Caroline Fourest: «Malgré tout, l’esprit Charlie perdure»

En janvier, l’essayiste Caroline Fourest ne se montra pas autrement étonnée par ce qui était arrivé à la rédaction de Charlie Hebdo, où elle avait travaillé jusqu’en septembre 2009. Ce qui l’avait vraiment surprise, c’était l’ampleur de la réaction après le drame… Avez-vous été surprise par les attaques de la semaine dernière et par la réaction qui a suivi ? On savait qu’on serait frappé à nouveau car l’ego des terroristes les pousse à essayer de toujours frapper plus fort, de faire le plus de victimes possible. On savait aussi qu’on risquait des frappes obliques, c’est-à-dire des attaquants venant d’autres pays européens – même si beaucoup sont français. Pour ce qui est de la réaction, je continue à être émue par la façon dont les gens sont capables, au moins juste après, de communier dans une forme de vraie fraternité, dans la douceur. Sont capables d’apprendre, aussi. Parce que quand on baigne dans l’étude des mouvements radicaux, de leurs doctrines, de leurs stratégies, ça fait longtemps qu’on voit venir à la fois le danger et tout ce qu’il faut mettre en place pour essayer de s’adapter. Mais il est normal que des gens qui ne sont pas plongés dans cette littérature et dans cette vision du monde mettent plus de temps à comprendre et s’adapter. Or, même si on est toujours trop lents par rapport au rythme des attaques, on a fait des progrès – et en étant ce que l’on est, c’est-à-dire une démocratie. Et contrairement ce que certains ont envie de nous dire, ce n’est pas notre faiblesse : c’est parce qu’on est une démocratie qu’on a du mal à s’adapter à l’horreur. Au début de l’année, vous nous expliquiez, en substance qu’aussi longtemps que « l’esprit Charlie » durera, il nous protégera. Mais qu’il existait un autre scénario, celui, en gros, du triomphe de la réaction… On est toujours dans le même interstice, où il faut beaucoup d’énergie pour incarner la solution « Charlie » et ne pas céder à la tentation du repli nationaliste, surtout à la veille d’élections régionales où on sait que le Front National est parti pour faire un très bon score. Tout est une question de patience démocratique. Selon le rythme auquel nous allons réussir, ou pas, à arrêter un certain nombre d’attaques, à défaire les commanditaires en Syrie et à entreprendre dans le même temps une déradicalisation profonde chez nous, nous saurons si nous allons rester des démocraties ouvertes ou si nous allons devoir céder à des régimes autoritaires fermés. C’est vraiment une question de timing. Si la violence des attaques continue à ce rythme, dans dix ans, je ne suis pas sûre que nous soyons encore sous des gouvernements démocrates ; j’ai peur que l’Europe se couvre de gouvernements bruns. Mais on peut encore l’éviter parce que, malgré tout, l’esprit du 11 janvier, l’esprit « Charlie » perdure – même s’il a été contesté par certains. Encore faut-il, au sein de cet esprit du 11 janvier, que certains ne perdent pas patience et se tournent vers les plus violents, qui sont aussi les plus incompétents pour faire face à cette menace. Les premières réponses politiques vous ont-elles rassurée à cet égard ? Je suis rassurée par le fait que tous les députés aient chanté la Marseillaise à l’unisson, je suis rassurée par le fait que le gouvernement ait fait des annonces très fermes et très claires, qui ne laissent pas prise au procès en angélisme. Maintenant, on est tous conscients que cette unité nationale est très fragile, qu’elle n’inclut pas réellement les extrêmes. Avec d’un côté une certaine extrême gauche qui explique déjà que c’est de notre faute, que c’est à cause de nos bombardements en Syrie si on a à nouveau été frappé – ce qui est un renversement total des responsabilités, d’une grave irresponsabilité, parce que cela nourrit la propagande djihadiste et sa capacité à recruter parmi nous. Et de l’autre côté, l’extrême droite, dont on sait très bien qu’elle ne résistera pas longtemps à la surenchère xénophobe et démagogique, qui elle aussi a pour but de diviser, de fracturer la société, de nous amener au bord d’une guerre civile entre musulmans et non-musulmans, ce qui est également l’objectif de Daesh, pour à nouveau recruter. Si au moins on arrive à éviter ces deux surenchères, qui a priori s’opposent mais se rejoignent dans le fait de faciliter le travail des tueurs, ce sera déjà un sacré progrès.

Votre compte

Caroline Fourest: «Malgré tout, l’esprit Charlie perdure»

Découvrez la suite, 1€ pour 1 mois (sans engagement)

Avec cette offre, profitez de :

Le fil info

0 Commentaire

Aussi en Opinions

Chronique Wout Van Aert, David Goffin et Boris Johnson: les gagnants et les perdants de la semaine

Le covid en été, façon bon père et bonne mère de famille

Le Kroll du jour sur la maison de Donald Trump perquisitionnée

Le succès interpellant de la surveillance de nos domiciles

Le Kroll du jour sur les risques de pénurie d’eau

Allez au-delà de l'actualité

À la Une

Grand format Alarmes: les centrales veulent partager vos images avec la police

Extraction du béluga de la Seine: malgré son état de santé fragile, il est en route pour la Normandie

Extraction du béluga de la Seine: une opération de sauvetage hors du commun (vidéos)

France: la police abat un homme à l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle

Ukraine: 13 civils tués par des bombardements russes dans la région de Dnipropetrovsk

Immobilier: les 18 et 30 ans sont-ils actifs sur le marché?

Combiner travail et études : voici vos droits et obligations

Voiture de société et grandes vacances : tout ce qu’il faut savoir

Quand la robotisation crée des emplois

Les sections du site

Les services

Groupe Rossel