Les courtiers, ces alchimistes qui transforment vos craintes en or

Didier Jacques, administrateur délégué de l’agence Gold Forex International, c’est un peu le Minotaure dans son dédale. Pour le rejoindre dans son bureau de courtage, rue du Midi, il faut passer un nombre incalculable de portes, une sécurité organisée en paliers, chaque porte devant être refermée avant de pouvoir ouvrir la suivante. Mais une fois que vous l’approchez, c’est lui qui, volubile, vous déroule sa pelote, trop heureux de partager sa passion pour un métier qu’il exerce depuis bientôt trente ans. « Le client qui me fait vivre, lance Didier Jacques, c’est celui qui a entre 45 et 65 ans. Les gens qui s’adressent à nous, ce sont ceux qui ont un certain âge et qui ont su mettre de l’argent de côté. » A un kilomètre de là, rue Ravenstein, une autre agence de courtage spécialisée dans l’or. The House, une entreprise plus familiale mais dont la façade et la décoration intérieure ne peuvent vous tromper. Affiches, posters, cadres, tirelire, décorations diverses : tout est en rapport avec le plus précieux des métaux. Et cet or appelle tout le monde. « La clientèle est très variée. Il peut y avoir des jeunes, des personnes de 50 ans ou des retraités », avance Jan Van Cutsem, le patron. Et d’ajouter : « La clientèle est généralement néerlandophone. C’est bizarre qu’il y ait aussi peu d’activités en Wallonie. » Une clientèle fort variée, défiante des financiers Difficile de dresser un profil unique de la clientèle. Les jeunes adultes isolés achètent parce qu’ils ont « de l’argent à dépenser », note Jan Van Cutsem, et peuvent se permettre de placer leur argent dans ce type de produit. Les pères de famille achètent de l’or pour le placer sur un compte, parce qu’ils ne veulent plus laisser cet argent en banque. Les retraités, souvent, achètent de l’or pour le léguer à leurs petits-enfants. Le point commun entre toutes ces personnes, constate le fondateur de The House, c’est qu’aucun d’eux n’a plus confiance dans le système financier actuel. Mais que leur vendent les courtiers ? Les clients sont friands de lingotins de cent grammes et de quelques best-sellers en monnaies : Krugerrand, Napoléon notamment. Chez GFI, pas moins de 37 formes différentes d’or sont couramment proposées à la vente, que ce soient des lingots selon différents poids, de 5 grammes à un kilo en passant par des CombiBar de 50 fois un gramme morcelables gramme par gramme, ou des pièces d’or financier de poids et valeurs diverses, du « 50 pesos » mexicain pesant ses 37,5 grammes d’or fin jusqu’au « Louis » belge ne contenant que 5,8 grammes d’or. Sans oublier toutes ces pièces financières recelant exactement une once d’or : Krugerrand sud-africain, Panda chinois, Maple Leaf canadien, Nugget australien, Philharmonique autrichien, etc. Qu’on ne s’y trompe pas : il n’y a pas de place ici pour les numismates, toutes ces pièces sont des « bullion coins », des pièces d’investissement dont la valeur est déterminée par le poids d’or et la liquidité (la facilité de revente), accessoirement par le plus ou moins bon état de la pièce, pas par sa rareté. Puisque la majorité des clients investissent dans l’or par défiance du système financier, il leur faut jongler entre deux impératifs : acheter des petits volumes pour pouvoir les revendre aisément, un à un, en cas de crise grave ou de guerre, mais acheter au plus près du prix de l’or brut – ce qui ne s’atteint qu’en achetant de gros volumes. Dilemme. « On conseille généralement aux clients d’acheter des lingots de 100 grammes , explique Didier Jacques, et ensuite de prendre quelques pièces. La Napoléon et le Krugerrand font partie de nos produits phares. » [scald=15043456:sdl_editor_representation] Les courtiers vendent, mais ils sont aussi sollicités pour des achats. Avec des propositions mémorables. « Une fois, un homme a voulu me vendre un ouvre-bouteilles en or, se souvient Didier Jacques, l’œil malicieux. Il est venu jusqu’à mon bureau, mais j’ai directement vu que ce n’était pas de l’or. » Des anecdotes, il en a à foison, tout comme son compère de la maison The House : « J’ai déjà vu des gens qui viennent avec des sacs remplis d’or avec l’équivalent d’environ 500.000 euros à l’intérieur, explique Jan Van Cutsem. Un jour, quelqu’un m’a acheté pour 250.000 euros de lingots. Je ne l’avais jamais vu, je ne le connaissais pas et il m’a viré l’argent directement. Il faut oser… » De quoi vivent les courtiers ? Ils ne liment pas vos lingots ou pièces. Ils se paient via la « prime », distincte à l’achat ou à la vente, qui est un pourcentage – variable dans le temps et selon le type de pièce ou lingot – entre le prix « spot » de l’or (tel qu’il est coté en bourse) et l’or qui vous est vendu. Exemple du jour, ce vendredi 16 février : le Krugerrand est vendu par GFI à 1.116,5 euros pour une pièce d’une once d’or, alors que l’once d’or boursier est à 1.086,59 euros. Le courtier empoche sur la vente une prime de 2,75 %. À l’achat, il vous reprend cette même pièce pour 1.089 euros, la prime empochée par le client est donc de 0,23 %. S’il vend et achète un certain volume de cette pièce sud-africaine, la marge bénéficiaire brute du courtier est de 2,52 %. CQFD. Le même jour, elle sera de 5,03 % sur le Panda chinois, mais elle n’est que de 1,54 % sur un lingot d’un kilo. Comment expliquer la vitalité du courtage d’or en Belgique ? Comment expliquer, par exemple, que les prix de vente en ligne des pièces d’or les plus courantes soient plus élevés sur les sites français qu’auprès des courtiers bruxellois ? En fait, les deux marchés de l’or français et belge ne sont pas comparables. La France taxe les plus-values sur l’or, ce qui n’est pas encore le cas en Belgique. C’est une différence fiscale notable. Nos courtiers révèlent d’autres forces à l’œuvre : « En Belgique, explique Didier Jacques (GFI), on est peut-être 4 ou 5 sur le marché de l’or. La différence entre moi et mon concurrent n’est jamais très transcendante. Cela se joue sur des services, ou la sympathie interpersonnelle, car on fait le métier de la même manière. En revanche, en France, le leader du marché décide du prix puisqu’il est le seul. C’est très artificiel, mais ils gagnent plein d’argent comme cela. Le cours de l’or en France et à Bruxelles sera rarement sur la même longueur d’onde. Car il n’y a qu’un seul opérateur en France qui manipule le marché. Alors qu’en Belgique, on est dans une offre et une demande tout à fait saine. » [scald=15043457:sdl_editor_representation] A la suite de nombreux voyages d’affaires à l’étranger et parfois en France, Jan Van Cutsem (The House) a lui aussi fini par comprendre le marché hexagonal. Il l’exprime en termes directs. « Les Français aiment bien entuber les gens. C’est un sport national là-bas. Pour le même produit et le même service, ils demandent deux fois plus ! » Vrai ? Les chiffres, en tout cas, confirment la compétitivité du marché belge. Le dossier consacré à l’«Or des Belges» duquel cet article est issu a été réalisé par des étudiants de 2e master de l’École de Journalisme de Louvain (UCL) dans le cadre de leur cours d’investigation, « Pratiques de l’enquête ». Les enquêtes et textes retenus ont été supervisés et édités par les Prs Alain Lallemand, Philippe Marion et Marie Vanoost.

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