Abordages La photographie comme «arme à rêver»

Deux anciens étudiants de Jacky Lecouturier au « 75 » à Bruxelles exposent conjointement chez Cécile Servais : Olivier Cornil et François Goffin sont tous deux passés par cette école pour se former à la photographie avant de l’enseigner à leur tour – le premier à l’ESA Saint-Luc Liège et le second à l’Académie des beaux-arts de Liège ! « Aucun de nous deux n’est liégeois mais on vient d’être nommés professeurs dans cette ville, ce qui est une chance et un prétexte d’émulation entre nous explique François Goffin. Être, de biais. Vouloir dépasser ce qui est. Ce qui s’observe, ce qui surgit, ce que nous ne choisissons pas vraiment. Avoir dans la mire d’invisibles possibles. L’échappée belle faite d’incertitudes et d’heureux rendez-vous. Abordages d’un univers à un autre. Douce collusion pour riche confusion. Ce qu’un arbre ou l’éclatement d’une vague nous apprend sur l’anarchie heureuse. Ce qu’un regard d’enfant ou l’image d’un paysage nous dit du temps. Un élan vers l’urgence de regarder. Pour se rassurer, pour s’émouvoir, pour continuer. » C’est en ces termes que Jacky Lecouturier, curateur de l’exposition, présente les travaux de ces deux talents belges exposés en « off » de la BIP 2018 (pour « Biennale de l’image possible ») qui se déroule à Liège jusqu’au 1er avril. Derrière cette évocation poétique se cachent deux démarches singulières mais suffisamment convergentes pour s’exposer ensemble. [scald=15541643:sdl_editor_representation] Photographe aventureux qui promène son objectif du Condroz à l’Afrique, lauréat des Propositions d’artistes chez Contretype en 2016, François Goffin a récemment perdu la majorité de ses archives dans l’incendie de sa maison ! Un accident qu’il a choisi de prendre comme une chance de faire autre chose, se sentant paradoxalement « soulagé » par cette perte. « On n’est jamais le photographe qu’on veut. On me considère surtout comme un photographe contemplatif : le poète de la chaise vide ou de la tasse de café abandonnée alors que j’aurais voulu être un photographe super engagé. Mais tout le monde se moque de ce que j’ai fait en Afrique », raconte-t-il le sourire aux lèvres. Goffin a donc choisi de montrer son tout nouveau travail : première de huit étapes en cours qui évoque la vie de l’anarchiste et écrivain révolutionnaire italien Errico Malatesta (1853-1932). « Ce qui me fascine chez cet homme, c’est la capacité qu’il a eue de voyager en fonction des coups d’Etat auxquels il participait, de l’Italie à Londres en passant par la Suisse, l’Egypte, l’Argentine et New York. Dans un contexte actuel marqué par la question des migrants, la liberté de mouvement et le besoin de justice sociale de Malatesta me fascinent : où qu’il aille, il réfléchissait à la condition des autres. » Les images réalisées jusqu’à présent évoquent son enfance en Italie à travers une série d’allégories (la mer, ses parents, son émerveillement de gosse) : Goffin se dit fasciné par la vie des écrivains, comment « les lieux de leur enfance, qu’ils ont souvent quittés, ont impacté leur imaginaire à travers les odeurs ou les couleurs », et prendra bientôt le large vers le Liban pour une autre série avec l’écrivain Wajdi Mouawad. Egalement lauréat des Propositions d’artistes chez Contretype, en 2012, Olivier Cornil expérimente quant à lui une forme de « glissement » dans son optimisme coutumier : « Depuis quelque temps, mon rapport à la vie a changé. En cause : ma paternité. Se sont glissées en moi des angoisses : celles de l’accident, de la mort, de la finitude du monde, de notre environnement, des personnes qui me sont chères, et la mienne propre. Avoir des enfants m’offre une autre jeunesse, la joie de la naïveté que je cultive, l’émerveillement, l’envie, mais me contraint aussi à subir ces angoisses que je ne contenais pas auparavant », raconte-t-il pour introduire ses images de cabanes, son fils Paul qui regarde la mer ou encore la série appelée Eutopie, qui parle d’un projet d’habitat groupé qui a capoté, et les époustouflantes vues de plantes séchées abandonnées dans une serre – évocation d’un désastre écologique en cours. « Ces images symbolisent ma tristesse de voir comment nous traitons la nature qui, sur les bords des routes, est arrachée beaucoup plus qu’entretenue mais comme toujours, chez moi, tout reste ambigu. Ce qui peut paraître sombre ne l’est pas à mes yeux. Les images qui évoquent des choses lourdes ou tristes restent belles car il en a toujours été ainsi dans ma vie : au creux de l’ombre peut résider la beauté et dans la lumière, une pointe d’effroi. » Jusqu’au 10 mars au Quai 4 Galerie (Liège).

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