Au Nicaragua, Ortega lâche ses troupes contre Masaya

Depuis Bogota Avant de commémorer le 39e anniversaire de la révolution sandiniste ce jeudi, Daniel Ortega a lancé ses troupes mardi contre un symbole de la résistance nicaraguayenne d’hier et d’aujourd’hui : la petite ville de Masaya (150.000 habitants) située a 35 kilomètres au sud-est de Managua, une des premières villes à s’être insurgée contre la dictature d’Anastasio Somoza à la fin des années 70. Depuis trois mois la population y a érigé des barricades pour protester contre l’autoritarisme du gouvernement actuel et exigé son départ. Vendredi, Daniel Ortega (président entre 1985 et 1990 et depuis 2007) avait tenté avec un cortège de haute sécurité de se rendre jusqu’au cœur de la ville pour commémorer le « jour du repli tactique à Masaya » qui avait ouvert en 1979 à la victoire des sandinistes. Mais, comme nous l’a rapporté un témoin, l’ex-commandant de la révolution « s’est heurté à des portes closes et au silence de la population et a dû se rabattre sur une visite rapide d’un commissariat. » Ortega n’a sans doute pas pardonné l’affront de Masaya. Le symbole de la place de Nonimbó Dimanche, soumise à plusieurs assauts, la petite ville a encore résisté. Mais mardi la violence a augmenté d’un cran. Selon plusieurs témoins, la police nicaraguayenne aidée de groupes « parapoliciers » ou « paramilitaires » (des miliciens encagoulés et lourdement armés) ont détruit les barricades en place depuis de longues semaines. Ils répriment depuis près de trois mois le mouvement de contestation contre le gouvernement de Daniel Ortega et a repris position jusqu’à la petite place de Monimbó, le quartier indien emblématique de la résistance d’hier et d’aujourd’hui. L’attaque – menée, selon la presse locale, par près de 1.500 hommes armés avec des mitraillettes et des armes de guerre – a commencé vers 5 h du matin et s’est prolongée toute la journée tandis que les routes d’accès à la « ville rebelle » étaient bloquées. [scald=22771130:sdl_editor_representation] Selon Alvaro Leiva, qui dirige l’Association nicaraguayenne pro droits de l’homme (ANPDH), les « forces combinées » (police et paramilitaires) ont continué pendant la soirée à chercher maison par maison les manifestants et opposants au régime pour les « séquestrer » sans qu’on sache où ils allaient être emmenés. « La ville est prise, il y a une forte présence policière » a confirmé le père Cesar Augusto Gutierrez, qui officie normalement dans une chapelle salésienne près de la place principale de Monimbó. « Ce n’est pas une guerre, c’est un gouvernement lourdement armé qui s’accroche au pouvoir et décide de tuer le peuple qui se défend à coup de pierres et de mortiers artisanaux » a souligné d’une voix lasse et triste le curé, qui se « cache » après avoir reçu des menaces. L’ANDPH a reçu, selon Alvaro Leiva, pour la seule journée du 17 juillet « plus de cinquante plaintes » de personnes qui auraient été arrêtées à Masaya. Le nombre de morts et de blessés était encore impossible à vérifier ce mercredi – au moins trois morts selon les médias locaux : un adolescent de 15 ans, une femme exécutée en pleine rue et un policier. Un des membres du mouvement du 19 avril de Masaya nous a confirmé qu’au vu de la démesure de l’assaut gouvernemental, il avait été décidé « stratégiquement » de se retirer des barricades pour « préserver des vies » et pouvoir se préparer aux « étapes suivantes de la résistance ». Ce mercredi, la situation restait encore « tendue et la crainte généralisée » face aux rondes menées dans la ville par les agents armés de l’état. 300 morts depuis le début de la répression Dimanche, les assauts des forces gouvernementales contre Masaya et plusieurs autres localités avaient déjà fait douze morts. Les 13 et 14 juillet, c’est contre les étudiants retranchés dans l’université nationale du Nicaragua et une église à Managua (où un étudiant est décédé) que le gouvernement avaient envoyé ses hommes armés. Depuis le début de la répression, le19 avril, les ONG ont comptabilisé plus de 300 morts. Sans compter les innombrables arrestations. A Managua, des dizaines de familles attendent, chaque jour, des nouvelles des leurs, comme le rapporte la presse locale. Elles se retrouvent devant le bâtiment d’« El Chipote », la direction de l’aide judiciaire, un département de la police qui fait office de prison. Suite à une mission d’observation, la Cour interaméricaine des droits de l’homme (CIDH), a dénoncé « les arrestations arbitraires et massives », les « traitements cruels, inhumains et dégradants pendant les détentions », se montrant « particulièrement préoccupée par la situation d’adolescents emprisonnés ». La présentation des conclusions de la CIDH, devant l’Organisation des états américains (OEA) devrait amener celle-ci à voter une résolution pour condamner les violences du gouvernement. Le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a pour sa part « condamné la violence contre les civils y compris les étudiants ». Mardi, le sénateur uruguayen Jose Pepe Mujica – ancien guérillero et ancien président de l’Uruguay – a déclaré qu’il comprenait « que ceux qui étaient révolutionnaires hier aient perdu le sens de la vie ». « Il n’y a pas de retour en arrière possible. Ortega doit partir » nous a déclaré un ex-cadre fondateur du Front Sandiniste de Libération National qui avait participé à l’insurrection de Masaya en 1979, soupirant, quelques jours avant que Masaya ne soit reprise par les forces gouvernementales : « Le mouvement de résistance va continuer, quel qu’en soit le coût humain, car le coût serait encore plus élevé si nous devions supporter ce régime jusqu’en 2021 » (fin officielle du mandat d’Ortega).

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