Joël Robuchon, à la tête de la croisade de la pomme de terre

Purée ! Quelle histoire ! La pomme de terre est à la mode. Oui, l’humble tubercule, boudé hier par la diététique, connaît une remontée en grâce. En 1987, le deux cent cinquantième anniversaire de la naissance d’Antoine-Auguste Parmentier (1737-1813), son propagateur, n’avait ému personne. A part quelques jours de fête à Montdidier, sa ville natale. La patate avait alors mauvaise presse. Accusée de favoriser l’embonpoint. Aujourd’hui, la voilà propulsée, du pot-au-feu populo à la table des riches. Non plus pour rassasier, mais pour étonner. C’est le chef français, Joël Robuchon, qui a pris la tête de la nouvelle croisade. Par la vertu d’une purée sublime que le Tout-Paris paie très cher pour le simple plaisir de la déguster. Mais, bon prince, il en livre les secrets dans un livre de recettes et d’images chic, entièrement consacré à cet « aliment roi ». En trois coups de cuiller à pot, il réhabilite la pomme de terre et réconcilie « patatophobes » et « patatophiles », enfin convaincus que, sans elle, la vie serait fade. Songez-y. Ni frites ni chips ni gratin dauphinois. Il n’y aurait même pas eu un Kennedy à la Maison-Blanche. Purée ! Quelle histoire ! Son histoire française La patate vient d’Amérique, de la cordillère des Andes, comme le maïs, la tomate, le chocolat et le dindon. Ce sont les Espagnols qui la découvrent au Pérou, en 1532, et la ramènent en Europe. Malgré sa piètre mine. Grise, la peau terreuse, amère et indigeste. On la mange crue – bonjour les coliques ! Ou cuite, mais sans la peler. Tout juste bonne pour le peuple… ou les cochons qui en raffolent. Elle n’a pas toujours bonne réputation. Les Bourguignons l’accusent de donner la lèpre. Mais elle a une vertu : elle cale les estomacs affamés. Pharmacien dans l’armée, fait prisonnier en Allemagne, à Franc-fort, pendant la guerre de Sept Ans, Antoine-Auguste Parmentier voit les soldats s’en nourrir. A peine rentré en France, il n’aura de cesse de convaincre ses compatriotes d’en faire autant. Coup de génie. Il s’offre pour agent publicitaire Louis XVI. Il convainc le roi et Marie-Antoinette de porter une fleur de pomme de terre à leur chapeau. Dans leur sillage, toute la cour s’entiche de ces pétales. Cretonniers et céramistes en décorent les toiles de Jouy et les faïences de Moustiers. Mais pour inciter les paysans à cultiver des patates, il a recours à une ruse. Il en fait planter aux portes de Paris. Le jour, des soldats en armes gardent les champs, mais la nuit, ils s’éclipsent. Paysans et curieux en profitent pour déterrer les tubercules et les replanter chez eux. Pari gagné pour Parmentier. Les disettes auront raison des ultimes réticences. Même la Révolution adopte ce légume providentiel, coupant court à son flirt avec la monarchie. Au Jardin des Tuileries, il remplace les parterres de roses. Et, nourrissant les ventres creux, y gagne ses galons de patriote. Ses ennemis Sauveur des famines, la pomme de terre sera, bien malgré elle, l’agent d’une tragédie en Irlande. Sur l’île, on la cultive exclusivement. L’or gris est sans rival. Ce sera sa perte. En 1845, elle est attaquée par un champignon, le mildiou, qui l’anéantit. La faim décime des familles entières. Les survivants fuient vers la lointaine Amérique où, Kennedy, Kelly et tant d’autres, ils feront souche. Trente ans après le mildiou, un autre ennemi se profile à l’horizon. Le doryphore. Cet insecte rayé de noir, natif du Colorado, raffole des feuilles de pommes de terre. Il va les suivre à la trace, partout en Europe, jusque dans les années septante. Rien ne l’arrêtera. Seules les nouvelles variétés plus résistantes en viendront peut-être, un jour, à bout. Si la patate a mis du temps à s’imposer, elle doit sa réussite à sa rencontre avec l’huile à friture. Qui eût pu imaginer les trésors cachés par cette Cendrillon ? Son talent à profiter des plus riches alliances pour former un chef-d’œuvre, la frite. Plus mythique, tu meurs. Les mères le savent, qui risquent des vapeurs, à trop souvent l’oublier. Même si aujourd’hui la pomme de terre a plus d’une recette à son arc. Elle se plie à tout, se transforme sans cesse, au point de perdre son aspect originel. Elle se fait minute, surgelée, emballée, préparée, épluchée, découpée… Qui pense encore qu’avant d’être frite, farce, gratin, salade, purée, elle est fleur ? Et même fleuron. Le légume le plus répandu sur la terre. « Le meilleur et le plus simple de la pomme de terre. 100 recettes », par Joël Rebuchon. Ed. Laffont.

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