L’or, un boulevard pour la délinquance financière

Autant le garder à l’esprit : le commerce de l’or demeure aujourd’hui – et presque par nature – l’un des secteurs les plus vulnérables en matière de blanchiment d’argent. Tel est l’un des constats répétés par la Cellule de traitement des informations financières (Ctif). « Le s secteurs d’activité qui proposent ou traitent des marchandises qui peuvent être facilement interchangeables ou dont la nature peut être facilement modifiée sont considérés comme étant vulnérables », rappelle la cellule belge anti-blanchiment, et « il en va ainsi du secteur de l’or dans la mesure où l’or peut être facilement extrait des bijoux et transformé en lingots. De l’or brut peut être échangé contre des lingots d’or affinés, qui peuvent ensuite être échangés contre des espèces ou revendus. Les biens facilement transportables facilitent également les opérations de blanchiment. » Gare aux mélanges entre or et monnaies virtuelles Rien de bien neuf sous le soleil, mais dans son rapport 2016, la Ctif pointe une nouvelle menace de blanchiment d’argent liée à l’or : des empilages mêlant métaux précieux, espèces et monnaies virtuelles. « Les vulnérabilités du secteur des pierres et métaux précieux pourraient encore être renforcées par le développement de divers produits issus des innovations technologiques financières, imagine la Ctif, notamment le change de monnaies virtuelles en métaux précieux (or, argent) ou l’utilisation de cartes de paiement adossées à des stocks de diamants, d’or et d’argent. » Entre autres scénarios, la Ctif craint que l’or et l’argent ne soient utilisés dans des schémas de blanchiment professionnel qui mélangent monnaies virtuelles, espèces et métaux précieux : « La possibilité de changer de la monnaie virtuelle contre des espèces est proposée par des blanchisseurs professionnels actifs notamment sur le Darknet (…) Le change de monnaies virtuelles en métaux précieux (or, argent) est également possible sur certaines plateformes d’achat et de vente ou auprès de certains négociants physiques en métaux précieux. » [scald=14895847:sdl_editor_representation] Les dérives de 2011-2012 En matière de fraudes financières couvertes par l’or, la Belgique a perdu toute naïveté en 2011-2012. Depuis, elle garde un œil sur son commerce de l’or et notamment sur les possibles dérives financières de ses fondeurs. Pour rappel, en 2012, alors que l’or vient d’atteindre des cours records, la Ctif va transmettre à la justice « un nombre très important de dossiers aux autorités judiciaires en relation avec le commerce de l’or, et ceci pour un montant total de blanchiment d’un milliard d’euros ». Dans huit dossiers en particulier, le modus operandi observé était toujours le même : dans un premier temps, des recycleurs en métaux précieux sortaient des sommes astronomiques de cash de leurs comptes – on parle déjà à ce niveau de près d’un milliard en liquide, plusieurs centaines de millions d’euros pour certains fondeurs en particulier. La Ctif a ensuite constaté des transferts de fonds massifs en faveur de commerçants-détaillants qui rachetaient eux-mêmes, auprès du grand public, de vieux bijoux et des pièces en or. Les comptes bancaires de ces commerçants sont eux aussi débités par d’importants retraits en espèces, ce qui suppose que l’or vendu par le public leur est réglé cash par les intermédiaires, lesquels sont eux-mêmes payés en espèces par les fondeurs. Toute la chaîne d’achat-vente d’or est ainsi anonymisée, des bijoux volés peuvent être aisément recelés. La mise sur le marché de cette abondance d’argent liquide posait un autre problème, sorte de blanchiment secondaire : « le risque d’échange de ces grosses coupures contre des billets de 10, 20 ou 50 euros provenant de trafics divers (drogue…) ». « Dans un certain nombre de dossiers également en rapport avec des transactions sur l’or, la Ctif a estimé qu’il existait des indices sérieux de blanchiment de fonds issus de la fraude fiscale grave et organisée. » Le dossier consacré à l’«Or des Belges» duquel cet article est issu a été réalisé par des étudiants de 2e Master de l’École de Journalisme de Louvain (UCL) dans le cadre de leur cours d’investigation, « Pratiques de l’enquête ». Les enquêtes et textes retenus ont été supervisés et édités par les Prs Alain Lallemand, Philippe Marion et Marie Vanoost.

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