Roberto Martinez au «Soir»: «Je ne mens jamais, je cache la vérité»

Le sélectionneur national a pris une heure de son jour de relâche pour évoquer son métier, sa liste des 23, les deux premiers matches amicaux et la polémique Nainggolan. En ce lendemain de Belgique-Egypte, le Centre national de Tubize est désert. Les joueurs ont reçu un jour de liberté. Pas le coach qui a dormi à Tubize. Nous avions choisi expressément de ne pas solliciter d’interview plus tôt dans l’année et d’attendre sagement la liste des 23 puis les premiers matches amicaux pour voir le sélectionneur en tête-à-tête. Il aurait pu refuser, vu la proximité des échéances mais Roberto Martinez est un homme de parole et nous a longuement reçus. Devant son cappuccino, le Catalan est détendu, souriant. Et, fait notoire, il se montre bien moins langue de bois que dans ses conférences de presse. « Après un match, vous pouvez me demander ce que vous voulez, je vous l’expliquerai. Par contre, avant, je ne dévoile jamais mes batteries. Si l’adversaire connaît mon plan, ce sera bien plus facile pour lui de préparer la rencontre. Je ne mens jamais, je cache la vérité (il rit). Il est important de comprendre que c’est une stratégie. Chaque détail compte. » [scald=21756353:sdl_editor_representation] Brillant communicateur, sa réputation en avait pris un coup suite à la saga Nainggolan. Pendant une heure, nous avons retrouvé le passionné de football, très pédagogue sur certains points, parfois impatient sur d’autres mais toujours avec la volonté de clarifier les zones d’ombre. Et fidèle à ses principes et son éducation, qui lui interdit de divulguer la teneur des discussions privées. « Je ne critique jamais les joueurs car si le match a été mauvais, c’est ma responsabilité. Je les avais choisis parce que je croyais en eux. Pourquoi devrais-je dès lors les critiquer ? Pour me protéger ? Désolé, je suis responsable de la façon dont joue l’équipe. Le football tourne autour des joueurs et je suis là pour les aider. » L’ancien coach de Wigan et d’Everton donne l’impression qu’il sait où il va et qu’il est capable de nager à contre-courant de l’opinion publique. Parfaitement conscient qu’il sera jugé uniquement sur le résultat de la Belgique à la Coupe du Monde. « En football, tout va très vite. J’ai prolongé mais je sais que tout dépendra des prestations en Russie. » Roberto Martinez, quel regard portez-vous sur votre bilan après deux ans à la tête des Diables rouges ? Nous possédons des joueurs qui savent ce que cela veut dire de rejoindre l’équipe nationale. Ils lui sont pleinement dévoués. J’ai un groupe habitué à jouer ensemble depuis qu’ils sont tout jeunes. Ils ont grandi ensemble. Les enfants de l’époque sont devenus des grandes stars mais quand ils reviennent en sélection, ils redeviennent les gamins qu’ils étaient. Ils sont heureux de se revoir. Je ne m’attendais pas à cela. On retrouve généralement ce sentiment dans les sélections d’Amérique du Sud. Les nations européennes sont plus structurées, plus pragmatiques tandis qu’en Amérique du Sud, il y a cette fierté de représenter le pays, de se retrouver ensemble. Sentez-vous parfois dans votre groupe transpirer la réalité de votre pays d’accueil, divisé entre Flamands et Wallons ? Non, jamais. Quand ils sont ensemble, les gars sont avant tout des footballeurs. Peut-être est-ce parce que je suis neutre et que la communication se fait en anglais, mais je n’ai jamais senti une différence. Celles qui se marquent sont celles entre les joueurs partis tôt à l’étranger ou plus tard, entre ceux qui ont déjà un vécu international ou pour qui c’est plus neuf, entre ceux qui évoluent dans des grands clubs et les autres. En vivant à l’intérieur du groupe, vous saisissez davantage le chemin parcouru par le footballeur que ses racines linguistiques. Lors de votre signature, les choses paraissaient claires : comptiez-vous vraiment rester plus de deux ans ? Non. Dans ma tête, je m’engageais pour deux ans. Je pensais qu’une équipe nationale ne serait pas aussi prenante que le travail au day-to-day avec un club. Je restais sur 7 saisons de Premier League. L’objectif consistait à qualifier cette équipe pour la Coupe du Monde et à la coacher pendant l’événement même. Cependant, en me plongeant au cœur du football belge, j’ai commencé à m’intéresser aux jeunes, à l’éventualité de préparer l’avenir. Et quand la possibilité de travailler avec cette génération durant deux tournois s’est posée, j’ai senti que c’était bien pour le football belge que je continue. [scald=21755785:sdl_editor_representation] Quand avez-vous entamé les négociations pour prolonger votre contrat ? Quand Preud’homme s’est manifesté ? Non, pas du tout. C’est l’Union belge qui est venue à moi, pas le contraire. Dans un premier temps, la Fédération m’a demandé si j’étais intéressé de rester. Je n’ai rien initié car je n’étais pas dans une position dans laquelle je pouvais lancer une quelconque négociation. Puis, j’ai dû donner une réponse. J’ai évalué la situation : la création de la Nations League permet de disputer une compétition chaque année. J’ai commencé une relation avec les joueurs et j’ai voulu continuer. J’ai senti que c’était naturel de poursuivre. Pourquoi n’avoir pas demandé d’augmentation salariale ? Si j’avais fait ce job pour l’argent, je n’aurais jamais accepté une sélection. Je serais resté en Angleterre. Je sais que certaines de mes demandes en termes d’organisation ou d’infrastructures coûtent de l’argent. Et je savais que si je demandais une augmentation salariale, nous ne pourrions pas répondre à d’autres exigences. Je préfère que l’argent soit investi dans d’autres domaines pour que l’on devienne plus fort. Il faut s’adapter à la taille de la Fédération dans laquelle on travaille. Ces derniers temps, vous avez vécu sous le feu des critiques. Comment vivez-vous ces attaques ? Je comprends la situation car elles sont inhérentes à mes fonctions. Je fais toujours ce qui me semble le mieux pour l’équipe afin qu’elle preste au plus haut niveau possible en Russie. Personnellement, je reste pleinement focalisé sur ma tâche. Je ne prends pas des décisions à court terme si je sais qu’elles ne seront pas bonnes sur le long terme. Je comprends que certaines décisions soient plus populaires ou plus acceptables que d’autres, mais elles sont prises avec honnêteté et le sens des responsabilités. Toujours en fonction des objectifs à atteindre. Ce n’est pas la réaction à vos décisions qui doit être bonne mais la décision elle-même. Pensez-vous que les supporters et les médias comprennent suffisamment vos décisions ? Franchement, je ne sais pas. Je me concentre et j’essaie de faire le mieux possible, en communicant les raisons de mes décisions. Et en rappelant toujours que je vise le bien du groupe. On ne peut pas dire que la communication autour de la saga Nainggolan ait été très claire… Au contraire, nous avons été très clairs ! La raison de sa non-sélection, que les gens l’acceptent ou pas, est tactique. Mais il joue dans le championnat le plus tactique au monde… Quand je parle de raison tactique, je ne parle pas de son intelligence tactique mais de la manière dont les joueurs offensifs sont disposés dans mon système. Vous ne pouvez pas jouer avec plus de 11 joueurs sur le terrain. Quand vous jouez avec Eden Hazard, Dries Mertens, Romelu Lukaku dans les rôles offensifs, il faut prendre des décisions tactiques. Et il n’était pas possible de l’intégrer dans les 23 malgré tout, même s’il ne fait pas partie du onze-type ? Je ne peux pas me permettre de regarder les choses sous le prisme d’un seul joueur. Je dois rester neutre. Si je ne l’étais pas, j’aurais pris Kevin Mirallas, le joueur que je connais le mieux, avec lequel j’ai travaillé durant cinq ans à Everton. Je sais ce qu’il vaut comme être humain mais la réalité est que je dois traiter son cas d’un point de vue objectif : voir ce que les joueurs apportent et ce dont l’équipe a besoin sur le terrain. Et ça rend les décisions compliquées : il faut évaluer chaque candidat, voir ce qu’il a apporté durant la campagne qualificative. Cette procédure, je l’ai appliquée à Mertens, Hazard mais aussi à Nainggolan. Et on est arrivé à la conclusion qu’il y a joueurs qui ont besoin d’être des « starring-role » (des joueurs cadres) et d’autres qui sont capables d’être « squad-role » (des seconds couteaux). Voir les premiers se glisser dans la peau des seconds, ça n’arrive jamais ! Surtout à la Coupe du Monde, durant une période physiquement et émotionnellement intense. Et il faut donc trouver une bonne balance entre les profils de chacun. Évidemment, il est plus intéressant pour les médias et le grand public de penser qu’il y a quelque chose de controversé derrière la non-sélection de Nainggolan. Comme une dispute entre lui et moi, par exemple. Mais désolé, ce n’est pas le cas. J’ai tout simplement pris des décisions basées sur ce que j’ai vu les deux dernières années. Cela vous touche-il que les gens ne croient pas en la raison tactique ? Si ça commence à m’ébranler, ça va perturber mon travail. Vous ne pouvez être affecté que par les choses qui vont vous aider dans votre travail, pas par ce qui est périphérique. Cela aurait été bien plus facile pour moi de sélectionner les joueurs populaires : il n’y aurait pas eu de réaction, mais cela n’aurait pas été professionnel. Je n’aurais jamais survécu 7 ans en Premier League si j’avais veillé à la réaction des gens. Même si cela vous rend tout de même impopulaire ? Certes. Il est évidemment plus facile d’être compris que l’inverse. Mais mon job n’est pas d’être populaire. Nous sommes engagés dans un processus destiné à ce que l’équipe soit prête pour la Coupe du Monde. Et il faudra me juger sur ce qui se passera en Russie, pas sur ma sélection. On peut ne pas comprendre mes choix mais il faut par contre être persuadé que je le fais pour le bien de l’équipe. Avec Nainggolan, il semble que ça coince entre vous depuis le début… Non, non. Il n’a pas toujours été repris, certes, mais c’était chaque fois pour des motifs différents. Tout le monde semble surpris par son absence mais que doivent alors penser Divock Origi ou Kevin Mirallas qui ont été repris tout le temps depuis deux ans ? Ou Christian Benteke qui a sauté de la liste des 28 ? La réponse est toujours la même : nous devons avoir une équipe équilibrée. Vous évoquez l’absence de Benteke. N’est-ce pas dangereux de partir en Russie seulement avec deux attaquants ? Vous en totalisez deux, moi je pourrais en compter quatre puisque Dries Mertens a joué comme attaquant durant toute la saison à Naples et qu’Eden Hazard a également tenu ce rôle durant quelques matches à Chelsea. Je préférais doubler les postes de n°10 : désormais on a Dries Mertens, Eden Hazard, Thorgan Hazard et Adnan Januzaj. C’est équilibré. Si l’un de nos deux meneurs se blessait, on ne pouvait plus évoluer dans ce système. Désormais, on possède une alternative. Si on vous comprend, la dernière place s’est jouée entre Benteke et Januzaj ? Oui. Pourquoi avoir pris autant de n°6 ? Ils ne sont pas tous similaires, même s’ils peuvent tous jouer à la même position. Selon les besoins, je peux ainsi changer de profil. Il ne faut pas oublier que je pose aussi mes choix non pas en fonction des prestations joueurs en club mais aussi de leur comportement en sélection. Certains sont littéralement transformés quand ils rejoignent les Diables rouges. Plus que jamais, la flexibilité est votre maître-mot ? Nous sommes une équipe construite pour avoir le ballon. Nous devons donc avoir des personnalités qui ont cette capacité de conservation du ballon. Et nous devons y ajouter un élément physique capable de nous permettre de récupérer le plus vite possible la possession. Parfois, on dit que vous voulez faire de la Belgique une petite Espagne… Non, non, ce n’est pas mon intention. Pas du tout ! La Belgique est unique. La majorité des joueurs évoluent en Angleterre, où le jeu est intense, basé sur la transition, avec beaucoup de contacts dans les deux rectangles. En plus de ce vécu, les joueurs belges ajoutent leur technique. Ils contrôlent facilement le ballon et ont une facilité d’élimination en un contre un sans nul autre pareille. L’Espagne a une philosophie davantage basée sur la possession. Mais elle n’a pas cette qualité de un contre un que nous possédons. Vous avez connu beaucoup de problèmes avec les blessures... Oui, c’est notre principale préoccupation depuis deux ans. D’autant plus quand voit le niveau atteint par Alderweireld, Vertonghen, Kompany et Vermaelen. Étant donné leur expérience, les clubs dans lesquels ils jouent, leur leadership, on ne veut en perdre aucun ! En ce moment, on a trouvé une solution de manière à leur donner le plus de temps possible pour récupérer. La vérité est toute simple : j’ignore si Vermaelen et Kompany seront remis. Je m’en réfère entièrement à mon staff médical. Mais au-delà de leur rééducation, il faut voir comment Vincent et Thomas réagiront sur le terrain. Être remis, c’est bien. Encore faut-il qu’ils soient compétitifs. Mais ils sont tellement professionnels qu’ils méritent que l’équipe nationale, en retour, leur donne la possibilité de poursuivre calmement leur rééducation. Que faites-vous si Kompany n’est pas remis pour le premier match mais que les médecins soutiennent qu’il peut l’être pour les huitièmes de finale ? La vérité, c’est que je ne sais pas. Ma décision ne sera prise que le 17 juin, à 24h du match contre le Panama et donc à la limite du délai légal, en fonction des informations du staff médical. Vous vous retrouvez dans la situation que tout le monde craignait depuis deux ans : partir en Russie avec deux énormes points d’interrogation concernant Kompany et Vermaelen. Comment gérez-vous cela ? Nous savions que la fraîcheur physique allait jouer un rôle primordial. La préparation que nous avons concoctée est équilibrée. Dès le mois de mars, nous avons permis à certains joueurs de récupérer. À la fin de saison, chacun a pu couper durant une semaine. Nous restons en Belgique afin que chacun puisse voir sa famille et pour limiter les déplacements. Et jusqu’à présent, nous n’avons pas remarqué de lassitude chez les joueurs. Au contraire, on les sent régénérés et on voit qu’ils travaillent dur. Contre le Portugal, ils avaient des jambes lourdes et c’est ce que nous voulions. Qui commandera la défense en cas de forfait de Kompany et de Vermaelen ? Tout le monde. Dans ce système, la communication est vitale. Ce n’est pas le joueur placé au centre qui commande le plus, mais les deux autres. Ils doivent en également dicter la position des latéraux. Jouer au centre est plus facile. C’est pour cela qu’il est bon d’avoir Alderweireld et Vertonghen à ces deux positions. Deux joueurs qui évoluent ensemble à Tottenham, qui se comprennent et qui peuvent faire remonter ou redescendre la défense ensemble. Pourquoi avoir opté pour votre équipe-type dans vos deux premiers matches amicaux ? Il est difficile de trouver le bon équilibre entre « donner l’opportunité aux joueurs de se montrer » et « peaufiner les automatismes et synchronisations ». En sélection, c’est compliqué de faire en sorte que les joueurs anticipent les mouvements de leur coéquipier. En club, ça se travaille au quotidien. En équipe nationale, vous n’avez que les matches. Or, savoir lire ce que votre coéquipier va faire vous permet de gagner du temps. Si on ne donne pas aux titulaires suffisamment de possibilités de s’exprimer, ils ne pourrons jamais comprendre ce que les coéquipiers vont faire, et donc anticiper leurs décisions. Cet aspect est encore plus important dans un jeu de possession, comme celui de la Belgique. C’est pour cela que nous devons beaucoup jouer ensemble. Mais en même temps, on doit aussi donner assez de temps de jeu pour que chacun puisse se préparer sur le plan physique. Oui, nous devons voir et essayer certains joueurs mais aujourd’hui, j’estime que la priorité est de peaufiner les automatismes. Une chose est de réagir quand vous avez le ballon. Une autre est d’anticiper ! Si vous y arrivez, vous avez un avantage sur l’adversaire. Si je fais jouer Courtois à chaque match, c’est pour qu’il comprenne encore mieux ses défenseurs. Pensez-vous eu l’on attend trop de la Belgique ? C’est bien d’avoir des attentes. Nous avons un groupe formidable, nous portons l’espoir de la nation. Mais nous savons que nous allons devoir faire face à l’adversité. Aujourd’hui, tout le monde croit que l’Allemagne et le Brésil ont survolé la compétition l’année de leur sacre. Mais ce n’est pas vrai. Ils ont eu des matches difficiles et un peu de chance aussi. Il ne faut pas attendre que l’on soit parfait, que l’on gagne 3-0 contre le Panama. Cela n’arrive pas en Coupe du Monde. Et si cela se passe, ce ne sera qu’une conséquence de plusieurs facteurs, le jour même du match. Pas parce que, sur papier, nous sommes la Belgique et qu’ils sont le Panama. Notre pays compte un lot appréciable d’individualités, mais que nous manque-t-il pour avoir enfin une vraie équipe ? Une attitude. Réagir pour ses équipiers, comprendre qu’on forme précisément, une équipe. À ce niveau-là, j’ai été charmé par notre manière de jouer contre le Portugal. On a vu un n°10 défendre dans le rectangle, un autre s’arracher pour couvrir son coéquipier. Il y a deux ans, vous vous vendiez en annonçant à vos futurs patrons « vouloir gagner la Coupe du Monde ». Aujourd’hui, vous semblez plus mesuré… Non, je n’ai pas changé d’avis. Mais une seule des 32 équipes va gagner. Nous sommes qualifiés. L’Italie ne pourra pas la gagner, les Pays-Bas non plus. Nous, on peut. Nous n’allons pas pour gagner la Coupe du Monde mais pour essayer de la gagner. La nuance est là ! L’échec, ce serait de ne pas essayer. Si vous perdez mais que vous avez tout essayé, ce n’est pas un revers. L’objectif sera de jouer le mieux possible. Et si une équipe est meilleure que la nôtre mais que nous avons tout mis en œuvre, nous devrons tous accepter la défaite.

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