La vie d’Adele, de Dora et des autres

Trois étoiles, quatre étoiles ? La cotation est un outil aisé à décrypter pour le lecteur et oblige le journaliste littéraire à une grande circonspection. Mais il y a des moments où l’outil manque de nuances. Ce roman, je l’aurais bien crédité de trois étoiles et demie. Mais ça n’existe pas dans le système des Livres du Soir, alors trois étoiles. Mais vous savez que c’est trois étoiles plus ! Parce que ce roman est formidable. [scald=22046512:sdl_editor_representation] Deux héroïnes : Adele, 17 ans, et Dora, la trentaine. Adele vit dans la cité des Lombriconi, les grands lombrics, en périphérie de Bologne, un quartier de défavorisés, de junkies, de dealers. Dora vit du beau côté de la ville, elle est prof de lettres. Elles vivent toutes deux un drame. Dora a le ventre vide : depuis des années, avec son mari Fabio, elle tente d’avoir un enfant, désespérément jusqu’à en avoir la rage, jusqu’à détester celles qui réussissent une grossesse, jusqu’à haïr parfois Fabio qui n’en peut plus de leurs essais ratés en fécondation assistée. Adele a le ventre plein : elle est enceinte mais quel espoir peut-elle donner à ce bébé qui va naître sans père, un voyou attiré par la vie facile du dealer, dans une famille de trois femmes sans le sou, elle, sa mère Rosaria et sa petite sœur Jessica ? Autour d’elles, il y a Fabio, qui rêve encore d’Emma, la volleyeuse du lycée, la bombe blonde, mais qui a épousé Dora, la brillante de la classe, qui traîne une prothèse à la place d’une jambe mais qui avait l’avantage d’être sage et ferme. Il y a Manuel, le voyou d’Adele. Et Zeno, le voisin d’Adele, l’élève doué de la classe de Dora, qu’elle voudrait envoyer à l’université, mais qui reste aux Lombrics pour soigner sa mère malade, et pour aimer Adele en cachette. Et les mères perdues, seules, leurs maris morts ou envolés. Et Jessica, la sœur d’Adele, et Claudia, son amie, éblouies par le bling-bling avec une seule idée en tête : quitter les Lombriconi. Tous les personnages féminins ont la rage. [scald=22046561:sdl_editor_representation] « Une utopie personnelle » « Mes héroïnes n’acceptent pas leur passé sur lequel ont pesé les fautes des autres : les parents, la société, explique Silvia Avallone dans la brochure de l’éditeur. Elles sont en guerre. Elles se sentent en défaut et imparfaites, et c’est pour cette raison qu’elles veulent changer, donner des coups de tête, attaquer les problèmes et les obstacles. Elles ont la force de se mesurer à ce qui fait mal. Et cette force trouve son origine dans une fragilité. Dans une souffrance énoncée à voix haute, dont on refuse d’avoir honte. Un tel acte d’honnêteté n’est pas simple dans une société qui exige de nous tous une perfection impossible. Comme si la vie devait être une victoire, comme si on pouvait toujours gagner. C’est un mensonge. » Silvia Avallone prend aux tripes. Elle décrit la réalité et c’est ce qui dérange, émeut, bouscule. Ce qui fait sa force, c’est qu’elle veut comprendre les phénomènes sociétaux, comment on est enfermé dans une cité comme celle-là, comment on enrage de ne pas être mère, comment on en veut à ses parents. C’est aussi que ses personnages sont réels, on pourrait sans aucun doute les croiser dans la rue, en Italie ou ailleurs, et d’ailleurs ils viennent de la rue. Et c’est encore cette écriture brûlante qui s’imprime comme une cicatrice sur notre corps, sur notre esprit. Et enfin que rien n’est jamais perdu, qu’il y a des issues de secours. Et que la culture, l’éducation, la littérature en sont. Le personnage de Zeno en est un remarquable exemple, lui qui écrit jour après jour son grand roman sur Adele. « C’est mon utopie personnelle, reprend Silvia Avallone : l’école, la lecture, la route longue et difficile pour apprendre, pour trouver les mots exacts. Lire est quelque chose de sexy et de dangereux. Et qui peut changer la vie. »

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