Johnny Marr: «Le rock n’est pas ringard»

Depuis Paris Sa coupe de cheveux improbable et son grand sourire lui donnent un air rock doublé d’un vrai charisme. En plus de trente ans de carrière, Johnny Marr s’est imposé comme une pointure dans le monde de la musique. D’abord en tant que guitariste des mythiques Smiths, puis en tant que musicien et producteur caméléon, passant de groupes comme The The ou Electronic à la musique de film notamment. À 54 ans, il revient avec Call the Comet, un troisième album solo tout en nostalgie… Ce troisième album solo ressemble à un voyage à travers l’histoire du rock… Qu’est-ce qui vous inspire quand vous composez ? Quand j’ai commencé à écrire pour mon premier album solo, je faisais partie de Modest Mouse et de The Cribs depuis quelques années déjà et je sentais que j’avais envie d’être dans un nouveau groupe, où le chanteur était aussi guitariste. J’avais déjà composé quelques chansons, dont The Messenger (morceau titre de son premier album solo, NDLR), et même si je ne savais pas comment les choses allaient se dérouler, je savais que je voulais les chanter. J’avais aussi des concepts en tête : dans le premier album, je savais que je voulais chanter des textes sur l’architecture, les buildings, la société… Pour ce troisième album, j’ai simplement suivi mes émotions. En 2016, j’ai sorti mon autobiographie. Ça m’a pris 9 mois de travail acharné. Je me suis remémoré tous les événements du passé : l’école, la vingtaine, les Smiths… Mais une fois que c’était fini, je n’avais qu’une envie : faire de la musique. Je n’avais aucun plan, je voulais juste faire un disque. En suivant mes émotions. Le Brexit est arrivé, Donald Trump a été élu… Ça m’a rendu triste, déçu, en colère, perdu… Mais très vite, je me suis dit que des gens comme Trump ou Theresa May, ne méritaient pas qu’on écrive des chansons sur eux. Les gens me connaissent et savent que j’ai une sympathie pour les sujets de société. Mais meilleure chose que je puisse faire à propos du Brexit, c’est d’écrire des bonnes chansons. Et d’ignorer ces personnes. Donc vos chansons sont politiques, mais à un autre niveau… Quand je suis rentré en studio, je savais que j’allais éviter d’écrire sur la politique. Mais puisque j’aime chanter sur la société et que je ne veux pas que toutes mes chansons soient à propos de moi et mes sentiments, je devais trouver d’autres choses sur lesquelles chanter. J’ai eu l’idée de réfléchir à ce qui se passerait si nous avions à construire un nouveau monde. Je ne pense pas que le monde va s’écrouler : je me sens bien par rapport au futur car je connais un tas de jeunes et ils sont très intelligents. Leurs opinions politiques et leurs préoccupations sont différentes de celles de ma génération. L’évolution de la cause LGBT ces 5 dernières années a par exemple eu lieu uniquement grâce à la jeune génération. Même si bien sûr, certaines choses doivent changer. Plutôt que de me démoraliser, je me suis demandé ce que moi et les gens qui écoutent mes albums diraient si nous devions construire une nouvelle société. C’est pour ça qu’il y a quelques chansons sur la renaissance, l’évasion. D’une certaine manière, ces politiciens m’ont fait une faveur car j’ai été capable de les contourner en écrivant sur ce dont j’avais envie plutôt que sur ce dont je n’avais pas envie. Ne pas nommer toutes les choses et les personnes est peut-être la meilleure manière de parler de politique… Oui, c’est une manière d’être politique. J’ai décidé qu’en tant que personne, peu importe que je sois célèbre ou pas, je n’allais pas laisser ces personnes contaminer et affecter mon esprit. Ma manière de le faire, c’est en jouant d’un instrument et en écrivant des mots. C’est peut-être enfantin mais c’est la seule manière qui me permet de dépasser cela. Quel est votre regard sur le rock aujourd’hui ? C’est une bonne question ! Mes deux premiers albums étaient un peu plus commerciaux, pop. Je ne suis pas snob par rapport à la musique pop. Si elle est bonne, j’adore ça. Si Daft Punk sort un single qui fait un carton, quel est le problème ? D’ailleurs, j’ai toujours dit que j’étais un musicien pop. Mais en faisait ce disque-ci, j’avais envie de faire un disque rock. Pas de la manière dont Royal Blood joue du rock, ni de la manière dont Jack White joue du rock. J’étais dans les Smiths dont c’était peut-être un peu plus féminin. Un peu moins rempli de testostérone. Le rock peut être sexy et ne doit pas forcément être quelque chose de macho, un peu comme ce que font certains Américains. Je me suis dit que je pouvais faire cela. Le rock n’est pas ringard, il peut être vraiment bon. PJ Harvey, Nick Cave l’ont bien compris. Ce sont des gens que j’apprécie, de bons musiciens rock. Vous n’abandonnez pas pour autant l’électro, par exemple sur des morceaux comme « New Dominions ». Un genre que vous avez beaucoup exploré dans le passé, dans Electronic notamment. Comment est-ce que ça vous influence aujourd’hui ? Ma génération est arrivée après le punk. Les boîtes à rythmes, les synthés en étaient encore à leurs tout débuts. C’était très enthousiasmant pour moi. Je suis revenu à ça pour aller plus loin. La meilleure manière de s’y intéresser est physique, avec la boîte à rythme sur les jambes, des pédales sous le pied. C’est comme ça que j’ai écrit New Dominions et Actor Attractor. J’avais un rythme en tête, je ne savais pas quoi en faire donc je l’ai laissé tourner en boucle dans le studio. Mon nouveau studio est au dernier étage d’une vieille usine, très industrielle, juste à l’extérieur de Manchester. C’est le genre d’endroit très difficile à trouver aujourd’hui. La musique de cet album sonne très bien là-bas et a été influencée par ça. C’est comme de la musique industrielle, mais pas du Nine Inch Nails. Ce n’est pas de l’électro comme de l’EDM ou de la house, ou ce que je faisais avec les Pet Shop Boys. C’est plus proche de ce que je faisais avec The The. De la musique électronique de ma génération. J’aime que le rock s’exprime comme la musique électronique mais pas avec une souris. Je l’ai fait et c’est ennuyeux. Être à un concert où on regarde un DJ, c’est comme d’applaudir quelqu’un qui vient de remporter une enchère sur ebay. Pour moi, c’est très important que tous les passages électros soient joués en live et qu’il n’y ait aucune backtrack. Avec mon groupe, nous sentons les choses. Chaque soir est un peu différent. C’est une vraie performance. Si vous avez un bon groupe, vous n’avez pas besoin d’ordinateur. À travers votre carrière solo, vous vous affirmez en tant que chanteur, quelque chose d’assez inédit pour vous jusqu’ici. À quel moment avez-vous décidé de vous lancer ? Quand j’avais 16 ou 17 ans, je chantais dans des groupes. Je voulais chanter comme Patti Smith. Puis je suis devenu obsédé par l’idée de devenir le meilleur guitariste possible. Un jour, Chrissie Hynde des Pretenders m’a dit que j’avais une voix rock intéressante. Et c’est vraiment vers 2008 que j’ai eu le déclic. J’ai produit un tas de chanteurs au fil des années : Matt Johnson, Liam Gallagher… Donc je sais généralement quand quelque chose est correct. Quand j’étais dans le groupe Modest Mouse, je devais chanter donc j’ai eu envie de m’améliorer. J’ai travaillé puis je me suis lancé. Quel genre de musique écoutez-vous ? J’aime beaucoup un groupe de rock anglais qui s’appelle Goat Girl. Puis Courtney Barnett car ses mots sont très bien, Nick Cave, Depeche Mode, toutes le bandes-originales de films des années 50, notamment ce que Bernard Herrmann a fait pour les films d’Hitchcock. Je trouve que ce que fait Hans Zimmer est très bien aussi. Puis j’aime vraiment beaucoup la musique psychédélique, Syd Barrett, mais je n’en fais pas, je n’ai pas envie d’être rétro. Bio express Né le 31 octobre 1963 à Manchester, Johnny Marr se fait connaître dans les années 80 avec The Smiths, duo légendaire qu’il forme avec Morrissey. Après la séparation des Smiths, son talent de guitariste l’amènera à collaborer, en tant que musicien ou producteur, avec The The, Electronic, Talking Heads, Oasis ou Hans Zimmer. En 2013, il sort « The Messenger », son premier album solo.

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