Pourquoi le Congo est mal préparé aux élections

1 L’accord de la Saint-Sylvestre conclu fin 2016 est-il toujours d’application ? Cet accord entre toutes les forces politiques, avalisé par les Nations unies et conclu en décembre 2016, alors qu’avait expiré le deuxième et dernier mandat de Joseph Kabila, garde force de loi mais n’a été que très imparfaitement appliqué, plus dans la lettre que dans l’esprit. Officiellement, le calendrier est maintenu et des élections doivent avoir lieu le 23 décembre 2018. Kinshasa a refusé tout financement extérieur et l’Etat congolais promet de payer lui-même l’exercice. Aucune aide logistique n’a encore été demandée à la Mission des Nations unies pour le Congo (Monusco). La Commission électorale indépendante (Ceni) a bouclé le dépôt des candidatures aux élections provinciales et enregistré 1.300 candidats pour 715 sièges à pourvoir dans 26 provinces. Ce sont ces élus-là qui éliront le futur Sénat et son président, deuxième personnage de l’Etat. Présentant 128 candidats, le MLC (Mouvement pour la libération du Congo) présidé par Jean-Pierre Bemba, est le parti le mieux représenté. Du 25 juillet au 8 août, ce sont les candidats aux élections législatives et à la présidentielle qui devront déposer leur candidature. A la fin de ce délai, on devrait enfin être fixé sur les intentions du président Kabila qui affirme « vouloir respecter la Constitution ». [scald=22866448:sdl_editor_representation] De l’avis de l’opposition et des observateurs, les mesures de décrispation promises par l’accord n’ont pas été appliquées : des prisonniers politiques tels qu’Eugène Diomi, Me Muyambo, des activistes citoyens comme Carbone Beni et Cédric Kalonji du mouvement Filimbi et de la Lucha restent en détention. L’ancien gouverneur du Katanga, Moïse Katumbi, n’a toujours pas été autorisé à rentrer au Congo pour y mener campagne et sa nationalité congolaise est contestée. La « machine à voter », simple imprimante qui permet à l’électeur de produire lui-même son bulletin de vote, suscite toujours la polémique : selon la Ceni, sans cet outil technique, les élections seront impossibles à organiser et, selon l’opposition, la « machine à tricher » ne sera qu’un outil permettant la fraude. 2 La liberté de la presse est-elle respectée ? D’après Reporters sans frontières (RSF), la RDC est 154e au classement mondial de la liberté de la presse en 2018 et est qualifiée de « championne de l’impunité ». D’après RSF, « depuis que Kabila est au pouvoir, au moins onze journalistes ont été assassinés sans que leurs meurtriers ne soient traduits en justice ». Les journalistes ont systématiquement été pris pour cible lors des dernières manifestations anti-Kabila. Globalement, la répression vis-à-vis des médias et des réseaux sociaux s’est accentuée depuis la fin de l’an dernier. L’ONG congolaise Journalistes en danger (JED) relève quasi quotidiennement des incidents où des journalistes sont menacés ou leur matériel confisqué par les services de police, l’armée ou les renseignements. Des médias proches de l’opposition ont également été fermés ces derniers mois. Le signal de la BBC et de RFI a parfois été coupé. Du côté de la société civile, plusieurs activistes citoyens, tels Luc Nkulula à Goma, sont décédés dans des circonstances non élucidées (maisons incendiées en pleine nuit, disparitions, etc.). D’autres sont en prison depuis plusieurs mois ou ont passé des mois et des mois dans les cachots de l’ANR (sûreté de l’Etat) sans pouvoir consulter un avocat ni être traduit devant un tribunal. 3 Qui est prêt à aller aux élections ? La majorité présidentielle a créé le Front commun congolais (FCC), rassemblement de plusieurs partis, et la mobilisation a commencé. Le parti de Jean-Pierre Bemba, récemment libéré par la Cour pénale internationale (CPI), a tenu son congrès et a désigné son chef comme candidat à la présidence. On ignore encore s’il pourra rentrer à temps au pays. De son côté, Moïse Katumbi a pris la tête de la plateforme « Ensemble », qui réunit plusieurs partis d’opposition et s’est allié avec Félix Tshisekedi, mais le recrutement des témoins qui devront être présents dans les bureaux de vote n’a pas commencé. L’opposition a vainement prôné une « transition sans Kabila », dans laquelle le président passerait la main à une autorité provisoire qui dirigerait le pays le temps que s’organise l’opposition, qui serait associée au pouvoir. Pour diriger cette transition, les noms du cardinal Laurent Monsengwo et du docteur Denis Mukwege avaient été cités. Le Comité des laïcs chrétiens, après une suspension à la suite d’une forte répression, a annoncé que les manifestations pacifiques reprendront en août. 4 La situation sécuritaire et humanitaire ? Elle s’est fortement dégradée durant cette année d’attente. Selon les organisations spécialisées, plus de 13 millions de personnes ont besoin d’assistance, 7,7 millions vivent en situation d’insécurité alimentaire et 4,5 millions de Congolais sont déplacés. Si l’épidémie de fièvre d’Ebola a été maîtrisée dans l’Equateur, le choléra sévit dans d’autres provinces. La situation dans l’Ituri, du côté de Beni (nord-est), demeure critique, car des milices islamistes opèrent toujours. Au Kasaï, depuis la répression de la rébellion Kamwina Nsapu, les plaies ne sont pas refermées et les forces de sécurité ont été mises en cause par un récent rapport onusien. La situation au Sud-Kivu fait craindre une internationalisation des troubles : des miliciens burundais Imbonerakure sont présents dans la région d’Uvira et auraient fait leur jonction avec des opposants armés rwandais qui, traversant la forêt de la Kibira, ont mené plusieurs incursions au Rwanda. Ce qui fait craindre une riposte de l’armée rwandaise. 5 Le président Kabila contrôle-t-il son armée ? Prévoyant peut-être de futures épreuves de force, le président a réorganisé les forces armées, plaçant aux postes clés des hommes qui ont sa confiance, malgré un passé très contesté. Le général Numbi, mis en cause dans l’assassinat de Floribert Chebeya (le fondateur de l’organisation La Voix des sans-voix), est devenu inspecteur général de l’armée. Le lieutenant général Mbala, un Katangais, remplace le général Etumba, un « ancien » de Belgique, au poste de chef d’état-major général. Le général Gabriel Amisi, un ancien rebelle qui s’est enrichi dans divers trafics, est devenu chef d’état-major adjoint et le général François Olenga est chargé de mission militaire auprès du président. La nomination de personnalités contestées et faisant l’objet de sanctions internationales aurait suscité des remous au sein de l’armée. En plus de ces nominations, les achats d’armes ont été massifs et des conseillers militaires russes, accompagnant les équipements et les armes, ont débarqué à Kinshasa. 6 Où en est l’économie du pays ? Après des années de croissance prometteuse allant jusqu’à 7 %, la récession est sévère et plusieurs grands projets ambitieux apparaissent voués à l’échec. C’est ainsi que le parc agro-industriel de Bukanga Lonzo (Bandundu), lancé en grande pompe en 2014, est à l’arrêt. Il devait être le premier d’une série de 22 autres parcs agro-industriels dans le pays, mais la société sud-africaine Africom Commodities, chargée de développer un projet s’étendant sur 800 km2, a jeté l’éponge et réclame à l’Etat le remboursement de 20 millions de dollars. Des accords économiques très contestés, destinés à générer du cash à bref délai, continuent à être conclus : dans le parc des Virunga et de la Salonga, des sociétés pétrolières ont été autorisées à entamer des prospections, des informations font état de vente à la Chine d’espèces protégées et en voie de disparition, comme les gorilles de montagne. Les abus de pouvoir se poursuivent comme à Mborero, un village du Sud-Kivu situé dans un site touristique au bord du lac. La famille présidentielle désirant y construire un hôtel, les habitants ont été chassés, un établissement d’enseignement secondaire a été détruit et deux journalistes ayant tourné une vidéo sur cette expropriation ont été placés en détention sans autre forme de procès. 7 Quelle est la situation diplomatique ? Même si la communauté internationale n’est pas unanime et réagit en ordre dispersé, les relations avec la Belgique sont au point mort et il n’y a toujours pas d’ambassadeur en vue ni à Kinshasa ni à Bruxelles. L’Union européenne et les Etats-Unis maintiennent et même durcissent leurs sanctions. La Maison Schengen, dispensatrice de visas pour les Etats-membres de l’UE, est toujours fermée. Dans la région, les appuis des pays « amis » se raréfient. En Angola, le nouveau président Joao Lourenço s’est clairement prononcé contre une prolongation du mandat de Kabila. En Afrique du Sud, le président Cyril Ramaphosa se montre autrement plus rigoureux que Jacob Zuma, tandis que le Botswana, s’exprimant au nom de la SADC, s’est clairement exprimé en faveur d’une passation de pouvoir. En Afrique centrale, le président burundais, Pierre Nkurunziza, demeure un allié de Kinshasa, mais il représente plutôt un contre-exemple, tandis que le Rwandais Kagame demeure indéchiffrable et craint avant tout des débordements de troubles éventuels sur son pays.

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