Aide médicale urgente: «Les migrants finissent par abandonner les soins»

L es abus, c’est fini ! » Denis Ducarme signifiait la fin de la récré, le mois passé lors d’un entretien avec nos confrères de la DH. Dans le viseur du ministre MR en charge de l’Intégration sociale, les soins de confort offerts par des médecins complaisants à des migrants « illégaux » aux frais du contribuable. Et de citer des cas de chirurgie esthétique, échographies de grossesse non nécessaires, circoncisions… Un projet de loi, présenté en deuxième lecture à la Chambre ce mercredi, doit ainsi mieux encadrer les contrôles de l’aide médicale urgente (AMU), le dispositif qui offre une prise en charge des soins de santé aux migrants en situation irrégulière (voir ci-dessous). Chemin de croix Le texte, et surtout sa présentation dans la presse, ont indigné bon nombre dans le milieu médical, comme associatif. Le propos, en substance : l’aide médicale urgente, c’est un chemin de croix pour une population hyperprécarisée et souvent en détresse ; pas un week-end en spa. Que diriez-vous de rencontrer ceux qui le vivent au quotidien ? Rendez-vous est pris, dans les locaux de Médecins du monde avec Abdu Muntasir, Soudanais du Darfour qui tente depuis le mois de novembre de rejoindre l’Angleterre, depuis la Belgique. Une chute lors de la traversée de la frontière entre l’Italie et la France, dans les montagnes, lui a brisé la jambe. Les médecins français l’ont opéré, plaçant une plaque dans sa jambe pour soutenir l’os. « On garde ce genre de plaque quelques semaines seulement, parce qu’elle empêche les muscles de se reconstituer autour de l’os, détaille Ruth Shrimpling, l’assistante sociale qui suit son dossier. Le problème, c’est qu’on n’a jamais enlevé la sienne. » Une fois remis sur pieds, Abdu Muntasir a été renvoyé vers l’Italie, où ses empreintes ont été enregistrées. « Mais comme j’avais quitté le camp, on m’a retiré mes droits, je me suis retrouvé dans la rue. » Plus question de soins. Il est reparti vers le nord. La plaque est depuis un an et demi dans sa jambe. « Ça me fait très mal », explique le Soudanais en retroussant péniblement le jean et la sous-couche qui le protègent du froid. Il passe toute la journée dehors. « C’est pire la nuit, quand il y a des changements de température. » Pas du tourisme médical Jeune, fort, Abdu Muntasir a traversé la Méditerranée en bonne santé. Aujourd’hui, sa jambe lui fait un mal de chien et son œil gauche voit de plus en plus flou à cause d’un kyste. « C’est assez classique avec ce public, relève l’assistante sociale. Le tourisme médical que les politiques dénoncent n’existe pas. En revanche, des gens en bonne santé – en meilleure santé que la moyenne, à vrai dire – développent des pathologies parfois graves liées à leurs conditions de vie ici. » Les médecins volontaires de l’ONG pourront s’occuper du kyste, mais pour la jambe, c’est une autre histoire. Abdu Muntasir a besoin d’une intervention et, partant, d’une prise en charge des soins. « Nous allons faire un dossier pour l’AMU. » L’assistante sociale est déjà parvenue à le convaincre de donner ses informations personnelles à une institution publique, fameuse marque de confiance venant de quelqu’un qui est hanté par la crainte d’un renvoi vers l’Italie ou pire, le Soudan. Mais ce n’est pas gagné. Deux critères Pour accorder ou non une aide médicale urgente, les CPAS vérifient principalement deux critères : que la personne ne dispose pas d’un titre de séjour et qu’elle est indigente. Ce que doit prouver une enquête sociale. Premier problème : une adresse, même vague (un parking, un hall de gare, la voiture au coin de telle et telle rue), doit être renseignée pour permettre à l’assistant.e social.e de la commune d’effectuer une visite et de se rendre compte des conditions de vie du demandeur. Or les populations sans abri – et plus spécifiquement les migrants en transit – ne sont pas fixées, même sur un lieu-dit. Autre difficulté : les taux de refus varient énormément selon les CPAS, de 2 à 26 % selon une étude de la KCE. Ce qui dénote d’un manque d’homogénéité dans la pratique – d’aucuns suspectant parfois que des directives de sévérité soient données dans certaines communes. Une variabilité source de discrimination et qui génère un accès inégal aux soins de santé, estime le Ciré, une des principales associations d’aide aux étrangers. Cas ubuesques « Une patiente anglophone qui remplissait tous les critères s’est vue refuser une aide parce qu’elle ne parlait pas français, ce que l’assistante sociale avait interprété comme un défaut de coopération », se souvient Ruth Shrimpling. Médecins du monde a ainsi listé une série de cas qui seraient ubuesques, s’ils n’étaient tragiques, comme celui d’un patient de 44 ans souffrant de problèmes neurologiques graves au dossier rejeté parce qu’il était sous le coup d’un ordre de quitter le territoire (il est depuis quatre mois sans soins) ou celui d’une femme enceinte découragée par le CPAS de déposer une demande d’AMU pour un avortement au motif que sa vie n’était pas en danger et qui s’est finalement prostituée pour financer l’opération. Conscient du problème, le gouvernement prévoit d’ailleurs dans son projet de sanctionner « les CPAS qui n’effectueraient pas ou mal l’enquête sociale ». A l’écouter, le quotidien de Ruth Shrimpling ressemble à un combat sans fin contre un moulin à vent. Un exemple ? La durée de validité de l’AMU varie d’un CPAS à l’autre. A Schaerbeek, par exemple, elle est valable un an, et dans d’autres communes, un mois. Or comme l’aide prend effet à partir de l’enregistrement du dossier, l’AMU arrive parfois à terme… un ou deux jours après son octroi. « Certains patients passent leur temps à faire et refaire des demandes, regrette l’assistante sociale. D’autres finissent par renoncer. »

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