Copyright: les géants du net craignent pour leur modèle

Si vous êtes passé place du Luxembourg la semaine dernière, vous aurez sûrement eu droit à un café gracieusement offert par l’Edima, qui défend à Bruxelles les intérêts d’entreprises comme Google, Apple ou Facebook. Un « street marketing » qui illustre une bataille politique féroce en train de se jouer dans les institutions européennes : celle du droit d’auteur. « Filtrez le café, pas Internet », pouvait-on lire au dos de l’activiste venu distribuer des boissons pour l’Edima, drillé à reconnaître les parlementaires qui s’aventuraient sur l’esplanade. A l’origine de ce slogan, une proposition de 2016 de la Commission européenne pour réformer le cadre législatif européen sur le droit d’auteur. Une des dispositions imaginées à l’époque visait à obliger des plateformes telles que Youtube à prendre des mesures « appropriées et proportionnées » pour assurer la protection des contenus couverts par le droit d’auteur (par exemple, une vidéo perso d’un utilisateur où l’on voit une personne danser sur un air protégé). L’idée visait à refermer « l’écart de valeur » entre les revenus publicitaires tirés par Youtube de la diffusion de ces vidéos et ce que les auteurs en perçoivent, il s’agissait donc de renforcer la position de l’industrie musicale face à des acteurs comme le géant de Google. Sur ce point, ces derniers ont essuyé un revers avec les pays européens. Les États membres sont allés plus loin que la proposition initiale de la Commission. Alors que la législation sur le commerce électronique garantit depuis presque 20 ans que les plateformes ne sont pas responsables de contenus mis en ligne par leurs utilisateurs, le texte des pays européens précise en substance que les hébergeurs seront tenus responsables des violations du droit d’auteur commises par leurs utilisateurs. Ce, à moins qu’ils puissent prouver, par exemple, qu’ils ont fait tout ce qui était en leur pouvoir pour empêcher ces violations. Les acteurs du secteur considèrent que cela signifie mettre en place des systèmes de filtrage pour surveiller tous les chargements des utilisateurs et empêcher la publication de vidéos qui seraient susceptibles de violer le droit d’auteur. La Belgique n’était pas en faveur de cette mesure. Elle avait d’ailleurs interpellé le service juridique du Conseil de l’UE (où sont représentés les États membres) pour savoir si elle était compatible avec les droits fondamentaux, notamment la liberté d’expression. A sa grande surprise, les juristes du Conseil ont répondu qu’il appartenait aux États membres de décider où placer l’équilibre entre les différents droits. Les pays européens ont validé cette position de négociation fin mai, sans le soutien de la Belgique. Pour influencer le processus, les plateformes ont donc choisi d’agir là où les jeux ne sont pas encore faits : auprès des eurodéputés. La semaine dernière, le bâtiment de la place du Luxembourg a été le théâtre de réunions quotidiennes entre les négociateurs du Parlement sur ce dossier. Ils espèrent boucler la négociation ce lundi soir en vue d’un vote le 20 juin. L’eurodéputé qui chapeaute la négociation, l’Allemand Axel Voss (de la CDU de la Chancelière Merkel) insiste lui aussi pour introduire des mesures similaires à celles du Conseil. « Nous nous sommes efforcés de trouver un compromis (entre les groupes politiques du Parlement) mais si ce n’est pas possible, il va falloir aller au vote et nous en verrons l’issue », nous a-t-il expliqué. « La raison pour laquelle la Commission a proposé cette mesure était de s’assurer que Youtube rémunère justement les ayants droit pour la musique qu’il diffuse. Mais ce que cette proposition fait (celle de Voss, NDLR) rendrait le filtrage obligatoire sans contraindre (les plateformes) à payer plus », juge de son côté l’eurodéputée Julia Reda (du Parti Pirate allemand). Elle voit dans cette proposition un outil de censure, laissé au jugement des géants du net. Une position que défend aussi l’industrie. Cette mesure « causera des dommages irréparables aux droits fondamentaux des utilisateurs Internet et à l’innovation, la créativité et l’économie en Europe », déplore Maud Sacquet, de CCIA, qui représente Google ou Facebook. « Voss dispose d’une majorité d’une seule voix », souligne l’eurodéputée. Une victoire pour les éditeurs de presse L’autre grand cheval de bataille de la réforme vise un juste partage des revenus entre la presse en ligne et les agrégateurs de news (comme Google News). La question est particulièrement sensible pour la Belgique, après l’affaire qui a opposé les éditeurs de presse belge francophone à Google, entre 2007 et 2011, sur ce point précis. La réforme européenne du droit d’auteur envisage la création d’un « droit voisin » pour les éditeurs de presse. Dans leur position de négociation, les États membres ont décidé que le partage d’extraits « négligeables » d’un article resterait gratuit, mais que chaque pays aurait le choix de définir ce qu’il entend par « négligeable ». Ce qui veut dire que chacun restera libre de considérer que des extraits très courts, comme les « snippets », soit la manière dont Google présente ses résultats de recherche, doivent être couverts par le droit voisin. Julia Reda y voit une « taxe sur les liens internet » et explique que plus de cent eurodéputés ont signé une lettre à Axel Voss demandant le retrait de cette mesure du texte du Parlement. Ce dernier a par ailleurs élargi le droit voisin pour y inclure les agences de presse. Il nous dit ne pas avoir de majorité claire sur sa version du droit voisin. Les eurodéputés sont soumis à une pression intense sur cette question, nous dit Julia Reda, qui voit dans la puissance du groupe de presse allemand Axel Springer la raison pour laquelle certains élus soutiendront cette mesure contre leur conviction, de peur des représailles de leurs alliés eurodéputés allemands conservateurs. Une fois le Parlement prêt, il lui restera à négocier avec les États membres. Vu l’importance de toutes ces questions pour les modèles de géants comme Google ou Facebook, la bataille ne fait vraisemblablement que commencer.

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