageant dans le spectre de l’autisme, un château hanté, des fantômes, de l’ordre, du silence, des formes parfaites, du bruit, du calme, des cris, de la rigueur, des hurlements, de la répétition, des murmures et du temps…

Dans le tiroir secret de l’enfant assommé par la lecture, il y a des livres à perte de vue enterrés dans du papier kraft, une longue suite de cadeaux-cauchemars reçus à Noël…

Dans le tiroir secret de l’enfant violenté par l’orthographe, une salle de torture pour faire parler les mots et un tribunal éclair pour les envoyer au bûcher…

Dans le tiroir secret de l’enfant « transgenre » de cette école, une identité délivrée qui se réinvente dans la plus stricte intimité…

Dans le tiroir secret de l’enfant à la peau tatouée de chiffres, une cité secrète bâtie sur des idées interdites que domine le nombre PI, une voie lactée d’opérations restées sans réponses, une collection de bouliers compteurs, une cantine aux allures de tables de multiplications, une gigantesque provision de bonbons pour se donner du cœur à l’ouvrage… et percer enfin le secret de l’infini…

Dans le tiroir secret de l’enfant de cette école qui « ne dit mot », il y a toute sa vie racontée à la main…

Dans le tiroir secret de l’enfant de cette école porteur d’une infirmité motrice cérébrale, les premiers mouvements d’une chorégraphie contant l’embrasement d’un corps, d’une voix, d’une bouche, d’un esprit, l’histoire d’une âme en éternelle partance, une immobilité qui s’avance…

Dans le tiroir secret de l’enfant exilé de cette école, quelques herbes aromatiques de son jardin, arrachées à la sauvette, le soir du grand départ, une photo de ses grands-parents morts avant qu’il n’ait pu les revoir, de la terre de son village et un parfum qui lui arrache le cœur le soir lorsqu’il pleure…

Dans le tiroir secret de l’enfant que le corps et les mains effarouchent, un costume de dompteur, un nez de clown, le diable en mouvement et des mots à l’immobilité apaisante pour apprivoiser ce corps et ces mains insoumises…

Dans le tiroir secret de l’enfant violenté de cette école, de la glace, du givre, de la peur par vagues entières, du sang, des ecchymoses, des cris, des gifles, des claques, des coups, des baffes, des torgnoles, des humiliations, du vide, des supplices, des suppliques et le temps qui s’est figé…

Dans le tiroir secret de l’enfant de cette école que l’on dit « oublié », une cuisine réchauffée au feu de l’âtre, une table toujours dressée pour deux invités, pour unique présence un chandelier à deux branches et deux chaises vides que l’espérance a immobilisées…

Dans le tiroir secret-inceste de l’‘’enf-honte’’ de cette école, un interdit guillotiné, sous un tableau de Jérôme Bosch, un code pénal calciné et une loi violée au fond d’un grenier… dans le plus grand secret…

Dans le tiroir secret de l’enfant déficient intellectuel de cette école, il y a son album de photos de classe avec ces cinq mots griffonnés à l’encre indélébile : « Moi aussi, j’y étais… » Sous cet album, un certain regard… à nul autre pareil, des caresses pour unique forteresse, une désobéissance, une liberté d’exister qui ne se soumet jamais, une machine à recycler les mots qui crachent, qui fâchent et qui tachent la peau de tous ceux qu’ils éclaboussent… Des insultes-mots décousus à jamais des êtres dont ils ont « froissé » l’identité, des paroles désormais filées au creux de la Charte des Nations Unies et brodées à la lueur de la chandelle pour être immuablement replantées dans la forêt, au son du brame des cerfs. Une langue nourrie de dignité… et de respect… éternellement réconciliée avec son Histoire et ses habitants…

Au dos des tiroirs secrets de l’école inclusive de tous les enfants dits « timides, maladroits, malmenés, mal aimés, aux parents séparés, porteurs de déficiences, de handicaps, de maladie, de maladresse, de viol, d’inceste, de violence, de mal d’amour, d’exil, de précarité et d’isolement », ces mots écrits à la craie, à la plasticine, au chewing-gum, au pastel, au crayon, à la peinture, à la crotte de nez, à la guimauve, à la goutte de sang, à la terre natale, au couteau et aux ciseaux :

« Ici, nos routes fragiles s’arrêtent et se croisent.

Ici, je prends vie…

Ici, je grandis.

Ici, j’apprends dans la plus folle des insolences et dans le plus grand des dénuements un savoir à la mesure de chacun libéré de toutes les fioritures et de tous les bavardages incessants…

Une école aux allures de forêt

Peuplée d’arbres

Aux racines enchevêtrées

Par toutes les terres bercées

Un savoir incarné

Partagé et réinventé

Une intelligence universelle et modeste taillée

dans l’humilité

des arbrisseaux qui l’abritent

Une fabrique

D’humanité…

Ici, en toute sécurité

j’apprends qu’être moi

Est un droit

Ici, en toute simplicité

A l’abri de la loi

Je me déploie

Dans une école de la fragilité

A taille humaine

Bâtie sur une connaissance aux saveurs d’équité

Où toutes les diversités

Et toutes les Nations ont le droit de Cité

Une pensée… bigarrée

Par la résilience frôlée

Des vies réenfantées

Une péninsule d’histoires et d’êtres

Où je découvre qu’apprendre

… c’est d’abord exister »

 

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1 Commentaire

  • Posté par Eric Lavenne, samedi 10 février 2018, 6:22

    Fort jolie prose ....mais relevant probablement et malheureusement , d'une sorte "d'imaginaire" bénéfique dont des reproches pourraient vous être attribués par certains et certaines.....Mais madame; ,soyez remerciée, néanmoins ,pour cette remarquable tentative.....nous venant d'une LOGOPEDE....qui au moins connaît EN REALITE et en actrice de terrain certaines problématiques(entres autres) liées à l'apprentissage de la lecture ..............

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