Arménie: Pachinian parachève la «Révolution de velours»

Depuis Erevan, La seconde aura été la bonne. Une semaine après avoir échoué, à six voix près, à se faire élire, Nikol Pachinian a bénéficié du report de dix voix du Parti républicain et a été désigné mardi, à la mi-journée, Premier ministre de l’Arménie. L’annonce du vote a fait retentir des cris de joie dans Erevan et dans tout le pays, elle conclut une « révolution de velours » appelée par Pachinian lui-même, qui va troquer sa casquette d’opposant farouche contre celle d’homme d’Etat. Lundi soir, Nikol Pachinian avait accueilli à l’aéroport d’Erevan un des Arméniens les plus célèbres de la diaspora : le chanteur Serj Tankian, charismatique leader du groupe de rock arméno-américain « System of a Down », est venu de Californie pour participer à la liesse générale. « Je suis stupéfait », s’est exclamé en arrivant à Erevan cette grande star de la diaspora arménienne, dont l’aura à Erevan n’est pas loin d’atteindre celle de Charles Aznavour. Les jeux étaient quasiment faits avant le vote, le Parti républicain arménien ayant craqué mardi dernier devant une grève générale qui a révélé que Pachinian et la rue détenaient le pouvoir réel dans le pays. « Le vote de nos dix députés ne signifie pas pour autant que nous soutenons Pachinian, qui va découvrir le poids des responsabilités au pouvoir », a ainsi déclaré un responsable du parti avant le vote, souhaitant « apaiser les tensions et les haines ». Appel à la diaspora Un discours en décalage avec l’ambiance régnant dans toute l’Arménie, où si le rejet du régime en place était palpable, le mot d’ordre de révolution pacifique avait été parfaitement respecté. Depuis la journée du 23 avril, où les forces de l’ordre ont fait usage de grenades défensives, faisant 43 blessés, aucun incident n’a eu lieu. « Nikol Pachinian ne cherche pas à se venger du système républicain, il voudra l’apaisement », explique un de ses proches. Ce mardi, à l’Assemblée nationale, Nikol Pachinian s’est livré à un nouveau discours de politique générale. Il a indiqué que la réforme de la loi électorale serait sa priorité afin d’assurer des scrutins « libres, honnêtes et transparents », alors que, de l’avis des experts, les élections des vingt dernières années ont été largement faussées par le camp au pouvoir. « Nous recherchons également de nouvelles voies pour lutter contre la corruption », a-t-il poursuivi. Pachinian a centré son discours sur l’instauration de l’Etat de droit et de la justice dans le pays, ainsi que l’éradication de la violence de la sphère politique. Il a également lancé un appel vibrant à la diaspora, 7 millions d’individus, 300.000 départs ces dix dernières années, à investir dans l’économie du pays pour créer du travail. « Le moment de votre retour est venu », a-t-il espéré, utilisant même le terme de « rapatriement de masse ». « Nous n’éradiquerons pas tout ce qui a été mis en place par le gouvernement précédent, mais seulement ce qui est néfaste », a enfin ajouté Pachinian. « Il estime que l ’è re des mots se terminant en -isme est révolue, il refuse de se définir en fonction d’une idéologie. Je pense que Pachinian, Premier ministre, sera progressiste sur l’économie, le social ou l’éducation » , estime Maria Karapetian, chercheuse en résolution de conflit et activiste civique. Des « attentes élevées » « C’est une victoire nimbée d’une émotion rare pour tous ces manifestants pacifiques, estime Richard Giragosian, politologue et directeur du Centre d’études régionales d’Erevan, qui se veut confiant. Les plus gros défis de Pachinian sont désormais ceux de la bonne gouvernance, le besoin de consensus de compromis ainsi que la nécessité d’éviter toute vendetta politique alors que les attentes de la société sont dangereusement élevées. » Nikol Pachinian était attendu sur les questions diplomatiques, alors que le Kremlin s’est peu exprimé depuis le début de la crise (lire par ailleurs) et que l’Arménie est en guerre avec l’Azerbaïdjan, au Nagorny-Karabagh. « Pachinian sera plus conservateur en diplomatie, il devrait instaurer une continuité en politique internationale, dur avec l’Azerbaïdjan, sans remettre en cause l’alliance stratégique avec la Russie », analyse Maria Karapetian. Le discours de Pachinian va dans ce sens. « Notre relation stratégique avec la Russie est centrale, a-t-il réaffirmé. Nous devons travailler plus dur pour la reconnaissance de l’Artsakh (nom arménien du Haut-Karabagh, NDLR). » Dans ce cadre, Pachinian s’est déclaré prêt à rencontrer le président azéri Elham Aliyev, alors que les derniers combats sérieux sur la ligne de front se sont déroulés en 2016, durant l’épisode de « la Guerre de quatre jours ».

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