Joachim Lafosse: «Venise est un festival plus doux que Cannes»

Venise Avec un regard sans concession sur le monde, les relations humaines et les sentiments, Joachim Lafosse a, en près de 20 ans de carrière, conquis le monde du cinéma. À Venise, il vient de dévoiler Continuer, son huitième long-métrage. Un festival symbolique pour le réalisateur belge, qui présentait Nue propriété à la Mostra il y a tout juste douze ans… [scald=23834310:sdl_editor_representation] Que représente la Mostra à vos yeux ? C’est un festival plus doux que Cannes. Le contexte est déjà très différent. Peut-être que pour le moment, Venise prend un peu le dessus. Mais il y a aussi un vrai plaisir à venir ici, pour les Américains et pour tout le monde. J’ai l’impression que dans la programmation, ce n’est pas tout à fait le même rapport au cinéma. Cannes a une obligation à répondre à une attente des professionnels français et de la production française qui est particulière. Barbera (le directeur artistique de la Mostra, NDLR) n’a pas ces obligations-là donc on est plus libre. Ça se traduit dans beaucoup d’aspects de la programmation… Si vous voulez me parler de la présence des plates-formes (trois films Netflix sont présentés en compétition, NDLR), j’inviterai aussi les journalistes à rester prudents car la présence de ces plates-formes pourrait impliquer qu’il n’y ait plus de visions réservées à la presse, plus de rencontres avec les réalisateurs… Je suis venu au cinéma car un soir, mon père m’a emmené voir E.T. en salle. Pour moi, voir un film en salle représente encore quelque chose. Évidemment, je suis de la génération numérique et je tourne en numérique depuis mon troisième film. Je sais toute la liberté et les avantages que ça offre aux auteurs. Je ne suis pas contre le progrès mais il y a une forme de capitalisme avec laquelle il faut rester prudent. Vous ne pourriez donc pas imaginer faire un film pour Netflix ? Je veux bien parler des plates-formes mais je ne veux pas entendre parler du mot. On ne se rend pas compte à quel point on leur fait une publicité. Par leur soutien au cinéma, l’Europe, la Belgique, la France… offrent une possibilité d’altérité, de variété de films qu’il faut préserver et défendre. Il y a une hégémonie, un pouvoir et une domination économique qui se dessine. Il faut être prudent. Je suis pour une coexistence des deux. Jamais le cinéma ne sera ringard. Dans vos films, vous avez souvent exploré les relations à travers le prisme d’espaces clos. Avec « Continuer », vous vous servez au contraire des paysages désertiques du Kirghizistan pour aller au plus proche des sentiments. C’était une volonté ? C’est surtout et d’abord une envie d’un cinéaste et de son directeur photo (Jean-François Hensgens, NDLR). Avec une envie d’emmener en voyage et de faire des plans larges, puis serrés. Je fais un cinéma du personnage. Quand j’écris, je sais que mon scénario arrive quand il me semble que la trajectoire des personnages est juste. Et ce sont les personnages qui m’emmènent au bout du scénario. Quand vous emmenez des personnages dans ces décors-là, que vous vous retrouvez à faire des repérages pour chercher les décors justes pendant trois mois dans des montagnes magnifiques avec des lacs splendides, c’est un vrai plaisir de cinéaste. Qui je l’espère sera aussi un plaisir de spectateur. Le cinéma, c’est l’art de la contrainte. La littérature, c’est l’art de la liberté. Une grande scène arrive avec la confrontation avec ce qui surprend, ce qui évidemment n’arrive pas avec un écrivain. Et la contrainte me convient bien. Quand un cheval amène par exemple un acteur à un endroit qu’il n’avait pas prévu, que la caméra tourne, on a la surprise. Les thématiques du film sont complexes… La métaphore du film, c’est le voyage. C’est la confrontation de ces personnages avec la nature, et avec les contraintes que celle-ci engendre. C’est ça qui fait qu’il y a une rencontre entre cette mère et ce fils. Pour un petit garçon, qui deviendra un homme, ça reste compliqué mais fondamental de faire le lien entre la mère et la femme. Les hommes qui y arrivent réussissent à ne pas être jaloux, à accepter la liberté des femmes qu’ils aiment. Je crois que c’est pour ça que j’ai fait ce film. Je pense que si on veut qu’il y ait une altérité et une réelle rencontre entre le féminin et le masculin, cette question du lien entre la mère et la femme, et des hommes qu’elle engendre d’une certaine manière, c’est passionnant. C’est la clé d’énormément de choses. Je pense aussi qu’il serait temps que les hommes acceptent que ce sont les femmes qui leur donnent naissance. Les femmes donnent naissance à tout : au fils, au père. Il n’y a pas de père sans mère. Je ne veux pas être moraliste et jugeant car c’est très difficile. Si la mère désire le père, c’est plus facile pour l’enfant de voir dans sa mère autre chose qu’une mère. Il voit ainsi une femme qui désire un homme et ça lui permettra à son tour, un jour, de désirer une femme. Et ça lui montre qu’une femme n’est pas qu’une mère. C’est le cœur du film. Une autre question qui traverse le film c’est : « Faut-il connaître les rêves de nos mères ? ». Je n’ai pas de réponse mais je serai ravi de partager la question avec le public. Les questions m’intéressent plus que les réponses. « Continuer » sortira chez nous en janvier

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