Comment, pour barrer la route à Marine Le Pen, on va faire son jeu

Le carnage du 13 novembre et le succès attendu du Front National aux élections régionales du 6 décembre vont-ils susciter, en France, une dynamique d’union nationale ? Révolution copernicienne : la France de la bipolarisation de plomb irait plus loin que la Belgique elle-même dans le rejet des oppositions binaires et des confrontations hémiplégiques. Hourra ? Voire… L’auteur de ces lignes n’a cessé de militer en faveur d’un dépassement – non pas d’un rejet mais d’un dépassement – des oppositions politico-idéologiques rigides et structurantes. Ce furent toujours, en effet, ces grands moments de convergences qui provoquèrent, en France, une accélération de l’Histoire : quand, aux Etats généraux de 1789, les éléments avancés de la noblesse et du clergé retrouvèrent ceux du Tiers Etat pour s’ériger en Assemblée nationale ; quand, en 1830, orléanistes et républicains firent front face aux tenants d’une régression radicale ; quand les patriotes de tout bord, des communistes aux libéraux en passant par les démocrates chrétiens, constituèrent, en 1943, le Conseil National de la Résistance ; quand, avec Pierre Mendès-France puis avec le Général de Gaulle, des socialistes, des centristes et des conservateurs unirent leurs efforts pour mettre fin, d’abord à la calamiteuse guerre d’Indochine, ensuite à la tragédie algérienne. Je devrais donc me réjouir. Cependant, la stratégie d’union républicaine gauche-droite, voire même de fusion de la droite sarkozyste et de la gauche hollandaise, destinée à barrer la route au Front National, plus exactement pour l’empêcher de s’emparer d’une région, m’apparaît à terme absolument catastrophique. Pourquoi ? D’abord parce que toutes les alliances que je viens d’évoquer tendaient à un objectif constructif : réformer, régénérer, libérer le pays. Ainsi, en 1848, le centre droit et l’extrême gauche confluèrent, un instant, pour établir le suffrage universel. En revanche, la grande coalition préconisée aujourd’hui est purement négative. Sans principe. Sans projet. Il ne s’agit pas de converger pour faire, mais pour empêcher. On n’est d’accord sur rien, on ne porte aucun rêve commun, simplement on veut barrer la route à l’intrus : le Front National. Donc, défendre son pré carré. De quoi s’agit-il en effet ? D’éviter, qu’à l’issue de ces élections régionales, le FN s’empare d’une région et, tout particulièrement, que Marine Le Pen ne l’emporte dans le Nord-Pas-de-Calais-Picardie. Les sondages la donnent, en effet, en tête à près de 40 % des suffrages au premier tour, soit dix points d’avance sur la droite sarkozyste et quinze points sur le PS. D’où l’idée, pour éviter cette désolante issue, de fusionner au second tour la liste de droite et la liste socialiste. Or, non seulement, alors, l’effet psychologique serait désastreux (impression de magouilles et de confusions), mais n’empêcherait pas nécessairement Marine Le Pen de l’emporter, l’aile gauche de la gauche s’abstenant plutôt que de mêler ses suffrages aux sarkozystes et une fraction importante des électeurs de droite, très radicalisée par Sarkozy lui-même, refusant de joindre ses bulletins à ceux de gauche. Double peine donc ! Psychologiquement désastreux, pourquoi ? Parce que, à supposer que le front anti-FN l’emporte, parvienne à barrer la route à Marine Le Pen et gouverne la région tant bien que mal, la gauche s’étant quasiment dissoute, il n’y aurait plus qu’une seule opposition, une seule force en situation d’exprimer et d’exploiter les mécontentements : le Front National ! Paradoxe : si le FN conquérait la région, il serait confronté à toutes les difficultés économiques et sociales qu’il serait incapable de résoudre. Ce qui le démystifierait. Dans le cas contraire, il deviendrait la seule alternative. Quel plus beau cadeau pourrait-on faire à Marine Le Pen que de l’instituer en opposante unique, seule contre tous, face au système, confrontée aux représentants de « l’establishment ». La gauche socialiste n’y survivrait pas. On a concocté un mode de scrutin électoral anti-FN qui, finalement, fait son jeu. Il se pourrait bien que, pour mettre Marine Le Pen en échec aux régionales, on augmente dangereusement ses chances à l’élection présidentielle. La stratégie préconisée par Manuel Valls et qui, in fine , sera certainement adoptée, est celle qui conduisit, dans les années 30, la social-démocratie allemande à soutenir contre Hitler le maréchal Hindenburg. Et qui donna le pouvoir à Hitler ? Le maréchal Hindenburg.

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