Schild en Vrienden? «Des fascistes de salon»

Ce pays reste une expérience particulière au quotidien. Les téléspectateurs francophones ont ainsi vu hier soir en prime time sur la RTBF le reportage de l’émission « Pano » de la VRT révélant les dérives de membres du groupe « Schild & Vrienden », avec une semaine de retard sur les téléspectateurs flamands. Ils avaient certes pris connaissance d’extraits mais pour ceux qui ne sont pas suffisamment bilingues, c’est hier soir et hier soir seulement que le « choc » s’est produit à la vision de ces images et « blagues » sexistes, racistes et antisémites échangées dans une zone secrète du site de ce groupuscule. On imagine leur trouble et leur envie d’en savoir plus. Voici donc quelques éléments d’analyse émis au nord du pays et qui permettent de prendre le pouls de ce qui se dit et se pense chez quelques intellectuels flamands sur le sujet. Le plus interrogé d’entre eux fut Bruno De Wever et pour cause, il est historien, professeur à l’université de Gand – que fréquentent ces jeunes gens –, l’un des meilleurs spécialistes du nationalisme flamand mais aussi le frère de Bart De Wever, président d’une N-VA dont on a découvert qu’elle était un pôle d’attraction pour nombre de membres de S & V. « C’est du vieux vin dans de nouveaux flacons. C’est la meilleure qualification que je peux donner de ce groupe », relativisait-il dans De Standaard. « Les nouveaux flacons, ce sont les médias sociaux, l’internet et la globalisation. Mais le vin, je ne le connais que trop bien. Regardez l’emprise de l’extrême droite dans les années 60 et 70. On y trouve le même côté rance, les mêmes blagues sur l’Holocauste. L’idiotie qui est aujourd’hui débitée chez « Schild en Vrienden », était autrefois réservée aux clubs locaux de l’extrême droite. Quand j’allais au pèlerinage de l’Yser, je voyais les néofascistes et les nazis de l’Europe occidentale réunis. Aujourd’hui, l’Europe de l’Est est devenue aussi le terrain de jeu de l’extrême droite et leur réseau devient plus grand grâce à l’internet et aux vols d’avion bon marché. » L’historien se refuse à voir un danger aigu dans ce groupe où il décèle surtout beaucoup d’arrogance et de méchanceté. « Ce sont des fascistes de salon. Et quand la ligne rouge menace d’être franchie, la justice intervient ». Quand De Standaard lui demande s’il ne trouve pas que la réaction de Théo Francken (N-VA) sur les antennes de la VRT et de la RTBF – « Ce n’est pas ma Flandre » –, n’était pas trop « facile », Bruno De Wever a cette réponse : « C’est une question difficile. (il réfléchit longuement). Dans le combat pour gagner l’instinct de l’électeur flamand, Francken use d’un discours qui parle à ce club. S’il mérite la critique, c’est plus pour sa rhétorique que pour sa politique. Je ne suis pas un expert en migration. Mais personnellement, je pense que l’Europe a le devoir moral de gérer la migration de manière plus généreuse, sans détruire le système social. Mais je suis de gauche et il n’est pas interdit d’être de droite. » Un autre point de vue très intéressant, car différent, était livré dans le « Tijd » par Christophe Busch, le directeur de la Kazerne Dossin à Malines, spécialisé en ces matières. S’il reconnaissait la nécessité d’appréhender les leaders de ce groupe et d’endiguer le mouvement, il appelait ainsi à ne pas « démoniser », à entrer en dialogue, et à dépolitiser le problème. Accuser tel ou tel parti ne produit selon Bush que des perdants et conduit à plus de radicalisation. Le politologue Carl Devos (de l’Université de Gand lui aussi) embrayait dans De Morgen sur cette déclaration pour dénoncer la transformation en chasse à l’homme, de la condamnation du message des membres de S&V. Des messages de haine et des menaces ont ainsi été reçus par certains d’entre eux, parce qu’ils étaient présents sur une photo ou ont participé à une activité. Et de rappeler le cas de Dylan Vandersnickt, membre de S&V et ex-président des Jeunes N-VA qui s’était suicidé e octobre 2017 après avoir été mis sous haute pression pour avoir posté une caricature montrant des jeunes étudiantes de gauche violées et exécutées. « Une mort qui donne à réfléchir », écrit Carl Devos, qui appelle « à juger les membres de S en V sur des faits et non sur des rumeurs. L’organisation n’est (provisoirement) pas interdite, et chaque membre ne s’est pas engagé de la même façon, n’a pas prononcé les mêmes paroles. » Le mot de la fin revient à Rik Pinxten, anthropologue et professeur émérite de l’U-Gent, de retour d’un symposium organisé par la faculté de théologie de la très renommée Université Humboldt à Berlin. Dans une carte blanche publiée ce mercredi dans De Standaard, il lance un appel : « On constate une radicalisation de la langue et des pensées du monde politique en Europe (…) Le reportage de l’émission Pano est un wake-up call pour le monde politique, en premier lieu à droite. Arrêtez de projeter de l’angoisse, n’utilisez pas de paroles insultantes et respectez les fondements de la gestion démocratique : l’autre est un opposant temporaire, mais vous gouvernez par définition pour tous les citoyens d’un pays, pas seulement pour ceux de votre arrière-banc. “Nous allons purifier nos rangs” : cela n’existe pas. Le moment est venu de diffuser une éducation citoyenne, qui doit être inspirée par le respect réciproque envers les êtres humains, parce que ce sont des êtres humains. »

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