Facebook à nouveau sur le gril

Vous êtes ultra-prudent quand vous naviguez sur Facebook ? Cela ne suffit peut-être pas… Vos propres amis peuvent -involontairement- vous mettre à nu sur la toile. C’est ce qui est arrivé à des dizaines de millions d’Américains en 2014 : leurs données ont été chipées sans leur consentement, puis, certainement, exploitées à des fins politiques. A l’époque, l’Université de Cambridge vient de développer un outil révolutionnaire. Son centre spécialisé dans la psychométrie – branche de la psychologie consacrée à la construction et à l’utilisation de tests – est désormais capable de définir précisément une personnalité en analysant un profil Facebook : où l’on est, ce que l’on « like », avec qui on communique… C’est justement le genre d’information que recherche SCL, société britannique de marketing ciblé. L’institution refuse de collaborer, mais l’un de ses professeurs, Aleksandr Kogan, a moins de scrupules. Il crée donc une application, « thisisyourdigitallife », qui permettra aux utilisateurs du réseau social de gagner quelques dollars en répondant à un petit questionnaire et en dévoilant toute l’activité de leur page. Étude « universitaire » 270.000 personnes participent volontairement à cette étude « universitaire » et légale, mais il y a une faille : les données de tous leurs « amis » deviennent elles aussi accessibles. Les informations de 50 millions de comptes sont ainsi récupérées par SCL, qui va pouvoir les fournir à un partenaire américain crée pour l’occasion, Cambridge Analytica. Ce nom est choisi par Steve Bannon, héraut nationaliste et ancien conseiller stratégique de Donald Trump, aujourd’hui en disgrâce. Le financement de 15 millions de dollars est lui assuré par l’ultraconservatrice famille Mercer. Et la société sait parfaitement comment elle va utiliser ces centaines de gigabits de données : elle a déjà mis au point un logiciel pour « construire des modèles afin d’exploiter les connaissances sur ces personnes, et cibler leurs démons intérieurs », révèle Christopher Wylie, un ancien employé, à The Observer – l’un des journaux ayant révélé l’affaire. Ainsi, on savait que Facebook avait amplifié la diffusion de propagande politique ou même de « fake news », mais le réseau social pourrait donc avoir aussi permis une vaste opération de manipulation par la droite dure. Wylie décrit l’état d’esprit des promoteurs de Cambridge Analytica : « les lois ne comptent pas pour eux. Pour eux, c’est une guerre, et elle est juste. Ils voulaient mener une guerre culturelle aux Etats-Unis. » Injonction de Facebook Toutefois, la mesure dans laquelle les informations récupérées ont pu être exploitées n’est pas encore établie. Car toutes les données auraient dû être détruites suite à une injonction de Facebook, qui réalise s’être fait berner dès 2015. Et puis la société n’aurait de toute façon pu avoir le temps d’établir les profils précis pour un ciblage efficace au profit de Trump. Sauf que le New York Times, autre média ayant reconstitué tout ce montage, assure avoir vu récemment de larges extraits des informations brutes. Et que Cambridge Analytica n’avait pas attendu l’émergence du milliardaire pour développer son logiciel et aider d’autres candidats républicains. Toutes ces révélations s’ajoutent en tout cas à l’épais dossier actuellement compilé par le procureur spécial qui scrute la présidentielle de 2016 sous toutes ses coutures. Robert Mueller cherche en premier lieu à déterminer si la Russie est intervenue lors de la campagne. Puis en quelle mesure le président américain ou son entourage ont pu être impliqués dans des fraudes – voire eux-mêmes manipulés par Moscou. Coïncidences troulantes Or, de nouvelles coïncidences troublantes émergent : en 2014 et 2015, SCL aurait eu des contacts avec des sociétés pétrolières russes… qui s’intéressaient au ciblage publicitaire des citoyens américains ; et puis le fondateur de Wikileaks Julian Assange affirme avoir été contacté par Cambridge Analytica pour aider à fournir les e-mails privés de la campagne d’Hillary Clinton, adversaire de Trump en 2016. Les découvertes pourraient donc encore se poursuivre. Et si la démocratie américaine peut être considérée comme la principale victime, les dommages collatéraux ont atteint Facebook dès lundi. En début de séance à Wall Street, le réseau social a perdu 6,3 %, plus de 30 milliards de dollars de capitalisation. Cambridge Analytica dément fermement L’entreprise britannique Cambridge Analytica (CA), spécialisée dans la communication stratégique, a «nié fermement» lundi les accusations selon lesquelles elle aurait récupéré sans leur consentement les données de 50 millions d’utilisateurs pour élaborer un logiciel permettant de prédire et d’influencer le vote d’électeurs. «Ces données Facebook n’ont pas été utilisées par Cambridge Analytica dans le cadre des services fournis à la campagne présidentielle de Donald Trump» et aucune «publicité ciblée» n’a été réalisée «pour ce client» indique l’entreprise, mise en cause par les journaux américains New York Times et britannique Observer, et la chaine de télévision britannique Channel 4 News.

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