Proche-Orient: Khan al-Ahmar, le village bédouin qu’Israël veut détruire

Depuis Khan al-Ahmar (Cisjordanie), Pour rejoindre le village de Khan al-Ahmar, inutile de compter sur une carte, il faut suivre les indications des connaisseurs. « Après le carrefour menant à la colonie, passer un kilomètre et tourner à droite au panneau Wadi Og (rivière Og). Vous pouvez vous garer puis franchir l’autoroute en courant, mais attention à vous, plusieurs enfants sont morts en traversant ». L’autre option est d’arrêter sa voiture dans l’autre sens au bord de l’autoroute, et d’espérer ne pas se faire arracher la portière en descendant. Il faut ensuite enjamber la glissière de sécurité. En contrebas, un jeune berger emmène des moutons. Ici se trouve Khan al-Ahmar, où vivent près de 200 personnes, pour moitié des enfants, dans un enchevêtrement de tôle et de bâches. Il n’y a ni eau courante ni électricité, les poteaux électriques qui dominent la vallée ne sont pas pour eux. Colons et zone militaire Eïd Abu Khamis est né ici il y a 51 ans, même si on parierait aisément sur dix de plus. Casquette noire visée sur la tête, il montre du doigt un baraquement, sa maison. Autour, des collines pelées, en haut de l’une d’elle, on distingue les toits proprets d’une colonie israélienne. « Vous voyez la vallée ? » demande-t-il. « C’est la limite entre les Bédouins et les colons. Quand on emmène les animaux là-bas, les colons les chassent, dans le meilleur cas. Et vers la route, à partir de 600 mètres, commence une zone militaire. » Un peu plus loin, « la colonie de Maale Adumim, où vivent trois membres de la Knesset, dont le ministre de l’Agriculture » Le malheur de Khan al-Ahmar est d’être au cœur d’une zone stratégique, en bordure de l’aire nommée « E1 » par Israël : 12 km2 cruciaux pour les Israéliens comme pour les Palestiniens, qui font la jonction entre Jérusalem-Est et la colonie de Maale Adumim, 40.000 habitants. Pour Israël la présence de ces Bédouins empêche l’établissement du « grand Jérusalem », soit l’absorption des colonies alentours par la ville sainte : un pont précieux entre elle et la Cisjordanie. L’Autorité palestinienne défend, elle, bec et ongles la présence bédouine, une population qui en temps normal n’intéresse pas grand monde. Si la terre de ce village est colonisée, la Cisjordanie serait alors coupée en deux – les villes de Hébron et Bethléem au sud, Naplouse au nord – accentuant le morcellement déjà avancé de cet Etat palestinien qui n’en a que le nom : une « Palestine » sans unité géographique, sans destin. « Trente minutes pour détruire le village » Eïd Abu Khamis redoute à tout instant les bulldozers. « On a compté, il faut 30 minutes pour détruire le village.30 minutes pour détruire une vie ». Depuis près d’un mois, des membres de l’Autorité palestinienne se relaient pour y dormir, prêts à affronter les engins qui surgissent parfois au milieu de la nuit. Israël souhaite détruire ce village depuis longtemps, affirmant qu’il a été construit illégalement. Une assertion que peu contestent, mais qui témoigne de la mainmise israélienne sur la « zone C » de Cisjordanie, où Khan al-Ahmar se trouve : sous contrôle israélien, les permis de construire pour la population arabe sont impossibles à obtenir. Jusqu’ici, la pression internationale a freiné la velléité expansionniste de l’Etat hébreu à cet endroit. « Le contexte rend maintenant cette destruction possible » affirme Walid Assaf, carrure imposante et yeux cernés, ministre palestinien en charge de la lutte contre l’occupation, qui attaque sa 24e nuit sur place. « L’administration Trump a donné son feu vert. » Les diplomates européens défilent aussi pour montrer leur soutien. La Belgique, la France, l’Italie, l’Angleterre… Tous s’opposent unanimement à cette destruction. « Le village représente un enjeu majeur pour la viabilité de la solution de deux Etats » dit Pierre Cochard, Consul général de France à Jérusalem, sur place. « Préserver les chances de paix, ça se joue notamment ici ». Il se réfère à la Convention de Genève et au droit international humanitaire, tous deux bafoués en cas de destruction et de déplacement de ces habitants. Israël voudrait les installer dans la localité de Jabal West, près de la ville de Abu Dis, qui servait il y a peu de décharge publique, et lieu de résidence habituel d’autres Bédouins. Leur destin est désormais entre les mains de la Cour Suprême israélienne, saisie d’un recours contre sa destruction. « C’est possible qu’elle la repousse » juge Walid Assaf, « Car il y a beaucoup d’attention internationale ici en ce moment, et les Israéliens n’ont peur que d’une seule chose : des images ».

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