Pascal Bruckner: «Chaque jour qui passe est un combat gagné contre la peur»

En janvier dernier, Pascal Bruckner – qui venait de perdre trois amis, Wolinski, Cabu et Bernard Maris – estimait que le fait d’être soumis à un défi aussi considérable pouvait permettre à la France de rebondir, que « c’est dans l’adversité que se révèlent les personnalités fortes »… Êtes-vous toujours dans le même état d’esprit ? Oui. Je dirais la même chose. La différence c’est que désormais le mot « guerre » a été officiellement prononcé par les plus hautes autorités de l’État. Finalement, François Hollande n’est jamais aussi bon que dans ces moments-là… Maintenant, la difficulté va être de maintenir la France dans cette situation pendant longtemps, parce que cette atmosphère de guerre – externe et interne – va probablement user les bonnes volontés. On entend d’ailleurs déjà les premiers appels à ce qu’elle cesse, comme si c’était nous qui l’avions déclenchée… Des gens continuent à s’imaginer que « si on est gentils avec eux, ils seront gentils avec nous », sans se rendre compte que c’est une haine existentielle que nous portent les musulmans radicaux. Nous avons besoin d’une sorte de « haine intelligente ». La haine est une réaction de survie face à l’ennemi, mais il ne faut pas que cette haine nous aveugle. Il faut développer une stratégie patiente, en collaboration avec les musulmans français. En janvier, vous disiez déjà que dans ce combat, « nous avons besoin plus que jamais de nos compatriotes musulmans »… Les intellectuels musulmans ont réagi, mais ce sont toujours les mêmes. Sinon, l’islam français sort lentement de sa torpeur. Et de sa peur. Le recteur de la Grande Mosquée de Paris, Dalil Boubakeur, a quatre ou cinq gardes du corps payés par l’État ; Hassen Chalghoumi (responsable associatif et religieux franco-tunisien, NDLR) est protégé par douze gardes du corps parce que ses coreligionnaires extrémistes l’ont condamné à mort parce qu’il est favorable au dialogue avec le judaïsme… La situation est gravissime et l’on s’est longtemps bercé d’illusions. On prend maintenant la pleine mesure du phénomène, qui est qu’on nous a déclaré la guerre. Quelle est l’atmosphère, une semaine après la tragédie ? Chaque jour qui passe est un combat gagné contre la peur. Les gens revivent, les gens ressortent, les cafés se remplissent à nouveau. Mais il y a toujours une petite hantise en tête : est-ce que des jeunes gens ne vont pas descendre d’une voiture et tirer dans le tas ? Ce qui est important c’est que l’opinion soit soudée derrière le gouvernement. Maintenant voilà, on entend déjà l’ultra-gauche protester au nom des droits humains… Attention, il faut évidemment être prudent, il peut y avoir des problèmes avec le respect de nos libertés, mais enfin, la première des libertés que les Français peuvent exiger, c’est la sécurité. Certains, comme Michel Onfray, ou Tariq Ramadan, affirment que c’est la politique internationale de la France, son « deux poids deux mesures », qui doit être questionnée… C’est le discours de la vieille gauche. Évidemment que la politique est tragique et qu’il y a des bonnes et des mauvaises interventions, mais l’interventionnisme en soi est tout à fait légitime. La France a sauvé le Mali quand même, à l’appel des Maliens ! Notons par ailleurs que le pays qui est la cause de tous les malheurs actuels, la Syrie, est le seul où personne n’est intervenu, jusqu’à ce que les Russes s’y mettent. Cette position, qui est également celle d’une certaine droite souverainiste, c’est un peu le complexe d’Astérix : si on reste chez nous, dans notre petit village, ils ne viendront pas nous inquiéter… C’est ne rien comprendre au monde connecté qui est le nôtre. Je crois, au contraire, que la France sauve l’honneur de l’Europe en intervenant en Syrie, et on ne peut que déplorer l’attitude d’un pays comme l’Allemagne, nation riche et prospère, qui a décidé de se laver les mains du sort du monde, mais qui était prête à exécuter la Grèce à bout portant au mois de juin parce qu’elle ne respectait pas l’orthodoxie économique.

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