Libye: Haftar, l’homme fort de Benghazi, hors-jeu pour raison de santé?

Comment va le maréchal Haftar ? La question taraude les Libyens. Le dirigeant rebelle tente actuellement de se remettre d’un accident vasculaire cérébral. Il est soigné depuis deux semaines près de Paris. Mais nombre d’observateurs valident d’ores et déjà le bulletin médical virtuel que les réseaux sociaux répandent sans donner de preuves : en fonction de ses graves ennuis de santé, l’homme – d’ailleurs donné pour mort par certains – serait en tout cas définitivement hors-jeu, une information qui, si avérée, changerait toute la donne en Libye. L’homme fort contre le terrorisme Khalifa Haftar, 75 ans, officier sous le régime dictatorial de Mouammar Kadhafi, avait fait défection dans les années 1980 pour rallier Langley, en Virginie du Nord (États-Unis), qui abrite le quartier général de… la CIA. Revenu au pays en 2011 pendant la révolution soutenue par les Occidentaux, l’homme avait méthodiquement recomposé une puissante force armée – promptement baptisée « Armée nationale libyenne » (ANL) – dotée de chars et de bombardiers. le vétéran avait pris son essor en mai 2014 en lançant l’opération « Dignité » contre les « bandes terroristes » (divers groupes armés souvent d’obédience islamiste qui avaient morcelé le pays après la dictature). Haftar a connu quelques déboires mais surtout des succès : fort du soutien politique, logistique et militaire du voisin égyptien et des Émirats arabes unis, il a mené l’ALN à la conquête d’une grande partie de la Libye, dont toute la Cyrénaïque et ses nombreuses ressources en hydrocarbures. Un succès qui le convainquit de son destin d’homme providentiel, et le décida à refuser l’autorité du gouvernement « d’union nationale » installé à Tripoli, sans toutefois y contrôler toutes les milices, sous la présidence de Fayez el-Farraj. L’allié de la communauté internationale La communauté internationale ne reconnaît que ce dernier, mais de nombreuses puissances, du Caire à Londres en passant par Abou Dhabi, Paris et Moscou, entretiennent avec Benghazi, la « capitale » de Haftar, des relations aussi cordiales qu’intéressées avec celui qui dit mener une lutte sans merci contre les dérives extrémistes. Ce faisant, les alliés du général doivent bien fermer les yeux sur les atroces violations des droits de l’homme, surtout moult exécutions sommaires de prisonniers, dont les hommes de Haftar sont accusés. La disparition de Khalifa Haftar comme acteur politique de premier plan, si elle était confirmée, risque de rebattre toutes les cartes en Libye. Car le succès de l’ancien officier de Kadhafi tient pour beaucoup à sa stature d’homme fort capable de mettre fin aux divisions ethniques, tribales, mafieuses et religieuses qui minent le pays depuis cinq ans au moins. Selon des sources informées dans le Golfe, de fiévreuses réunions se tiendraient à haut niveau aux Émirats et au Caire pour qu’un successeur digne de la stature de Haftar soit désigné dans les plus brefs délais. L’homme fort de Benghazi avait, dit-on, préparé ses deux fils, Khaled et Saddam, à lui succéder. Mais, explique au Monde le chercheur Tarek Megersi, « ils ne sont guère respectés des soldats en raison de leur manque d’expérience du combat et des soupçons de népotisme ». D’autres dauphins se profilent néanmoins, comme le discret général Abdessalam al-Hassi, qui aurait ses entrées au Caire et à Abou Dhabi ou le chef d’état-major de Haftar, Abdelrazak al-Nadhouri. Un risque accru de chaos en Libye ? À moins que la nouvelle donne ne profite à Fayez el-Farraj qui, de la capitale Tripoli, à l’ouest, peine à fédérer le pays sous son autorité. C’est ce que pense William Lawrence, ancien diplomate américain en Libye, interrogé par RFI : « La chose la plus importante qui a bloqué la renégociation de l’accord politique pour la Libye, c’était le statut du maréchal Haftar. S’il sort de la scène, il y a une occasion de renégocier cet accord, mais pour le moment les négociations n’avancent pas et l’ONU n’arrive pas regrouper les partis ». À Bruxelles, notre confrère libyen Ali Wahida ne croit pas que le retrait du maréchal pour raisons de santé profiterait à Sarraj : « La disparition de Haftar n’aiderait pas la Libye à sortir de l’impasse, nous dit-il, et il y aurait certainement un risque accru de chaos, même si on peut espérer une recomposition politique. Il est encore trop tôt pour se prononcer. Mais les conséquences politiques et économiques sont évidentes. Non seulement parce qu’une reprise du conflit en Libye finirait par repousser des milliers de migrants en Europe à partir de l’est cette fois, mais aussi parce que les hommes de Haftar contrôlent les principaux sites pétroliers. Dès 2016, l’armée de la Cyrénaïque (de Haftar, donc) avait pris le contrôle des terminaux d’exportation de la région du bassin de Syrte, le « croissant pétrolier ». Haftar a les clés de l’accès à l’or noir et il commande la plus grande faction armée ; il a réussi à tenir à distance les ambitions des petits seigneurs de la guerre ». Une énième ère d’incertitude s’ouvre-t-elle en Libye ?

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