Pascal Fenaux: «Bien que jalon historique, le processus d’Oslo a échoué»

Vingt-cinq ans après la signature des « accords d’Oslo », qui avaient vu Israéliens et Palestiniens négocier en direct pour la première fois, se reconnaître et entamer un processus de paix charriant d’immenses espoirs, l’heure du bilan a sonné. Nous avons interrogé Pascal Fenaux, sociologue, auteur à La Revue nouvelle, journaliste et traducteur de l’hébreu dans l’hebdomadaire Courrier international depuis dix-huit ans. On entend souvent dire que le processus d’Oslo a échoué, 25 ans plus tard, est-ce aussi votre avis ? Oui, bien qu’il ait indéniablement marqué un jalon historique dans le conflit israélo-palestinien, ce processus a échoué. D’un point de vue palestinien, l’aspiration au retrait des forces d’occupation israéliennes hors des territoires conquis en juin 1967 et la création d’un État de Palestine indépendant ne s’est pas concrétisée. D’un point de vue israélien, la réduction des foyers de « tension » (c’est un euphémisme) entre occupants israéliens et combattants palestiniens ne s’est pas davantage concrétisée. Quelles furent les grosses erreurs de ses protagonistes ? La question ne porte peut-être pas tant sur les erreurs que sur les arrière-pensées ou, pour être plus précis, sur les visions du monde des multiples acteurs au sein de chaque camp. Commençons par le « camp » israélien. En 1993, la société israélienne est aux prises avec de fortes tensions sociales et économiques, qui sont en partie la conséquence de l’immigration en un temps record de plus d’un million de Juifs issus de l’ex-URSS. Du propre aveu de Yossi Beilin, l’un des négociateurs israéliens les plus sincères et les plus engagés dans le processus d’Oslo, la victoire de la gauche et du centre-gauche israéliens lors des élections de 1992 fut un « miracle » politique qui ne se reproduirait pas : dans les colonies israéliennes dites « économiques » (par opposition aux colonies « idéologiques ») et dans les villes pauvres de l’intérieur d’Israël, de nombreux électeurs, traditionnellement séduits par le Likoud, avaient voté pour le Parti travailliste. C’était effectivement une « anomalie ». Ce fut l’une des raisons pour lesquelles rien dans les accords successifs d’application d’Oslo n’allait venir assombrir l’horizon des implantations israéliennes de peuplement et de leurs habitants. Par ailleurs, l’idée de confier la gestion sécuritaire et la répression dans les futurs territoires autonomes palestiniens à des services de sécurité issus de l’OLP répondait au ras-le-bol contagieux des jeunes conscrits israéliens de devoir « servir dans les Territoires », c’est-à-dire, de réprimer des civils. Enfin, parmi les responsables les plus politisés de l’armée israélienne, au premier rang desquels Ehoud Barak, alors d’état-major général et futur éphémère Premier ministre travailliste (1999-2001), de nombreux militaires, qui avaient l’oreille de Yitzhak Rabin, estimaient que les concessions sécuritaires faites à l’OLP par le tandem Rabin-Peres étaient irresponsables et à terme dangereuses pour la sécurité, voire la survie d’un pays juif qui, selon les termes d’Ehoud Barak, n’était jamais qu’une « villa dans une jungle ». Bref, pour les différents acteurs israéliens, l’essentiel était de se dépêtrer le plus possible de la gestion des territoires occupés et la création d’un État palestinien n’était qu’une option parmi d’autres. Le « camp » palestinien n’était pas moins éclaté que l’israélien. L’OLP, une confédération de mouvements nationalistes dominée par le Fatah de Yasser Arafat, devait non seulement aboutir à un plus petit dénominateur commun entre ses organisations constitutives, mais luttait également pour sa survie en tant que structure, suite au gel de l’aide financier des pétromonarchies du Golfe consécutif à la position ambiguë de Yasser Arafat après l’invasion du Koweït par l’Irak. Par ailleurs, l’OLP exilée à Tunis devait faire face une concurrence issue de ses propres rangs : les responsables palestiniens de l’intérieur, c’est-à-dire de Jérusalem, de Cisjordanie et de Gaza. Il s’agissait des acteurs politiques de la première intifada, lesquels étaient très autonomes par rapport à l’OLP de la diaspora, connaissaient parfaitement la société israélienne et ses contradictions, et, c’est important de le préciser, étaient totalement acquis à la reconnaissance du droit à l’existence de l’État d’Israël. Cela n’empêchera pas ces derniers de se retirer peu à peu du processus d’Oslo lorsqu’ils découvriront que la Déclaration de Principes ne prévoit ni le gel de la colonisation, ni la création d’un État de Palestine. Enfin, l’OLP, depuis la première intifada (1988-1992), devait faire face à un autre concurrent, bien plus redoutable et qui allait gagner en puissance : le Hamas (Mouvement de la Résistance islamique), une organisation islamo-nationaliste issue des Frères musulmans recourant à la lutte armée et aux attentats contre les civils. Quels sont les points positifs ? A posteriori, je n’en vois qu’un seul, relatif mais bien réel : l’échange des lettres de reconnaissance mutuelle entre le gouvernement israélien et l’OLP. L’OLP reconnaît explicitement le droit à l’existence de l’État d’Israël (après l’avoir reconnu implicitement en 1988) et l’État d’Israël reconnaît explicitement l’existence du peuple palestinien, mais pas son droit à l’autodétermination dans le cadre d’un État indépendant. Ce déséquilibre dans la reconnaissance mutuelle sera lourd de conséquences, mais il n’en reste pas moins que, depuis 1993, Israël reconnaît l’existence d’un peuple palestinien et qu’aucun gouvernement israélien de droite n’a remis en cause cette reconnaissance. Un documentaire israélien qui vient de sortir pointe la mauvaise foi des Rabin-Peres qui auraient cherché à manipuler les Palestiniens, pour leur accorder le moins possible… Ils ont de toute façon profité de la faiblesse de l’OLP qui a dû céder sur la domination économique, la scission en zones A, B et C, les colonies, etc. Plutôt que de mauvaise foi, je parlerais d’objectifs différents poursuivis par Yitzhak Rabin et Shimon Peres, lesquels certes se contredisaient, mais jouaient au détriment des Palestiniens, rapport de forces oblige. Pour Yitzhak Rabin et l’armée, il s’agissait d’instaurer une séparation radicale entre Israël et la future entité palestinienne, avec un compromis territorial et une frontière claire et définitive, fût-ce après l’annexion des principaux blocs de colonies. Pour Shimon Peres, il n’était en aucun cas question, ni de séparation, ni d’État palestinien, ni de compromis territorial, mais d’un « compromis fonctionnel » sur le plan économique et sur le plan sécuritaire. Le compromis boiteux entre Rabin et Peres a eu pour conséquence qu’Oslo n’organisait pas une autonomie provisoire des territoires occupés palestiniens mais une autonomie palestinienne dans les territoires occupés. Cette nuance n’était pas que cosmétique, d’où cet entrelacs de zones autonomes, semi-autonomes et israéliennes en Cisjordanie et à Gaza. Ces zones israéliennes (la zone C, 61 % de la Cisjordanie) faisaient échapper les colonies et leurs habitants à la juridiction palestinienne. Au moment de la négociation de la Déclaration de Principes, l’OLP « tunisienne » a sous-estimé l’état de faiblesse dans lequel se trouvait Israël, tout comme elle a sous-estimé l’importance concrète des implantations de peuplement, de véritables villes avec leurs électeurs et qu’il serait impossible de démanteler comme de simples bases militaires. [scald=24006485:sdl_editor_representation] Mort ou pas, Oslo n’a pas été dénoncé par l’actuel gouvernement israélien contenant l’extrême droite. Parce que l’accord – gelé – sert ses intérêts ? L’actuel gouvernement israélien serait mal inspiré de dénoncer un processus qui, dans les faits, est mort depuis 2001, avec le déclenchement de la seconde intifada, sa répression féroce et ses attentats-suicides qui ont durablement terrorisé la population israélienne. Le paradoxe est que, même mort, Oslo a laissé un legs : la reconnaissance du peuple palestinien, avec un symbole : l’Autorité palestinienne. Cette institution venue remplacer le gouvernement militaire et l’administration civile israélienne dans les zones autonomes. Ainsi, c’est bien avec des forces de sécurité émanant d’une entité explicitement palestinienne que collaborent les services de sécurité israéliens. Si l’accord n’est pas mort, son esprit – paix dans la coexistence pacifique – semble bien disparu… Dans l’opinion publique palestinienne des territoires occupés, il n’est pas sûr que cet esprit ait disparu. Par contre, dans l’opinion israélienne, les contrecoups sanglants de la seconde intifada ont laissé une marque indélébile et la coexistence pacifique a fait place à la séparation radicale concrétisée par le mur de séparation édifié dans les territoires occupés. Vous diriez comme certains que « les colons ont gagné » ? La frange idéologique des colons a gagné. Elle s’est révélée être un groupe de pression redoutablement efficace durant la période d’Oslo (1993-2001) et, depuis une décennie, elle est représentée par un parti à la détermination idéologique sans faille : HaBayit HaYehoudi, Le Foyer juif, qui pèse de tout son poids dans l’actuel gouvernement Netanyahou.

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