Daniel Lambo: «Le capitalisme est un système qui met le profit avant l’humain»

Bien que l’amiante soit interdit en Belgique et dans l’Union européenne, la substance nocive, responsable de trois maladies du poumon, est loin d’appartenir au passé. Le cinéaste Daniel Lambo, originaire de Kapelle-op-den-Bos, a baigné toute sa jeunesse dans l’amiante de la société Eternit. Voyant ses proches tomber malades les uns après les autres, il a enquêté jusqu’en Inde où Eternit avait ouvert une filiale. Si la société belge est partie, la production d’amiante à grande échelle continue. Il y a rencontré un avocat qui cherche à faire interdire l’amiante au niveau mondial, mais il leur faut pour cela affronter la puissante industrie de l’amiante. [scald=23856099:sdl_editor_representation] Votre film est un cri d’alarme pour interdire la production d’amiante au niveau mondial ? C’était d’abord un projet personnel. Une confrontation avec mon père qui a travaillé longtemps chez Eternit, qui était syndicaliste, a été atteint du mésothéliome et, pourtant, refusait de parler de l’amiante. Et puis, c’est devenu plus grand. Cette histoire m’a emmené en Inde où une filiale d’Eternit a continué jusqu’en 2002 à en produire. La zone est aujourd’hui l’une des plus grandes décharges d’amiante au monde. J’espérais que mes découvertes en Inde allaient délier les langues, ouvrir les discussions. Mais jusqu’à présent, il y a eu très peu de réponse des gens de mon village. Ressentiez-vous le poids d’Eternit quand vous faisiez ce film ? Il y avait le silence. Je pouvais trouver des gens qui me parlaient, mais dès que je demandais de prendre un nom ou une photo, j’étais confronté à un refus. Mon père aussi refusait de parler devant une caméra. Il avait peur de l’usine. Il disait qu’ils étaient très puissants. Eternit ne produit plus d’amiante, mais continue de faire des toitures. À Kappelle, il y a encore beaucoup de monde qui y travaille. Il y a une sorte de refus d’accepter le passé. Eternit a été forcé d’accepter sa responsabilité par la justice en 2017, mais là aussi, ils ont dit : « D’accord, on accepte la décision de justice, mais d’une certaine manière, nous n’acceptons pas d’être à ce point responsables de toutes ces morts ». Ils n’ont jamais dit : « Pardon ». C’est pourtant ce que les victimes souhaitaient. L’histoire de l’amiante est une histoire belge… Eternit mélangeait l’amiante avec le ciment pour faire un matériau bon marché pour les toitures. Elle est devenue une grosse entreprise parce que les compagnies américaines ont abandonné l’amiante à cause des actions collectives en justice. Cela se fait beaucoup là-bas, comme dans Erin Brockovich. A cause de cela, les compagnies américaines ont fait des calculs et sont arrivés à la conclusion que l’amiante n’était pas profitable. Mais cela n’a jamais été banni aux États-Unis. Cela a été la chance d’Eternit dans les années 70, qui y a vu une opportunité. Ce qu’a toujours dit Eternit, c’est : « On n’a rien fait de mal, on a travaillé en accord avec la loi belge ». [scald=23856100:sdl_editor_representation] Il y a encore énormément de bâtiments en Belgique construits avec de l’amiante. Que peuvent faire les politiques ? Oui, comme le Sheraton à Bruxelles qui a été rénové, mais pas à fond. En Belgique, il y a peut-être des choses à faire dans les écoles dont les toits sont faits en amiante, comme à l’ITELA à Arlon où une affaire est en cours d’instruction. Mais qui va payer ? Le Ministère de l’Éducation ? Du Travail ? Où aller chercher l’argent ? Mais si on sait qu’il y a une possibilité de tomber malade avec une fibre d’amiante, ne faudrait-il pas rénover ? Qu’en est-il de l’amiante dans le monde ? Il y a encore beaucoup d’entreprises qui utilisent de l’amiante dans le monde. Les mines se trouvent principalement en Russie et au Kazakhstan. Les Russes disent : « Si vous interdisez l’amiante, beaucoup de monde va perdre son travail. Et les gens ont besoin de toit pour pas cher ». Oui, mais quel est le prix réel ? En Inde, la zone que j’ai visitée est aujourd’hui l’une des plus grandes décharges d’amiante au monde. Dans les années à venir, il va y avoir d’énormes problèmes d’épidémies dues à l’amiante. Quelle est votre ambition avec ce film ? Mon film parle du système capitaliste sans régulation. Parce que c’est un système qui met le profit avant l’humain. Je ne suis pas contre les entreprises, mais il est important qu’elles acceptent d’avoir des responsabilités, aussi bien dans leur pays que là où elles ouvrent des filiales. Il faut des lois sur la responsabilisation des entreprises, repenser notre modèle économique. On ne peut pas minimiser la santé des gens. C’est le sous-titre personnel que j’ai donné au film : “Le profit avant l’humain”. Il faut stopper cette logique. « Ademloos » de Daniel Lambo sort ce mercredi sur nos écrans.

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