Carte blanche: les leçons du (participe) passé
Pourquoi ne pas appliquer les nouvelles recommandations sur les accords du participe passé selon l’usage et la logique du français contemporain… en commençant par la Belgique ?

E mployé avec l’auxiliaire avoir, le participe passé s’accorde en genre et en nombre avec le complément d’objet direct quand celui-ci le précède (les crêpes que j’ai mangées). Par contre, si le complément suit le participe, il reste invariable (j’ai mangé les crêpes). »
Bon. Super. Mais pourquoi ? Pourquoi avant et pas après ? Au Moyen Âge, les moines copient au fil de la plume. Quand le moine écrit, par exemple : « Les pieds que Jésus a lavés », un simple regard vers la gauche permet d’identifier ce que Jésus a lavé. Il a lavé quoi ? Les pieds. Donc le moine accorde, pas de problème. Par contre, quand le moine écrit : « Jésus a lavé ». Le moine s’interroge. Jésus a lavé quoi ? Je sais pas, je vais attendre, ça va probablement venir dans la suite du texte. Le moine poursuit : « … avant la fête Pâques, sachant que son heure était venue, lorsque le diable avait déjà inspiré au cœur de Judas Iscariote, fils de Simon, le dessein de le livrer, et patati et patata… les pieds ». À tous les coups, quand le moine est arrivé à « les pieds », il a oublié qu’il avait un participe à accorder, ou alors il n’a plus la place pour écrire le « s » parce qu’au Moyen Âge, les mots sont souvent attachés les uns aux autres. Et c’est cet oubli qui est à l’origine de la règle des accords du participe passé avec l’auxiliaire avoir. Voilà pourquoi avant et pas après. Au 16e siècle, Clément Marot, constatant le même phénomène en italien, en fait la promotion à l’aide d’un joli poème, ce qui fera dire plus tard à Voltaire : « Il a ramené deux choses d’Italie : la vérole et l’accord du participe passé. Je pense que c’est le deuxième qui a fait le plus de ravages ». Le Bescherelle, lui-même désigne cette règle comme : « la plus artificielle de la langue française ». Elle entrainera dans son sillage, une cohorte de complications, comme les fameux accords des verbes exclusivement, essentiellement ou accidentellement pronominaux qu’on retrouve dans les quatorze pages d’exceptions du Bon Usage de Grevisse.
À l’école les enfants se demandent pourquoi. Pourquoi avant et pas après ? Et quand les enfants demandent pourquoi…, on leur explique comment. Comment on écrit, comment on accorde. Pourquoi l’esprit critique s’arrête-t-il au seuil de l’orthographe ? C’est parce tout le monde a appris à ne plus se demander pourquoi. Enfin pas tout le monde.
Les linguistes vous le diront : l’orthographe n’est pas la langue. Elle est l’outil graphique qui permet de transmettre, de retranscrire la langue, comme les partitions servent la musique. Les langues évoluent, leur code graphique devrait, en principe, en faire autant. Il n’a d’ailleurs pas cessé d’évoluer en français, au fil de son histoire. Il serait donc absurde de croire que notre orthographe aurait atteint un degré de perfection intangible. Cela reviendrait à la considérer comme morte, incapable de vivre et d’évoluer. Évitons les faux dilemmes. Il ne s’agit pas de tout changer, de déstabiliser tout le système ou de supprimer ce qui est porteur de sens dans notre orthographe. Il s’agit de maintenir une norme unique, renforcée dans sa cohérence. Il est surprenant en effet de constater le peu de rigueur dont nous faisons preuve envers l’orthographe elle-même.
La plupart des formes ou des règles sont justifiables (donc enseignables), mais d’autres le sont moins, voire pas du tout. Tout dans l’orthographe ne peut avoir la même valeur. Osons l’affirmer : les règles d’accord du participe passé actuelles sont obsolètes et compliquées jusqu’à l’absurde. Seule une forme de paresse intellectuelle peut justifier la défense du statuquo, véritable nivèlement par le bas.
Pourtant, ce statuquo est loin d’être unanime. À la lumière de ses découvertes, la linguistique propose des règles qui améliorent considérablement les accords en les fondant sur le sens et sur l’usage. Ces accords répondent à la double nécessité de traduire la logique de la pensée sans recourir à un nombre invraisemblable d’exceptions.
Concrètement, voici ce que disent ces règles :
Le participe passé avec l’auxiliaire être s’accorde comme un adjectif (c’est-à-dire avec le mot auquel il se rapporte). Avec l’auxiliaire avoir, il ne s’accorde pas.
Si cette formulation un peu cavalière ne vous convient pas, nous vous renvoyons vers la formulation complète que le Conseil de la langue française et de la politique linguistique de la Fédération Wallonie Bruxelles a proposé. Cette approche est également celle du Conseil international de la langue française. Elle est recommandée par André Goosse, successeur de Maurice Grevisse à l’entreprise du Bon Usage, par le groupe de recherche Erofa (Étude pour une rationalisation de l’orthographe française d’aujourd’hui), par la Fédération internationale des professeurs de français, ainsi que sa branche belge, par des membres de l’Académie royale de Belgique et de l’Académie de langue et de littérature françaises de Belgique, ainsi que par les responsables des départements de langue, de littérature et de didactique du français de la plupart des universités francophones. Quant à l’Académie française, rappelons seulement que n’étant pas composée de personnes compétentes en la matière, elle n’est jamais parvenue à produire une grammaire décente et ne peut donc prétendre servir de référence en ce domaine.
L’invariabilité du participe passé avec avoir peut heurter les habitudes de certaines personnes. Pourtant, quand vous écrivez « la formulation que le CLFPL a proposé », rien ne permet, grammaticalement, de considérer cela comme une faute, puisque le participe avec avoir n’a plus valeur d’adjectif. D’ailleurs, l’usage oral s’est fait l’écho de cette logique. L’invariabilité est une tendance en augmentation, bientôt une norme. Et cela s’observe dans tous les milieux, dans tous les médias et dans tous les pays francophones. Parce que cet accord n’est plus porteur de sens. Nous le répétons, il ne s’agit pas de justifier une faute, mais de rappeler que cet usage est légitime et qu’il serait donc injuste de le sanctionner.
Bien souvent, les enseignants savent expliquer comment on accorde, mais pas pourquoi. L’incohérence des règles traditionnelles les empêche de donner du sens à leur enseignement en les contraignant à inculquer plutôt qu’à expliquer. Le temps moyen consacré aux règles actuelles est de 80 heures, pour atteindre un niveau dont tout le monde se plaint. Il serait tellement plus riche de consacrer ce temps à développer du vocabulaire, à apprendre la syntaxe, à gouter la littérature, à comprendre la morphologie ou à explorer l’étymologie, bref, à apprendre à nos enfants tout ce qui permet de maitriser la langue plutôt qu’à faire retenir les parties les plus arbitraires de son code graphique.
Et si la Belgique montrait la voie ? La Fédération Wallonie Bruxelles, en accord avec ses instances linguistiques propres, envisage sérieusement la question.
Compte tenu du fait qu’elles ne sont pas fautives, qu’elles suivent l’usage, qu’elles libèrent du temps scolaire, qu’elles sont recommandées par toutes les instances officielles d’avis sur la langue et les Universités, on est en droit de se demander pourquoi ces règles ne sont pas appliquées.
En effet, on est en droit.
*Nathalie Marchal, Directrice du Service de la langue française (Secrétaire) FWB Anne Catherine Simon – Université catholique de Louvain, Professeure en Linguistique française, Institut Langage & Communication Marc Wilmet, Linguiste, Grammairien. Professeur émérite à l’Université libre de Bruxelles et membre de l’Académie royale de Langue et de Littérature françaises. Michel Francard, linguiste et professeur ordinaire à l’UCL. Anne Dister, linguiste et professeur de linguistique française et générale à l’Université St-Louis à Bruxelles. Bernadette Mouvet, Professeure en sciences de l’éducation, université de Liège, directrice du service de méthodologie des innovations scolaires.
Dan Van Raemdonck, Professeur de linguistique française à l’
Cédrick Fairon, Professeur à l’Université Catholique de Louvain. Directeur du centre de traitement automatique du langage (CENTAL). Membre du
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Orwell avait raison. Toute volonte de manipuler la langue reflete l’intention de manipuler les consciences.
En quoi le fait d'écrire "les pommes que j'ai mangées" serait-il plus compliqué que "les pommes que j'ai mangé"? Où réside la simplification proposée?? Cette règle d'accord s'apprend et s'applique sans difficulté... sauf à être un peu limité (excusez-moi). De plus, ça ne se prononcerait pas exactement de la même manière... sauf à mal parler (idem). Autre exemple : "Les valises que vous avez prises". ...vous viendrait-il en bouche de dire "les valises que vous avez pris" ?? Or donc, la règle proviendrait d'une distraction de copiste médiéval. Bon. Et alors???.... Au sujet du statu quo, j'ai déjà lu pire dans une publication d'experts de la langue française : "statut quo". Authentique...
Merci pour cette contribution de ces respectables sommités de la langue française. Tiens, à propos, je lis : "Seule une forme de paresse intellectuelle peut justifier la défense du statuquo (...).Pourtant, ce statuquo est loin d’être unanime. " Or, je lis dans plusieurs dictionnaires que l'on écrit "statu quo" (en deux mots). Par paresse ou souhait d'illustrer la non-unanimité? (clin d'oeil)
ÉVIDEMMENT (ERREUR DE FRAPPE)
Depuis fin 1990, "statuquo" figure dans les mots soudés par les règles de la nouvelle orthographe. Ce mot ne peut être considéré comme fautif depuis cette époque. Évidement, pour le savoir, il faut se tenir au courant de l'évolution de la langue française... Voir www.orthographe-recommandee.info.