La Une spéciale du «Soir»: «Informer a un coût»
Ce mercredi, les députés européens doivent se prononcer sur le projet de directive « droit d’auteurs ». Un enjeu crucial pour la presse. L’édito de la rédaction.

Lire une information de qualité, c’est la moindre de vos exigences. Vous la livrer, jour après jour en partant d’une page blanche, c’est notre engagement. Notre métier, aussi. Aujourd’hui, cette mission est menacée.
Au moment même où il a été publié sur le site du « Soir », cet article, comme tous les autres de ce journal (et de tous les journaux d’Europe), a été aspiré par des robots. Google, qui ne rétribue pas les producteurs de contenus, valorisera ensuite ces « copier-coller » grâce à la publicité. Les Gafa (Google, Apple, Facebook, Amazon), qui contrôlent 80 % du marché publicitaire, auront, au passage, siphonné vos données personnelles. Et comme 47 % des Européens ne se contentent que des extraits de presse affichés sur les réseaux sociaux, il ne restera que des miettes pour les entreprises de presse, insignifiantes au regard des investissements à consentir pour garantir une information de qualité.
Rééquilibrer le rapport de force
Telle est l’équation qui se présentera, ce mercredi, aux 750 eurodéputés, appelés à se prononcer sur un projet historique de directive sur le droit d’auteur. Ce texte a pour objectif sain de rééquilibrer le rapport de force entre les créateurs et ces multinationales américaines, qui ont bâti une part importante de leur « business model » sur l’agrégation de contenus. En clair : il ouvrira la possibilité, pour les éditeurs, de réclamer une juste rétribution de leur production. Une paille pour Google (10,9 milliards d’euros de bénéfices en 2017) ou pour Facebook (13,8 milliards). Une question de survie, pour la presse, le journalisme. Mais aussi la démocratie.
L’Europe doit saisir sa chance. Elle peut démontrer, aujourd’hui, qu’elle n’a pas vocation à se rabaisser au statut de filiale numérique de la Silicon Valley. Elle a le pouvoir (le devoir) de porter son industrie culturelle et créative (qui pèse 509 milliards et 7,5 % de l’emploi). Et dont les contenus méritent tout autant d’être protégés que les brevets –inviolables, eux ! – des Gafa. Elle peut aussi envoyer un signal clair : la liberté d’expression, et son corollaire, celle de la presse, est sacrée. La museler, en asséchant ses moyens, fera immanquablement vaciller ce socle démocratique.
Ironie du sort, c’est précisément la menace de « censure » qu’aura brandie une armée de lobbyistes, relayée par une alliance improbable entre ultralibéraux, libertaires et populistes, férocement opposés à la directive. Avec l’appui insidieux des Gafa, le débat de fond a été submergé dans une vaste campagne de désinformation, à coups de centaines de milliers de spams, de tweets automatiques, bombardés, parfois, depuis les Etats-Unis ou l’Inde.
Les mythes se sont répandus. Et ancrés dans un inconscient collectif, voire un parlement inconscient, qui, aujourd’hui, semble majoritairement disposé à rejeter ce projet de directive. Soyons clairs : non, personne, et encore moins la presse, ne souhaite « tuer le Web » (sa planche de salut) ou brider les libertés individuelles (son cheval de bataille). La directive « droit d’auteur », qui sera totalement transparente pour l’internaute, n’a pas non plus pour objet absurde d’empêcher quiconque de publier des hyperliens, de brider le droit de citation ou d’assassiner Wikipédia. Colporter ces messages relève de la malhonnêteté. Le jeu ambigu de certains eurodéputés est, à ce titre, interpellant. Que ce projet de directive ne soit pas parfait, certes. De là à en nier les fondamentaux, il y a un pas dangereux que certains ont choisi de franchir.
Patrimoine culturel
Né au XVIIIe siècle sur une idée de Beaumarchais, le droit d’auteur, garantissant une juste rétribution des créateurs, a permis d’accélérer le bouillonnement des idées et le développement d’un patrimoine culturel commun. L’Europe, qui avait pourtant innové en protégeant les données de ses citoyens, reculerait en décidant tout à coup de ne plus protéger les droits de ses créateurs.
L’information de qualité a un coût. Et une valeur. L’offrir sur un plateau aux multinationales américaines signerait son arrêt de mort. Et quand la presse est moribonde, c’est la démocratie qui tousse.
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S'abonnerQuelques règles de bonne conduite avant de réagir16 Commentaires
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Posté par Bachelart Bernard, jeudi 13 septembre 2018, 8:35
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Posté par Gerth Marie Christine, jeudi 13 septembre 2018, 3:46
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Posté par Gerth Marie Christine, jeudi 13 septembre 2018, 3:48
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Posté par Van Obberghen Paul, mercredi 12 septembre 2018, 16:24
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Posté par RAWAY Didier, mercredi 12 septembre 2018, 14:48
Plus de commentairesCe n'est peut-être pas si grave pour la bonne information des citoyens, puisque la presse classique est de plus en plus univoque. Le Soir lui-même est soumis à la seule opinion de l'Otan. Celui qui s'informe via les vidéos publiées sur le système Google "Youtube" aura l'occasion d'entendre des avis divers et autorisés (historiens, démographes, géopolitologues, diplomates, témoins dans le pays en question...) quant un conflit international est à la une de l'actualité, tandis que le lecteur du Soir aura droit à un commentaire rédigé par un russophobe atavique. Volonté des actionnaires ou incapacité des responsables de la rédaction?
Il faudrait apprendre vous exprimer correctement. Je suppose que vous avez voulu écrire: Lire une information de qualité n'est pas la moindre de vos exigences. Sinon cela voudrait dire que vos lecteurs ne veulent pas d'une information de qualité. Rigueur, rigueur, svp!!!
Apprendre à vous exprimer correctement
En tant qu'auteur moi-même (les programmes informatiques sont aussi protégés par les droits d'auteurs), je suis "en ligne" - c'est le cas de le dire - avec cet édito. Je trouve par contre qu'on associe abusivement Apple et Amazon (les 2 "A" de GAFA) à ceux qui "pompent" le contenu des éditeurs pour les redistribuer sur leurs sites et encaisser la publicité qu'ils y incluent, et ceux qui "pompent" les informations personnelles de leurs utilisateurs pour les revendre par ailleurs. Ça n'est certainement pas le cas de Apple: son app "news" rémunèrent les journaux, et donc les auteurs, dont il relaient, avec leur accord préallable, c'est important, le contenu. Et c'est pareil pour tout les contenus couverts par les droits d'auteur commercialiser via les Stores de Apple. Autant que je sache, c'est aussi le cas d'Amazon. Par ailleurs, Apple est un des plus vervents militants contre la commercialisation des données de ses utilisateurs et la protection de leur vie privée. Apple est même en opposition ouverte avec les autorités judiciaires américaines (entre autres) quand il s'agit de donner accès aux données des utilisateurs suspects d'actes criminels ou de terrorisme, argant que donner un accès aux données de ceux-là, c'est potentiellement donner accès aux données de tous les autres. Ainsi, associer Apple et Amazon à Google et Facebook indistinctement dans l'accronyme "GAFA" est donc à mes yeux tout-à-fait abusif, voir même trompeur, sur ces 2 sujets en particulier; pour les 2 en ce qui concerne les droits d'auteurs, et Apple encore plus en ce qui concerne la commercialisation des données de ses utilisateurs. J'espère que le Soir saura faire à l'avenir la différence entre les uns qui ne se soucient en rien de la vie privée de leurs utilisateurs (le "G" et le "F" de GAFA), puisque c'est la matière 1ère de leur succès commercial, ni des droits d'auteurs qu'ils ne rémunèrent pas, et ceux qui défendent ces deux droits en rémunérant les auteurs et protégeant les données de leurs utilisateurs (les 2 "A").
Je prends connaissance de votre article, je peux comprendre votre position, même si je n'adhère pas tout à fait à votre analyse. En effet, parfois à la lecture de certains article, en dehors du groupe ROSSEL ou je suis abonné, je vais chercher le quotidien ou périodique pour disposer du support papier. Ne plus publier sur ces sites ne me permettrait plus d'opérer cette démarche. En effet, via les sites pour un non abonné l'article est parcellaire; et donc pousse le consommateur à découvrir plus.