Donald Trump, de mal en pitre

Le Mal absolu, pour Donald Trump, se résume en une seule image : une femme voilée de noir, regard fixe, inexpressif, et son mari tout de blanc vêtu, renfrogné, scrutant l’œilleton vidéo du douanier de l’aéroport de Chicago. Ce 27 juillet 2014, Tashfeen Malik, Pakistanaise, et Sed Farook, Américain d’origine pakistanaise, viennent tout juste d’atterrir en provenance d’Arabie saoudite. Seize mois plus tard, le couple établi à Redlands, en Californie, abattra sauvagement 14 personnes, en blessant 21 autres, le 2 décembre dans un centre socio-médical de San Bernardino, avant d’être lui-même abattu par la police. La sphère médiatique républicaine, depuis la publication de cette photo par le ministère de la Sécurité intérieure, s’est emballée. Et Donald Trump, l’archi-favori des conservateurs, s’est jeté sur l’opportunité. Lors d’un meeting électoral en Caroline du Sud, tenu pour célébrer le 74e anniversaire de l’attaque japonaise contre Pearl Harbor, le fougueux milliardaire new-yorkais de 69 ans, qui dépasse 30 % d’intentions de vote, a réclamé de barrer l’accès au territoire américain « pour tous les musulmans quels qu’ils soient », et ce « jusqu’à ce que les dirigeants de la nation aient pu comprendre ce qui se passe ». Que se passe-t-il, justement, selon Trump ? Interprétant un sondage complètement fallacieux selon lequel un quart des musulmans aux Etats-Unis approuveraient le principe d’attentats-suicide sur le sol américain, il fustige cette« haine telle des musulmans envers l’Amérique » qu’elle« va au-delà de toute compréhension ». [scald=295814:sdl_editor_representation] L’interdiction de territoire, contraire au principe de liberté religieuse inscrit au second amendement de la Constitution, aurait dû soulever l’indignation. Elle n’a qu’attisé l’exaltation populaire en faveur de Trump, littéralement ovationné par une foule en délire, acquise d’avance à toutes ses provocations. Sur le plan juridique, la suggestion de Trump ouvre la voie à des plaintes inévitables. Sur le plan démographique et humain, elle laisse sans voix par son énormité : une enquête Pew Research réalisée en 2014 révélait que sur les 2,2 millions de musulmans résidant aux Etats-Unis, 64 % étaient nés en dehors des frontières américaines. L’Amérique, terre historique d’immigration, laisserait-elle la source de sa plus grande richesse se tarir ? « Les propos de Trump ne reflète pas notre parti » Le parti républicain, totalement débordé par le phénomène Trump, reconnaît désormais ouvertement le danger et se dissocie officiellement du trublion, bien que celui-ci caracole en tête des sondages. « Les propos de Trump ne reflètent pas qui nous sommes en tant que parti », a précisé mardi Paul Ryan, le nouveau speaker républicain de la Chambre des représentants et ancien candidat à la vice-présidence en 2012 sur le « ticket » Mitt Romney. Les édiles du GOP (Grand Old Party) pourraient-ils tenter un putsch à l’occasion de la Convention nationale républicaine qui, du 18 au 21 juillet 2016 à Cleveland (Ohio), nommera son champion pour la dernière ligne droite vers la Maison-Blanche… et décider que Trump n’a pas sa place parmi eux ? La route est encore longue jusqu’à Cleveland, tempèrent les observateurs, adeptes de la méthode Coué lorsqu’il s’agit de Donald Trump : pas de panique, assurent-ils, l’énormité de ses propos lui reviendra tôt ou tard en boomerang. Et la baudruche se dégonflera aussi sec. Cette lecture optimiste des joutes électorales n’a guère fait ses preuves depuis six mois, et elle sous-estime franchement la colère de la base conservatrice américaine, rejetant républicains et démocrates « bon teint » dans le même panier. Donald Trump, en parfait démagogue, joue parfaitement sa partition depuis l’annonce de sa candidature présidentielle le 16 juin dernier. Après six mois de campagne, celui que personne n’attendait dans le camp républicain, semble avoir trouvé la recette pour les primaires qui débuteront le 1er février 2016 dans le New Hampshire et l’Iowa : mener la danse par des déclarations provocantes, diffamatoires, et concentrer sur lui toute l’attention médiatique, en capitalisant sur les peurs de ses compatriotes. Cette stratégie écœurante de cynisme a réussi au-delà de toutes ses espérances. Au point que, à chaque esquisse de stagnation dans les enquêtes d’opinion, « The Donald » remet de l’huile sur le feu, comme il l’a fait lundi en Caroline du Sud. Effet garanti, et remontée immédiate dans les sondages. Les ressources du tribun, tout autant morales que financières, paraissent sans limites : si d’aventure, il venait à remporter les primaires, pour se voir exclu de la convention républicaine de juillet, il a déjà prévenu qu’il n’hésiterait pas à se présenter comme candidat indépendant, en « troisième homme ». Impossible sans doute, de gagner dans ces conditions, mais un beau cadeau pour la candidate démocrate probable, Hillary Clinton, hilare devant le champ de ruines laissé par le camp conservateur.

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