Avec la montée des températures, les éboulements montagneux se multiplient à la Meije

Six heures du matin, mardi 7 août. Un éboulement secoue la Meije, montagne de près de 4.000 mètres située au cœur du massif alpin des Ecrins, dans le sud-est de la France. D’énormes blocs de glace et de roche dégringolent depuis le haut de la rive droite du mont. Un guide et son client sont blessés. Depuis, plus aucun alpiniste n’emprunte le parcours habituellement le plus fréquenté pour grimper au sommet : la « voie normale » de la Meije est toujours fermée. Frédi Meignan a vu l’éboulement. Gardien depuis dix ans au refuge du Promontoire, point de départ des grimpeurs qui visent le Grand Pic, il n’avait jamais vu ça : « Ce qui est tombé, c’est un pic rocheux équivalent à un immeuble de trois étages, raconte-t-il. Personne ne s’attendait à ce que cela s’effondre, surtout un matin à cette heure-là. En tombant, ce pic a fracturé le glacier et fait tomber des morceaux de glace et de roche, gros de plusieurs mètres. L’éboulement a dégringolé sur près de 800 mètres de dénivelé… Certains blocs rocheux sont toujours en suspens au-dessus de la zone dite du “Glacier carré,” ainsi qu’à sa surface. » Aujourd’hui encore, de nombreux blocs instables n’ont pas été naturellement purgés. Si certains ont bien été évacués par la chaleur ou la pluie, pour d’autres, il est encore trop tôt pour estimer si la nature sera suffisante pour dégager la voie, ou s’il faudra faire appel à un renfort humain. La préfecture et la gendarmerie régionale déconseillent fortement toute tentative d’escalade. « Cela fait une semaine qu’il n’y a plus aucune cordée sur le Grand Pic, observe Frédi Meignan. Plus personne ne monte, c’est assez saisissant. Pour l’équipe du refuge, nous avons un peu de mal à nous y habituer : cette nuit encore, il n’y avait aucune loupiotte, aucun mouvement de vie le long de la “voie normale. » Elle est restée désespérément déserte. » Pour ce gardien qui a l’habitude du passage, avec un total de plus de 2.000 personnes accueillies par an, c’est un choc. Des chutes qui surprennent encore plus lorsque l’on sait que la Meije est réputée pour sa roche de « qualité », c’est-à-dire qu’elle est composée d’une roche dure – du granit, en l’occurrence – qui ne s’effrite pas facilement, permettant une meilleure stabilité au grimpeur. « Je connais bien le massif des Ecrins, pour y avoir moi-même été, raconte Alain Dassargues, géologue à l’ULiège et alpiniste chevronné. C’est typiquement le genre d’endroit où l’on part très tôt le matin pour faire l’essentiel de la course tant qu’il gèle. » Les alpinistes se méfient généralement des après-midi, car c’est à ce moment-là que cela chauffe le plus. La neige fond et les risques de chutes augmentent. « C’est au petit matin que l’on aime sortir, confirme Frédi Meignan. À la fin de la nuit, le permafrost, ce “ciment intérieur” de la montagne est encore frais : c’est le moment le plus sûr pour grimper. Sauf qu’aujourd’hui, nous assistons clairement à des périodes de chaleur encore jamais observées auparavant et qui perturbent la tranquillité de la montagne. » Des températures qui déstabilisent la roche Au cours des dix années passées dans le refuge, Frédi Meignan a relevé quotidiennement les températures au petit matin. « Il ne s’agit pas d’une étude scientifique, mais de simples constats, à mon échelle, prévient-il. Pourtant, mes relevés correspondent à ce que nous ressentons et observons dans ce contexte d’éboulements généralisés : en 2011, nous étions à 1,4 degré en moyenne entre 7 et 8 heures du matin pendant le mois de juillet. En 2018, cela monte à 4,2 degrés pour la même période. » « Les relevés en haute montagne ne sont pas assez nombreux pour permettre de confirmer cette hypothèse, nuance le professeur Dassargues. Mais les températures très chaudes de cet été vont en ce sens. Il est clair qu’une série d’endroits où il gèle normalement toutes les nuits n’a même plus le temps de se refroidir avant le lever du soleil… » Selon le géologue, trois éléments-clefs entrent en jeu dans de tels risques d’éboulements : outre la nature de la roche, les variations de températures et l’alternance de phases de gel et de dégel l’impactent au point de la fragiliser. [scald=23594870:sdl_editor_representation] « Les fortes chaleurs de la journée contribuent à dilater la roche, détaille-t-il. Même si elle est extrêmement dure, des écailles peuvent se former par cet effet de dilatation thermique. Soumis à un soleil de 35 degrés puis aux fraicheurs nocturnes à répétition, une série de dilatations-rétractions vont s’enchaîner, provoquant de nouvelles fissures, de l’instabilité… et donc de nouveaux éboulements. » Même principe pour les phases de gel et de dégel : il y a de l’eau dans toute fissure, or l’eau gelée prend davantage de volume que l’eau liquide. Celle-ci ouvre la fracture et fait « travailler » le rocher, le rendant plus sensible. « Il est clair que les événements extrêmes que l’on a eus cette année avec ces canicules vont être de plus en plus fréquents, analyse le géologue. Avec quelques degrés supplémentaires, ces événements qui nous paraissaient déjà extrêmes vont l’être encore plus, et survenir encore plus régulièrement. Nos montagnes ne sont pas à l’abri de ces phénomènes, loin de là. »

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