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Les enfants roms sont-ils aussi des enfants?

Les familles roms du parc Maximilien passent leur vingtième nuit à la rue après leur expulsion du centre Fedasil qui les hébergeait depuis plusieurs mois.

Temps de lecture: 5 min

A l’heure où j’écris ces lignes, des enfants dorment, sous la pluie, dans un parc bruxellois, abrités par des tentes de fortune offertes par des citoyens bienveillants. Conformément aux injonctions du Secrétaire d’Etat à l’asile et à la migration et de Fedasil, les services sociaux qui les accompagnaient depuis de longs mois dans un centre d’accueil, ont été contraints de les jeter à la rue, il y a vingt jours déjà. Il n’y avait pourtant ni nécessité, ni urgence. Les chambres dans lesquelles ils séjournaient sont d’ailleurs toujours disponibles…

La Convention relative aux droits de l’enfant et les droits humains les plus élémentaires sont depuis chaque jour piétinés. Que ce soit la santé, l’éducation, la protection de leur intégrité ou, plus prosaïquement, avoir un toit au-dessus de la tête, ces enfants et leurs familles sont privés d’une vie décente. Mais que pèse la vie d’un enfant rom dans la balance de la gestion des flux migratoires ?

Symbolique du mépris de certains pour les droits des enfants, cette expulsion a été ordonnée au lendemain d’une recommandation formelle, que j’adressais, en tant qu’autorité indépendante, aux différents responsables politiques concernés. Cette recommandation concernait déjà deux familles, comptant au total dix enfants, qui squattent depuis près de cinq semaines un des petits porches de la porte d’Anderlecht. Mercredi 13 mai, ce n’était donc plus dix mais vingt et un enfants qui étaient contraints de vivre et dormir dehors dans la capitale de l’Europe…

La mauvaise case

Comment comprendre qu’un pays aussi prospère que le nôtre et qui peut se targuer d’une longue tradition démocratique puisse ainsi se défausser quant au respect de la Convention des droits de l’enfant, qui constitue pourtant le texte international le plus ratifié au monde ? Peut-être faut-il aller chercher la réponse chez Michel Foucault pour qui, trop souvent, l’acte de gouverner consiste essentiellement à placer dans des « cases » des groupes humains selon certaines caractéristiques.

PHOTO SYLVAIN PIRAUX
PHOTO SYLVAIN PIRAUX

La sphère économique étant désormais hors d’atteinte pour nos responsables, leur rôle serait, à présent et pour une large part, celui de transformer la « vie nue » en « vie politique ». Une opération qui vise à sérier la population et à organiser la place qui sera dévolue à chacun dans l’espace politique. Ainsi, des êtres de chair et de sang – de la vie nue – seront érigés en « illégaux », en « chômeurs », ou en quelque autre catégorie stigmatisée, avec des conséquences lourdes sur la suite de leurs vies. Dans cette « biopolitique », les enfants roms dont il s’agit ici se retrouvent malheureusement classés dans une très mauvaise case. Celle des « migrants européens » qui ne peuvent espérer ni droit d’asile, ni protection subsidiaire. Ils sont traités comme de simples touristes européens alors que leurs histoires ressemblent étrangement à celles de migrants extra-européens, paupérisés, discriminés, victimes de racisme et de violence.

Racisme d’Etat et mythe de l’invasion

Racisme d’Etat ou peur d’un appel d’air qui verrait notre pays être la destination privilégiée des migrants roms comme éléments d’explication de la décision d’expulser ces enfants et leurs familles ? Sans doute un peu des deux. Dans tous les cas, je veux juste redire avec force qu’il est clair qu’un enfant rom est surtout traité comme un Rom et très peu comme un enfant. Depuis sept ans que j’exerce la fonction de garant du respect des droits des enfants, l’énorme majorité des dossiers d’enfants amenés à coucher dehors concernaient des familles européennes dites « roms ». La question d’une discrimination raciale ne peut donc être évacuée.

Quant à cette peur de l’invasion exprimée parfois de façon explicite, elle n’est pas confortée par la réalité des faits. Les familles dont il est question ici sont présentes sur notre territoire depuis de longues années. Nombre des enfants dont je parle sont nés en Belgique et la plupart y ont été scolarisés et socialisés. L’ensemble des familles européennes « en errance » représente moins de 300 personnes et ce chiffre est stable depuis plusieurs années.

Tout comme l’existence des discriminations et des persécutions qui ont poussé ces familles à quitter leur pays d’origine est matériellement démontrée et attestée par de nombreuses organisations internationales, le fait que les seuls repères de ces enfants soient d’abord chez nous, qui est aussi chez eux, est tout aussi indéniable.

Du ressaisissement

Qu’un enfant de cinq ou dix ans ait déjà eu à vivre plusieurs expulsions n’est pas seulement moralement intolérable et indigne d’un pays comme le nôtre mais également incompréhensible. Même au nom de la « realpolitik » la plus stricte, y compris sous l’angle économique. En effet, le coût financier des mesures temporaires répétées de leur prise en charge est sans doute supérieur à celui de leur intégration pleine dans la « vie politique ». Le coût psychologique et humain risque quant à lui – par frustration, perte de confiance dans le système, non-scolarisation, ressentiment négatif à l’égard de la société – de voir ces enfants devenir des citoyens inadaptés.

C’est donc au ressaisissement que j’appelle les autorités compétentes, tant au niveau fédéral que régional, au respect de l’Etat de droit ainsi que la lettre et l’esprit de la Déclaration universelle des droits de l’Homme mais aussi, surtout en l’occurrence, de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant.

 

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