À Avignon, le Off prolonge le plaisir

D’Avignon Tout finit par des chansons, écrivait Beaumarchais dans Le Mariage de Figaro. Ce soir, à Avignon, ce sera le cas pour le tout dernier spectacle de cette édition 2018 du Festival. Dans la Cour d’honneur, Dominique A, Jeanne Added, Camille, Camélia Jordana ou encore Philippe Katerine rendront hommage à Gabriel Fauré. Une clôture plutôt joyeuse pour un festival qui se termine de plus en plus tôt, Olivier Py, directeur de la manifestation, expliquant la chose par des raisons budgétaires. Voici donc Avignon dans une curieuse situation : alors que le Festival officiel se termine ce soir, le festival off se poursuit, à des rythmes divers jusqu’au 29 juillet. À des rythmes divers car cette année plus que jamais, le Off s’avère difficilement lisible pour le spectateur potentiel débarquant dans la Cité des Papes. Avec 1.538 spectacles présentés chaque jour durant un mois (500 de plus qu’il y a dix ans), il est plus énorme et débordant que jamais. Il faut pas moins de 440 pages au catalogue officiel de la manifestation pour donner un (bref) aperçu de ce qu’on peut y voir, depuis les créations les plus passionnantes et originales jusqu’aux grosses machines creuses ayant pour seul intérêt la présence à l’affiche d’une semi-vedette télévisuelle. Les Belges Dans cette véritable jungle, les compagnies belges s’en sortent plutôt bien. À la fois, par la qualité de leurs productions et par la possibilité de se produire dans certains lieux ayant gagné la confiance du public. C’est le cas de la Manufacture où le chorégraphe Thierry Smits présente Anima Ardens. Des journaux locaux au Figaro, la critique ne tarit pas d’éloges sur ce spectacle créé en 2016 à Bruxelles. Et le public est largement au rendez-vous. Même succès pour la compagnie Chaliwaté qui, après avoir enflammé le public du Off avec Josephina l’an dernier, est de retour avec l’excellent Jetlag au Théâtre des Lucioles. C’est le cas également d’Episcene, tout nouveau lieu entièrement belge (lire ci-contre). Et c’est bien sûr le cas du Théâtre des Doms, « pôle sud de la création en Belgique francophone ». Depuis 2002, les Doms sont devenus un rendez-vous incontournable pour les artistes, les professionnels et le public belge à Avignon. Une sorte d’îlot où chacun échappe un moment au bruit et aux tensions de la ville pour retrouver une ambiance chaleureuse et décontractée favorisée par la jolie cour rafraîchissante, le jardin où se déroulent les rencontres et le bar où l’on sert une bière brassée spécialement pour le lieu. Mais les Belges sont loin de constituer le principal public des Doms. Spectateurs et programmateurs français y viennent en masse pour découvrir les spectacles soigneusement sélectionnés tout au long de l’année par Alain Cofino Gomez et son équipe. Cette année, six spectacles sont présentés dans la salle des Doms, un aux Hivernales et deux sur le site cirque de l’Ile Piot. « C’est tout simplement dingue ! Ce spectacle devrait être dans le festival In pour donner quelques idées à nos metteurs en scène français » confie un programmateur bordelais en sortant un peu avant midi de La Musica Deuxième qui, chaque jour, ouvre les festivités. Un peu réticents au départ quant à l’horaire proposé, Catherine Salée et Yoann Blanc, les deux formidables comédiens de cette mise en scène de Guillemette Laurent, ont pourtant vite trouvé leurs marques. Et découvert le plaisir de jouer à 10 h 30 du matin, ce qui permet de toucher les programmateurs pas encore accaparés par le « In » et de profiter ensuite du reste de la journée pour se reposer, flâner, aller voir des spectacles et surtout engranger de nouveaux contacts. Une quête du bonheur Car la cour des Doms est un formidable lieu de rencontres où l’on croise constamment artistes et professionnels belges, français, suisses ou autres. Denis Laujol qui met en scène le très beau Pas Pleurer de Lydie Salvayre est assis au bord de la pièce d’eau avec des comédiens de son équipe et des journalistes de la RTB. Serge Rangoni, directeur du Théâtre de Liège, est en grande discussion avec un homologue français. Le chorégraphe Thomas Hauert dont le spectacle Inaudible fait un tabac aux Hivernales recueille, presque en s’excusant, les compliments très enthousiastes de plusieurs spectateurs… Assis sur les marches devant l’entrée, Lucas Racasse évoque l’affiche qu’il a créée avec son équipe pour l’édition 2018. Deux squelettes semblant bondir dans les airs pour un slogan percutant : Vivants ! Et c’est vrai qu’aux Doms, on a droit à de vrais spectacles vivants. Il suffit de voir le public applaudir à tout rompre à l’issue de J’abandonne une partie de moi que j’adapte, pour le comprendre. Ce que ces dizaines d’anonymes applaudissent ainsi (c’est complet depuis quasiment le premier jour), ce n’est pas seulement une pièce de théâtre. C’est le projet magnifique de Justine Lequette produit par le Théâtre National : une quête du bonheur partant d’un film des années 60 de Jean Rouch et Edgar Morin. Une formidable performance d’acteurs (on les croirait vraiment sortis d’un film des années 60) voguant entre documentaire, fausse improvisation et dialogue avec le public pour créer un spectacle qui s’adresse à chacun directement et réveille en nous de multiples questions et émotions. En résumé : un spectacle des Doms. La passion selon Episcène Le théâtre des Doms n’est plus le seul théâtre belge à Avignon. Depuis cet été, le Théâtre Episcène est également de la partie avec un programme qui vaut largement le détour : on y retrouve pêle-mêle Bord de Mer mis en scène par Michel Kacenelenbogen et interprété magistralement par Magali Pinglaut, Voyage au bout de la nuit mis en scène par Philippe Sireuil avec Hélène Firla, Loverbooké de et avec Bruno Coppens ou encore Le Carnaval des Ombres de et avec Serge Demoulin. Sans oublier la présence du TTO (Otto et Helmut), de Christine Delmotte (Nous sommes les petites filles des sorcières que vous n’avez pas pu brûler) ou de Mute, spectacle tout public (dès 6 ans) de Dany Marbaix et Laurent Dauvillée. En tout, huit spectacles par jour de 9 h 40 à 21 h 30. En prime, des rencontres, des lectures, des concerts… Et une inauguration en grande pompe en début de festival avec bières belges à la pompe, food truck stationné en face du théâtre et foule des grands soirs… Anciennement occupé par le Théâtre Ninon, le lieu a été découvert par Jeannine Horrion et Patrick Donnay qui ont décidé d’y réaliser leur rêve : un théâtre à Avignon. Il y a quarante ans, en 1978, Patrick Donnay jouait dans la Cour d’honneur du Palais des Papes dans une mise en scène de Benno Besson, Le Cercle de craie caucasien. Depuis, il n’a cessé de bourlinguer, comme comédien mais aussi comme organisateur de plusieurs événements tels que le festival Paroles d’homme ou les Vacances Théâtre de Stavelot. Un parcours qu’il poursuit en véritable marathonien à Avignon avec, en plus de la direction artistique d’Episcene, la reprise chaque matin de l’inusable Jacques le Fataliste où il partage la scène avec Jean-Pierre Baudson dans la mise en scène de Jean Lambert. Et pour ne pas s’ennuyer, il rejoint chaque soir à 19 h 15 le Théâtre du Chêne Noir, un des hauts lieux théâtraux d’Avignon, où il joue également dans La Putain respectueuse mise en scène par Gérard Gélas. Un sacré programme qui ne peut s’expliquer que d’une façon : la passion. S’inscrire dans le paysage Cette passion, il la partage avec Jeannine Horrion, rencontrée au fil de ses pérégrinations. Une femme de cœur et de tête, parvenant à entraîner son mari et ses six enfants dans une aventure pas banale : racheter un théâtre à Avignon. Le duo n’a eu que l’embarras du choix pour constituer ensuite sa programmation de l’an 1. Mais en ayant déjà le regard tourné vers l’horizon. Car ni l’un ni l’autre n’envisage ceci comme un pari à court terme. « Le but est bien sûr de montrer quelques-uns de nos meilleurs spectacles belges durant le festival, sourit Patrick Donnay, entouré lui aussi de son épouse et de ses (grands) enfants dans cette aventure. Mais nous voulons faire vivre le lieu durant toute l’année et nous inscrire durablement dans le paysage avignonnais. » Une volonté qui fait un peu grincer des dents du côté du Théâtre des Doms où on a l’impression de voir débarquer un concurrent privé appliquant plus ou moins les mêmes principes. Il serait pourtant dommage de vouloir opposer ces deux espaces de création. Chaque année, les Doms devaient laisser sur le carreau d’excellents spectacles, ne pouvant en présenter que 7 ou 8 par festival. Avec Episcene, le nombre est doublé et la qualité reste au rendez-vous. Alors concurrence ou complémentarité ? Du côté des équipes, l’avenir le dira. Mais du côté des spectateurs, il n’y a pas d’erreur. Les Doms continuent à faire le plein et Episcene a trouvé son public dès les premières représentations. On ne peut que s’en réjouir. Les spectacles des Doms se poursuivent jusqu’au 26 juillet, www.lesdoms.eu Les spectacles d’Episcene se jouent jusqu’au 29 juillet, www.episcene.be

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