De l’absurdité des choses

Il y a un air de belgitude dans Les Déraisons. Cette façon de regarder la vie en faisant un pas de côté : le ton détaché, presque drôle pour parler de la gravité et de l’absurdité des choses. [scald=16623927:sdl_editor_representation] L’intrigue démarre au tribunal de Bruxelles, durant l’audience d’Adrien. Il est jugé parce qu’il a touché pendant un an son salaire sans avoir travaillé un seul jour pour AquaPlus. L’entreprise l’a oublié après sa restructuration. L’homme est mis au placard, au sens littéral du terme. Son bureau ne l’enchante guère. D’autant qu’au même moment, sa femme Louise apprend qu’elle est atteinte d’un cancer. Voyant que personne ne remarque son absence, il désobéit et sèche le travail pour s’occuper de son épouse jusqu’à son décès. On suit donc le procès au même rythme que la maladie ruine le couple. Adrien doit se justifier et prouver avec son avocat en quoi le fait de soutenir sa femme pour sa guérison lui semblait plus important que d’être assis à son nouveau bureau au fond d’un couloir, sans ordinateur ni téléphone. « Ma femme était d’abord malade, ensuite mourante, il fallait bien agir (…) je n’ai pas l’intention de m’excuser d’avoir eu à gérer dans ma famille un “pépin de santé”… » Odile d’Oultremont décrit avec beaucoup de poésie la vie de ces deux personnages hors du commun, touchés par des malheurs ordinaires : la maladie et une mise à l’écart professionnelle. Son écriture poétique nous amène au-delà de ce que pourrait être le simple récit de ces expériences. Louise a toujours eu l’imagination débordante et transforme le quotidien des deux époux en jeu : « Elle attribuait une voyelle à une journée, A, E, I, O ou U, avec laquelle toutes les fins de phrase devaient impérativement rimer. » Elle appelle son chien Le Chat et donne des noms de personnages aux objets. La maladie entre comme un ennemi dans leur relation enchantée. C’est un défi pour eux de trouver les mots pour contourner l’obstacle et éliminer l’intrus. L’art d’embellir la réalité La fantaisie peut-elle nous sauver ? Pour Louise et Adrien, elle adoucit la réalité. Leur histoire touche les autres personnages comme la gestionnaire des ressources humaines d’AquaPlus. Parce qu’il parle du réenchantement du quotidien, ce roman nous a fait penser au livre En attendant Bojangles de l’écrivain français Olivier Bourdeaut. Le petit garçon narrateur fait un pas de côté pour décrire une réalité non conforme, la folie de sa mère, et ainsi mieux supporter une situation chaotique. Odile d’Oultremont interroge aussi notre rapport à la maladie et à la mort. Il n’y a pas de lien de cause à effet entre les tumeurs de Louise et la restructuration de la société d’Adrien. Pourtant, les deux événements se retrouvent liés. Les Déraisons prouve qu’en littérature, si les histoires finissent mal, elles n’en divertissent pas moins les lecteurs.

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