La suppression des provinces buterait sur d’innombrables obstacles politiques

Les élections provinciales du 14 octobre prochain seront-elles les dernières ? Dans le paysage politique wallon, Ecolo revendique clairement la disparition de ce niveau de pouvoir né avec la Belgique. Dans leur déclaration de politique régionale, MR et CDH font part de leur souhait de « reformer en profondeur les institutions provinciales », même si des voix plus radicales s’expriment parfois, surtout chez les libéraux. Côté socialiste enfin, Elio Di Rupo a défendu les provinces lors du congrès pré-électoral de dimanche dernier. L’association qui regroupe le Hainaut, Liège, Namur, le Luxembourg et le Brabant wallon ne reste pas inactive. L’an dernier, elle a commandé à Christian Behrendt, professeur de droit constitutionnel à Liège, une vaste étude qui devrait fournir des arguments scientifiques de poids lorsque le débat entrera dans une phase concrète. Très sensible à six mois des élections, ce document ne flitre pas. Mais les informations recueillies ici ou là permettent de comprendre la logique d’un travail qui a le souci de fermer les portes qui ne mènent nulle part. 1 Le statu quo. A terme, ce scénario n’est pas imaginable. Les provinces ont beaucoup évolué en quelques années : diminution du nombre d’élus, concentration sur des compétences fortes (santé, enseignement), transfert de compétences (routes) vers la Wallonie, réduction du nombre d’ASBL. Le train ne s’arrêtera plus. L’actuel gouvernement estime qu’il faudra toujours « assurer la continuité des services rendus par ces institutions et par le personnel qui les offre. » MR et CDH pensent qu’il est temps d’« analyser finement chaque compétence exercée actuellement par les provinces afin de déterminer si elle doit être octroyée à la Région, aux Communautés, aux communes ou communes associées. » 2 La suppression des provinces et leur remplacement. Pour beaucoup, un échelon de pouvoir intermédiaire entre les communes et la Région demeure utile. La Déclaration de politique régionale MR-CDH l’envisage à sa façon : il faudrait « supprimer le collège provincial et remplacer le conseil provincial par une représentation des communes de la province (mandat dérivé gratuit). » Christian Behrendt envisage deux possibilités. La première consiste à activer les instances prévues par l’article 41 de la Constitution. Celui-ci permet en effet de « remplacer (les provinces) par des collectivités supracommunales dont les conseils règlent les intérêts exclusivement supracommunaux d’après les principes établis par la Constitution. » Mais de deux choses l’une : soit ces collectivités politiques épousent les contours des provinces et on est dans une situation de statu quo sans valeur ajoutée, soit elles ont une taille différente (Wallonie picarde, Coeur de Hainaut et Charleroi pour le Hainaut, par exemple) et cela aura pour conséquence de multiplier les mandats et de disperser les moyens affectés à des politiques importantes entre des sous-provinces devenues rivales. Pour quel gain démocratique et/ou qualitatif en définitive ? La deuxième possibilité consisterait à s’appuyer sur les structures supracommunales existantes comme « Liège Europe Métropole » ou le « Conseil 27 +1 » qui rassemblent élus locaux et provinciaux. Mais ces instances n’ont aucune légitimité démocratique et les questions de financement (pas de capacité fiscale) ou de transparence sautent aux yeux. 3 La suppression des provinces et leur non-remplacement. Evacuons d’emblée une première hypothèse : le transfert intégral des compétences provinciales aux communes. L’opération serait impayable par des pouvoirs locaux qui peinent déjà à assurer l’essentiel. Se pose par contre la question d’une possible reprise des compétences des provinces par d’autres autorités législatives, on songe principalement à la Région wallonne et à la Fédération Wallonie-Bruxelles. Et dans ce second cas, au transfert de l’enseignement où les provinces sont très actives. On peut songer aussi à la culture. L’écueil principal est bien connu et répété ici : même si la Fédération assure déjà la rémunération des enseignants provinciaux, elle devrait reprendre à sa charge les investissements, les charges inhérentes aux locaux, les emplois techniques… Sans capacité fiscale propre, ce qui est le cas de ce niveau de pouvoir, c’est impossible. Rudy Demotte (PS) lui-même a récemment souligné cette évidence : « Il faut confronter les approches théoriques et les réalités pratiques : plus de 50 % des dépenses des provinces concernent le champ d’action de la Fédération et 78 % des agents provinciaux sont affectés à des tâches communautaires. L’intérêt du citoyen est rencontré par l’exercice actuel des compétences provinciales », a dit le ministre-président. Une solution saute presque aux yeux : la régionalisation de l’enseignement pourrait régler la question. Avec sa capacité à lever l’impôt, la Wallonie pourrait faire face aux défis d’un transfert de l’enseignement provincial. Mais on est loin du compte : il n’y a pas d’accord politique sur cette question. Et cette formule poserait un autre souci : à Bruxelles, la régionalisation impliquerait la Cocof (Commission communautaire francophone) qui, elle non plus, ne dispose pas de pouvoir fiscal. La Région bruxelloise pourrait apporter son aide, mais la question serait éminemment communautaire. Tout ça pour supprimer cinq provinces ? Peu probable… 4 La réforme des provinces. Reste cette dernière voie, déjà engagée et qui est la moins radicale. Pour le rapport Behrendt, elle passe immanquablement par un transfert progressif de toutes les matières provinciales à caractère régional vers la Wallonie, personnel compris : économie, tourisme, environnement, patrimoine… Au total, il y en a pour 393 millions d’euros. Ainsi soulagées d’une part importante de leurs compétences, les provinces devraient accepter un sacrifice non négligeable, mais qui ferait office de compensation : la disparition du fonds des provinces. Actuellement, la Wallonie débourse de l’ordre de 140 millions chaque année pour soutenir l’action provinciale. Elle en serait dispensée, de manière progressive également. Parmi les autres pistes de réforme envisagées : la disparition des ASBL provinciales. Elles ont permis de mener des politiques de proximité sans la lourdeur inhérente aux administrations, grâce notamment à des emplois APE. Mais elles échappent au contrôle du conseil provincial et de la Cour des comptes. Il est proposé de les vider progressivement de leur substance au profit de régies provinciales. 5 La piste de la supracommunalité. Confier les compétences provinciales à des entités supracommunales serait irréaliste, on l’a vu. Par contre, l’avenir des provinces passe sans doute par les pouvoirs locaux. C’est déjà une réalité : la Wallonie impose à ses cinq provinces de consacrer 10 % des moyens du fonds des provinces au soutien de ceux-ci. Il s’agit d’une piste intéressante. Dans une province comme le Hainaut, deux tiers des communes ont moins de 10.000 habitants et un quart moins de 5.000 habitants. Pour développer des projets qui requièrent des compétences importantes et des moyens financiers souvent colossaux, les pouvoirs locaux n’ont pas d’autre choix que de collaborer, et la province peut jouer un rôle de conseil, d’ensemblier, bref de « grand frère ». Un slogan est même lancé : « Co-construire le Hainaut ». A la tribune d’un colloque au Grand-Hornu, le député provincial Serge Hustache (PS) a dit sa conviction : « La province est le paratonnerre de tous les problèmes institutionnels. On n’avance pas par la soustraction des savoir-faire, mais par l’addition des compétences. »

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