Radicalisation: le casse-tête des détenus qu’on ne veut plus relâcher
Guantánamo à la belge, détention administrative, traitement : les idées fusent après l’attaque à Liège. Mais sont-elles réalistes ?


Comment retarder, voire empêcher, la sortie de détenus toujours considérés comme dangereux ? C’est la question que semblait se poser le ministre de la Justice, dimanche, sur le plateau de VTM. Réagissant à la proposition de Bart De Wever de garder les terroristes et les individus fortement radicalisés en détention « tant qu’il existe une menace », Koen Geens a indolemment évacué l’idée de créer des Guantánamo à la belge. Mais n’excluait pour autant pas l’idée de « maintenir incarcéré des gens une fois qu’ils ont purgé leurs peines ». « Nous pouvons penser à une mesure de détention administrative, par laquelle on les enferme préventivement », a amorcé le ministre. « Mais la Cour européenne des droits de l’homme devrait encore examiner si c’est possible. »
Replacer un détenu en détention avant même qu’il ait fait son baluchon : est-ce vraiment envisageable ? Au cabinet de Koen Geens, on confirme qu’« o n parle bien d’une détention, d’une autre peine après la fin de la peine ». Mais on prend soin d’indiquer le sens du vent. « Ce n’est alors plus le juge qui décide. Cela devient du ressort des affaires intérieures puisque la mesure est administrative et n’est donc pas basée sur une décision de justice. »
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Elargir la détention
Reste que les déclarations du ministre laissent Marie-Aude Beernaert, professeur de droit à l’UCL, perplexe. La détention administrative étant une disposition propre au droit des étrangers. « E lle permet », nous éclaire la pénaliste « de transférer quelqu’un, quelques semaines avant la fin de sa peine, de la prison vers l’Office des étrangers ». Un statut administratif, poursuit Marie-Aude Beernaert, qui ne peut être délivré qu’en cas éloignement forcé. Et qui, a fortiori, ne concerne que les étrangers. Quant au droit européen, « il est assez clair et cite les différentes hypothèses dans lesquelles on peut priver un individu de sa liberté ». La radicalisation (qui n’est d’ailleurs pas une infraction) n’en fait pas partie. « On qualifie déjà d’infraction des comportements qui se situent bien en amont de l’attentat terroriste ».
Pour la pénaliste Christine Guillain, l’extension de la détention administrative aux condamnés et aux radicalisés n’est envisageable que dans le cadre d’une loi de circonstance prise dans un contexte particulier. « Et encore… je ne suis pas certaine que cela suffise à justifier la mesure. D’autant que cela va créer des discriminations entre les détenus », ajoute celle qui enseigne le droit à l’université Saint-Louis-Bruxelles. « C’est au tribunal d’application des peines de juger si une personne entre, oui ou non, dans les conditions pour une libération. Avec cette mesure, on court-circuiterait le TAP et on détricoterait tout ce qu’on a déjà mis en place. »
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D’autres mécanismes déjà en place
Le système judiciaire belge permet déjà de « retenir » les détenus que l’État belge tient à garder à l’œil le plus longtemps possible. Le juge peut, par exemple, décider d’assortir la condamnation d’une mise à disposition du tribunal d’application des peines pour une période de 15 ans maximum. Le condamné peut également faire l’objet d’une période de sûreté pour les auteurs d’actes extrêmement graves. Les seuils d’admissibilité à la libération conditionnelle avaient déjà été rehaussés en 2013. Mais le gouvernement a récemment introduit la possibilité pour le juge de fixer une « période de sûreté » au cours de laquelle la personne condamnée ne peut bénéficier de la libération conditionnelle. Problème : la mise à disposition et les périodes de sûreté sont des mesures qui accompagnent la peine. Elles ne peuvent être prises en cours de détention et ne s’appliquent donc pas aux détenus qui se radicalisent en prison.
Une fois libéré, le terroriste fait aussi l’objet d’une étroite surveillance par la police et les task forces locales, la Sûreté de l’État ou encore les maisons de justice. Et le bracelet électronique ? La mise sous surveillance de tous les radicalisés répertoriés comme tels par l’Ocam faisait partie du pack de dispositions antiterroristes annoncées après les attentats de Paris mais la mesure s’avère au final trop difficile à mettre en œuvre. Aux oubliettes.
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Et de nouvelles pistes
Si on ne peut maintenir éternellement les détenus les plus dangereux en détention, comment favoriser leur réintégration ? En France, des maisons de transition ont ouvert leurs portes : le « 30 » à Strasbourg et « La Ferme de Moyembrie » en Picardie. Chez nous, le projet est en voie de concrétisation. « Les discussions sont en cours au Parlement », confirme-t-on au cabinet du ministre de la Justice.
Dans le cadre d’un aménagement de peine sous écrous, le juge du tribunal d’application des peines peut permettre à un détenu de passer ses derniers mois de détention dans une structure d’insertion qui lui offre un accompagnement social, juridique et, plus largement, la possibilité de rebâtir un projet de vie. Cette passerelle entre le milieu carcéral et la société existe aussi au Québec depuis les années 80. Problème : les maisons de transition ne fonctionnent qu’avec certains profils et les terroristes n’en font pas vraiment partie. Dans un rapport publié en 2017, le CAAP (Concertation des associations actives en prison) relève que des services extérieurs, généralement subsidiés par les entités fédérées proposent une aide à la sortie de prison mais que « l’offre faite aux personnes détenues reste largement insuffisante pour répondre à l’ensemble des besoins ». L’organe déplore également « l’insuffisance des moyens mis en œuvre pour éviter la récidive », notamment en ce qui concerne l’aide psychologique et sociale, la formation ou la santé.
Lundi, Koen Geens a justement formulé une autre proposition allant dans ce sens. En commission de la Chambre, il a estimé que la Justice devrait être en mesure d’imposer un parcours de désengagement aux détenus radicalisés comme elle peut le faire pour les délinquants sexuels. Le suivi de ce « traitement » conditionnerait l’octroi de congés pénitentiaires, un régime de détention restreinte, etc.
Actuellement, il n’est pas possible d’imposer aux prisonniers de suivre une formation, de consulter un psychologue, etc. Les détenus radicaux « contagieux » (recruteurs, meneurs, idéologues) sont enfermés dans des ailes distinctes à Ittre et Hasselt. La question se pose aussi de savoir que faire avec les détenus radicaux « non contagieux ». Il n’est pas possible de leur imposer un processus de déradicalisation. En Fédération Wallonie-Bruxelles, les détenus peuvent être pris en charge par le CAPREV (le Centre d’Aide et de Prise en charge de toute personne concernée par les Extrémismes et Radicalismes Violents) mais sur base volontaire uniquement.
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S'identifier Créer un compteQuelques règles de bonne conduite avant de réagir2 Commentaires
Bref, il reste la peine de mort pour être sûr...
Non, commençons par la déchéance de double nationalité pour ces criminels et renvoi dans leur pays d’origine.