Assad veut broyer Idlib, le dernier bastion rebelle

La dernière bataille du conflit en Syrie va-t-elle débuter sous peu ? Ce scénario prend un caractère plus imminent chaque jour. Il motive aussi moult responsables dans le monde à émettre des avertissements solennels devant les possibles massacres qui se profilent. La province d’Idlib, au nord-ouest du pays, demeure la seule zone importante entièrement aux mains de la rébellion arabe, non kurde. Proclamant depuis longtemps sa farouche détermination à reconquérir « chaque centimètre carré du sol syrien », le président Bachar el-Assad, qui a repris de nombreux territoires perdus depuis 2016 avec l’aide vitale de la Russie et de l’Iran, masse des troupes depuis plusieurs semaines au sud du territoire. Rurale, la province hébergeait moins d’un million d’habitants avant les effroyables convulsions commencées en 2011. Les observateurs estiment qu’environ trois millions de personnes y résident actuellement, dont une bonne partie sont des déplacés internes. Parmi eux, on trouve des dizaines de milliers d’hommes armés – jusqu’à 100.000 selon certaines sources – issus d’une myriade de groupes rebelles d’obédiences variées et souvent en conflit, dont le plus influent : le mouvement Hayat Tahrir al-Sham (HTS), ex-branche syrienne d’Al-Qaïda. Des djihadistes, donc, même s’ils ne s’en sont jamais pris à l’Occident contrairement à Daesh. [scald=23848820:sdl_editor_representation] Le sort d’Idlib dans les mains de Moscou, Téhéran et Ankara Dans cette affaire, les Occidentaux n’ont plus la main depuis longtemps, ni même les pétromonarques du Golfe. En fait, les deux « parrains » du despote de Damas, la Russie et l’Iran, jouent les rôles prépondérants, mais ils doivent aussi composer avec un troisième acteur majeur, la Turquie, ennemie du régime, qui est présente dans le nord syrien où elle défend ses intérêts. Depuis deux ans, d’ailleurs, Moscou, Téhéran et Ankara tentent de s’entendre entre eux, et les chefs d’Etat se rencontrent régulièrement. Ce 7 septembre, Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdogan seront reçus par Hassan Rohani à Téhéran. De toute évidence, le sort d’Idlib, des civils et des combattants, sera au menu des discussions. Les Turcs veulent à tout prix éviter un assaut du régime. Leur pays a déjà accueilli trois millions et demi de réfugiés syriens, dont la cohabitation avec la population indigène pose des problèmes croissants. La frontière est fermée à double tour, et Erdogan veut prévenir une arrivée massive de nouveaux candidats réfugiés, quelque 800.000 potentiellement, selon l’ONU, que l’armée turque devrait repousser alors qu’ils fuiraient la soldatesque assadienne. « L’âme de la révolution », ultime refuge La population de la province d’Idlib craint le pire. Subissant depuis des années les bombardements de l’armée loyaliste et de l’aviation russe, elle attend la suite avec impuissance. « Idlib n’est pas comme toutes les autres régions, s’exclame un habitant contacté par le journal libanais L’Orient-Le Jour . Elle est aujourd’hui l’âme de la révolution car c’est le dernier bastion. Si Idlib tombe, nous finirons tous au cimetière. » La différence, en tout cas, c’est que les rebelles ne pourront plus, comme ils le firent dans d’autres régions – Homs, Alep, Deraa, les banlieues de Damas, etc. – trouver refuge ailleurs au terme d’accord de cessez-le-feu : Idlib constitue le dernier refuge de ce type, la chute de ce territoire pourrait donc tourner au cauchemar. Appels désespérés Les cris d’alarme se multiplient en ce sens. La Croix-Rouge, l’Unicef, l’ONU, le Vatican, d’importantes ONG ou associations ont lancé des avertissements désespérés. Même Donald Trump s’est fendu d’un tweet ce mardi matin qui masquait mal son impuissance : « Le président de la Syrie Bachar al-Assad ne doit pas attaquer imprudemment la province d’Idlib. Les Russes et les Iraniens commettraient une grave erreur humanitaire en prenant part à cette potentielle tragédie humaine. Des centaines de milliers de personnes pourraient être tuées. Ne laissons pas cela se produire ! » Ces effets de manche ne paraissent pas impressionner les Russes ou les Iraniens. Evoquant « une opération antiterroriste », le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a estimé « nécessaire de liquider cet abcès », tout en « minimisant autant que possible les risques pour la population civile ». Quant à son alter ego iranien, Mohammad Jawad Zarif, il a recouru au même langage, parlant de la nécessité de « nettoyer » la région et d’en « éliminer les terroristes ». Mais les experts les plus optimistes avancent un scénario alternatif qui permettrait à la Turquie d’écarter le spectre d’une arrivée massive de réfugiés : une offensive du régime limitée à l’est du territoire de la province, de manière à « libérer » l’autoroute Alep-Damas qui y passe, un succès de prestige important pour Assad. Les Turcs, eux, gagneraient du temps : ils promettraient de s’occuper des djihadistes de HTS en les forçant à dissoudre leur mouvement dans un futur assez proche. Il est en tout cas limpide que la population syrienne n’en peut plus. S’adressant au journaliste spécialisé Aron Lund pour le site de l’agence Irin, un habitant d’Idlib confiait son désespoir : « J’en ai assez. Je veux vivre dans une situation normale, dans un lieu normal, avec des gens normaux. Tout le monde en a assez de cette guerre. »

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