Niger: la vadrouille des indésirables soudanais

Dans la case de passage « femme et enfant » d’Agadez règne une atmosphère de colonie de vacances. Les hommes discutent à l’ombre. Les enfants jouent dans la cour. Les femmes, couchées sur des lits superposés en métal bleu, nourrissent les plus jeunes. « Aujourd’hui, je prépare du riz aux légumes », annonce fièrement Ibrahim, le cuisinier. Mais cette belle ambiance ne trahit pas longtemps l’essence de cette maison d’accueil pour réfugiés. Assise à l’écart, une jolie femme couverte d’un châle indigo raconte son périple. Comme bon nombre de ses compatriotes, Ishan Ahmad a fui son village, au Darfour, lorsque la rébellion a éclaté en 2003. Elle a ensuite vécu dans les camps de déplacés pendant dix ans. « En 2013, le gouvernement a chassé les ONG. La nourriture a commencé à manquer », explique la jeune femme. Ses yeux cernés fixent le vide alors qu’elle raconte comment sa sœur a été tuée lorsque les milices Janjawids ont attaqué son camp. « Ma sœur a laissé derrière elle une petite fille de trois jours. Je l’ai adoptée », poursuit Ishan. La jeune femme a ensuite fui vers la Libye, accompagnée des six enfants à sa charge. Dans le chaos libyen, Ishan a retrouvé son mari, dont elle n’avait plus de nouvelles depuis un an. Ensemble, ils ont décidé de fuir encore. Vers le Niger cette fois. Ils avaient entendu dire que des organismes humanitaires y venaient en aide aux réfugiés. Ils n’ont pas été déçus. Cinquante-huit personnes habitent cette maison. Tous bénéficient d’une prise en charge. « Ici travaillent deux cuisiniers, deux femmes de ménage, deux psychologues, un infirmier, deux gardiens et moi », explique Nana Aïchatou Oumarou, assistante sociale de l’ONG italienne COOPI. Manque de moyens UNHCR dispose de six cases de passage de la sorte à Agadez, 400 places, réservées aux plus vulnérables. C’est loin d’être suffisant. Depuis la fin d’année 2017, 1.200 Darfouriens sont arrivés dans la ville. « C’est la première fois qu’on fait face à ce genre de situation à Agadez. On n’a pas les moyens d’accueillir tout le monde », déclare Louise Donopan, associée des relations extérieures à l’UNHCR. 60 % des Sud soudanais qui immigrent à Agadez viennent de la Libye. Les autres arrivent directement des camps de réfugiés. « On ne comprend pas pourquoi ils quittent leur camp et pourquoi maintenant », explique Louise Donopan. Le gouvernement nigérien n’a pas encore décidé s’il allait accorder le statut de réfugié aux Soudanais. « Ce qui est certain, c’est que ceux qui ont déjà été reconnus comme réfugié au Tchad ou au Cameroun seront reconduits là-bas », affirme Ousmane Meidambé, Directeur régional de l’État civil. Cicatrices En attendant qu’une décision soit appliquée, la majorité des demandeurs d’asile vivent dans des conditions précaires. Badradin Chériff est arrivé il y a un mois. Sur son bras gauche et sur son crâne, deux larges cicatrices témoignent de la torture qu’il a subie au Darfour. « J’avais organisé une manifestation pour demander au gouvernement pourquoi quarante personnes de mon village ont été tuées. Alors ils m’ont arrêté », explique-t-il avec colère. Le jeune homme de 33 ans a connu les camps de réfugiés en Jordanie et au Tchad, avant d’être battu dans les centres de détentions libyens. « Je voulais aller en Europe pour faire des études d’ingénieur », raconte Badradin. Mais il s’est avéré plus urgent de trouver la sécurité. Il a donc apporté son petit sac à dos dans une maison d’Agadez qu’il partage avec quarante-quatre Soudanais. Ici, plus de cuisiniers ni de lits superposés. Les habitants se partagent un sac de farine et quelques oignons. Les draps sont posés à même le sol. 11 mètres carrés pour neuf personnes. Sous une couverture, un garçon de quatorze ans dort. « Merde ! », lance Badradin en touchant son front, brûlant. « Ça fait trois jours qu’on demande aux ONG de nous amener un docteur » , déclare-t-il. La nuit tombe et les locataires commencent à remplir la maison. Ils ont passé leur journée devant le siège des organisations humanitaires à attendre que leur demande d’asile soit enregistrée ou à quémander de la nourriture, de l’eau et un logement adéquat. « Le sors de ces réfugiés me fait pitié », avoue le journaliste Ibrahim Manzo Diallo. « Mais, ils ne sont pas venus frapper à la bonne porte. Ils devraient aller dans un pays autosuffisant qui peut leur offrir la sécurité », poursuit-il. Agadez connaît actuellement une surpopulation due à la fermeture des sites aurifères dans le nord du pays, aux conséquences économiques de la lutte contre l’immigration et à la menace de la famine dans le sud du pays. Mais si le Niger refuse de les accueillir, où finiront par échouer les Soudanais ?

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