Roberto Martinez au «Soir»: «Ce qui s’est passé en Russie ne doit pas être l’affaire d’un seul tournoi»

Dans une semaine, il rendra sa première liste post-Coupe du monde. Ils ne seront plus 23 mais un peu plus. Roberto Martinez, le sélectionneur fédéral, a effectué sa rentrée et, avec du recul, revient sur le Mondial et les émotions générées, ainsi que la future Nations League. Un mois plus tard, quels souvenirs gardez-vous de la Coupe du monde ? L’analyse que vous en faites est-elle la même que celle menée à l’époque ? Tout évolue. Il faut avancer. Mais ce qui s’est passé en Russie ne doit pas être l’affaire d’un seul tournoi. Notre façon de travailler, notre style de jeu doivent perdurer. On a ressenti beaucoup de fierté lorsque nous avons été acclamés sur le balcon de l’Hôtel de ville, lorsqu’on a vu le soutien des gens. Lorsque je suis arrivé, il y a deux ans, il y avait l’excitation de se préparer pour la Russie. Maintenant, on doit continuer et surfer sur l’euphorie. Nous devons comprendre les attentes que l’on va générer : désormais la Belgique sera attendue et on trouvera normal qu’elle gagne tous ses matches. Mais c’est une belle opportunité pour grandir ensemble. Avez-vous aussi vécu cette Coupe du monde comme un test pour vous ? Oui. En quelque sorte. On marchait dans l’inconnu : on n’avait jamais organisé de Coupe du monde en Russie, on ne savait pas à quoi s’attendre en termes de voyages ou de terrains. On a donc développé une façon de travailler sur l’attendu et l’inattendu. C’était un peu comme un voyage sur la lune. Tu ne sais pas combien de temps tu vas rester, ni comment cela va tourner. Et c’était fascinant ! J’ai essayé d’apporter tout ce que j’avais accumulé en dix ans de métier et de développer une culture de travail capable de faire face à l’inattendu. C’était un vrai test. Aux yeux de tous, le match contre le Brésil constitue votre chef-d’œuvre… C’était très, très, très difficile pour les joueurs de pouvoir réussir ce tour de force tactique. Quand tu joues contre une équipe comme le Brésil, il y a une grosse part de psychologique. Le Brésil avait l’équipe pour gagner la Coupe du monde. Tu dois donc rentrer sur le terrain en ayant la certitude que tu peux les battre. Et pour cela, tu dois donc trouver un avantage tactique. C’était important de porter le jeu ailleurs que là où le Brésil le veut. Le Brésil a l’habitude d’avoir le ballon et, en deux ans, n’avait jamais rencontré une équipe menant de plus de deux buts. Cela demandait donc une tactique différente, agressive et drastique. Ce match m’a permis aussi de me rendre compte que les joueurs étaient capables d’exécuter parfaitement un plan dans les détails : les transitions, la force, les espaces, la bonne utilisation de la possession, la façon dont nous avons défendu dans notre rectangle. Au final, la flexibilité et la force mentale nous ont permis de gagner cette rencontre. Vous avez beaucoup insisté sur la flexibilité durant deux ans… … Oui, c’est vrai. Et vous n’avez travaillé cette tactique que durant un ou deux entraînements ? Un seul ! C’est donc principalement grâce à cette flexibilité apprise durant deux ans que les joueurs ont su exécuter ce plan ? Oui, sans doute. Car, c’est impossible en un seul entraînement de changer une équipe. Vous devez être fier de ce résultat : le Brésil, c’est le résultat de deux ans de travail ? Oui, je suis très fier de cela. La fierté vient surtout de l’exécution par les joueurs, pas du plan en lui-même. Surtout dans un match aussi important : dans une rencontre à élimination directe, contre un adversaire comme le Brésil, faire le match que nous avons fait, en éliminant les forces de l’adversaire tout en montrant les nôtres ! Ma tactique n’aurait pas été exceptionnelle si les joueurs ne l’avaient pas aussi bien exécutée. Mais nous avons eu besoin de deux ans de travail pour que les joueurs puissent jongler aussi facilement avec les changements, la flexibilité et la synchronisation des coéquipiers. Ai-je tort si j’affirme que le plan a marché contre le Brésil mais pas contre la France ? Les deux matches sont très différents. Contre la France, cela ne s’est même pas joué sur un détail mais sur une action ! Nous avons concédé un goal sur une phase arrêtée, et d’un joueur (NDLR : Samuel Umtiti) qui ne marque jamais ! La France était blessée après avoir perdu l’Euro 2016 et ne voulait pas revivre cela. C’est pour cela qu’ils ont travaillé l’efficacité. Normalement, nous avons une équipe capable de trouver une réponse, quel que soit le système défensif proposé par l’adversaire. Nous avons travaillé ce point pendant deux ans ; entre les deux formations, il y avait peu de différences mais la France a gagné parce qu’elle était plus incisive que nous dans les deux rectangles. Vous avez pris des risques dans votre sélection, en écartant Radja Nainggolan, en prenant Vincent Kompany et Thomas Vermaelen blessés et Nacer Chadli sans rythme… Je savais que ces décisions étaient risquées. Car tout dépend du résultat. Mais quand je prends une décision, il n’y a pas que le risque, il y a aussi beaucoup d’informations (notamment du staff médical) et de réflexions derrière. J’ai toujours pris ces décisions avec honnêteté et responsabilité. Ce n’était pas qu’un pari mais toujours basé sur quelque chose de concret. On voulait Kompany car on savait que son expérience pouvait être bénéfique dans la 2e partie du tournoi. On savait aussi pourquoi Chadli n’avait pas beaucoup joué et on a mis en place des conditions optimales pour qu’il puisse être en forme. Le choix de ne pas prendre Nainggolan a également été validé par le parcours. Mais n’a-t-il pas manqué ce type de joueurs contre la France ? Non. Cette équipe était la bonne pour le tournoi. Prendre un autre joueur signifie qu’on aurait dû en sacrifier un des 23. Or, chacun a eu son importance, tous les joueurs de champ ont joué et ont prouvé pourquoi ils étaient là. Chacun a contribué à notre parcours. Quels joueurs vous ont surpris ? Cela va vous paraître banal mais je répondrai : l’équipe. Je l’ai martelé pendant deux ans : je voulais avant tout qu’on agisse en équipe. Mais qu’est-ce que cela signifie ? Prenez par exemple, le comportement de Romelu Lukaku contre le Japon qui peut marquer lui-même mais préfère laisser le ballon à Chadli, ou celui de Chadli et Fellaini qui rentrent comme remplaçants et donnent tout pour le collectif. Le fait que c’est la première fois que deux remplaçants marquent en Coupe du monde n’est pas anodin. On n’a jamais entendu personne parler, durant le tournoi, de son futur immédiat. Et ce n’est pas si facile, on n’a pas vu cet engagement et ce sacrifice dans beaucoup de sélections. C’est ce qui me satisfait le plus. Et c’est cet état d’esprit qui a permis à Courtois d’être exceptionnel dans les buts, ou à Hazard de réaliser de telles performances. Après avoir atteint un tel objectif, avez-vous pensé arrêter vu qu’il ne serait pas facile, voire impossible, de faire mieux ? Non, jamais. Quand j’ai signé mon contrat avant la Coupe du monde, je me suis engagé à poursuivre mon travail. J’avais mis mon futur dans les mains de la Fédération. Mes pensées étaient focalisées sur la manière de maintenir ce niveau. Ma priorité actuelle, c’est le prochain challenge : la Nations League et ensuite l’Euro 2020. Avez-vous parlé avec la Fédération espagnole ? Non. Jamais ? Non. Chacun connaît ma situation et s’il est intéressé par moi, il doit passer par la Fédération belge. Vous avez perdu votre adjoint et bras droit, Graeme Jones et peut-être Thierry Henry. Comment le vivez-vous ? Il reste des souvenirs et la satisfaction d’avoir atteint des objectifs. Nous avons travaillé douze ans ensemble mais il avait besoin de retrouver le terrain au quotidien et d’un changement. Je comprends parfaitement. Cela s’est fait d’une manière naturelle. Je valoriserai toujours l’expérience que nous avons eue ensemble. Quel genre de remplaçant voulez-vous ? J’aimerais un jeune coach belge. En cas de départ d’Henry, recherchez-vous une autre grande figure ? Pas nécessairement. Henry a apporté son expérience d’une Coupe du monde gagnée. Je voulais convaincre les joueurs d’y croire et son vécu m’a aidé dans cette voie. Maintenant, c’est différent. Je pense que les besoins autour de cette équipe ne sont plus les mêmes. Certains joueurs pourraient arrêter. Avez-vous eu des éclaircissements à ce sujet ? J’en ai parlé avec Fellaini et Kompany, juste après le match contre l’Angleterre et dans le vol du retour. Les deux m’ont apporté des nouvelles positives en disant qu’ils voulaient continuer. Nous avons besoin de garder l’atmosphère construite en Russie et de la développer pour la prochaine génération. S’ils continuent à jouer, ce sera plus facile de transmettre ces valeurs. Mignolet, Vermaelen, Dembélé continuent aussi ? Oui ! À part Radja Nainggolan et Steven Defour qui ont annoncé leur retraite avant le tournoi, tous les autres seront impliqués dans la prochaine compétition. Même si nous devons aussi ouvrir la concurrence à d’autres joueurs et rester ouverts aux jeunes talents. La décision se fera sur le terrain. Laurent Ciman a-t-il encore une place dans vos plans ? C’est quelqu’un sur lequel on a pu se reposer durant les deux dernières années. Et la situation reste la même. Certes, il ne devient pas plus jeune et des jeunes frappent à la porte mais il reste dans ma tête. Nous ne rentrons pas dans un processus de deux ans. On ne se prépare pas pour l’Euro 2020 mais pour la Nations League dont la finale a lieu dans dix mois. Et dans ces conditions, Ciman a un rôle à jouer dans les dix prochains mois. Ne craignez-vous pas un certain relâchement pour les matches face à l’Ecosse et l’Islande ? Non. On n’est pas dans la situation d’il y a deux ans où, lors du match de l’Espagne, je sentais une certaine gueule de bois, de la peur et du négatif. Ici, l’expérience de la Coupe du monde a été positive. Je suis plus inquiet par l’état physique de chacun car en début de saison, chacun cherche sa forme. Pour vous, la Nations League n’est pas un tournoi amical ? En aucun cas. Pensez-vous qu’on peut faire mieux en 2020 qu’en Russie ? Pourquoi pas ? Les joueurs auront plus d’expérience. L’aspect essentiel consistera à maintenir le niveau atteint en Russie. On devra trouver suffisamment de joueurs dans chaque compartiment. Continuerez-vous avec des noyaux larges de 28 et quatre gardiens ? Quatre gardiens oui mais je prendrai moins de joueurs. Sans doute un peu plus que 23 mais moins de 28.

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