Destatte: «Aujourd’hui, les citoyens incarnent la Wallonie»

Philippe Destatte est le directeur général de l’Institut Destrée et à ce titre un observateur privilégié et averti de la société wallonne et de ses évolutions démocratiques. [scald=24059634:sdl_editor_representation] Partagez-vous notre constat : il est bien difficile d’identifier la ou les personnes qui incarnent la Wallonie comme territoire humain politique cohérent et homogène ? Il est vrai qu’à une époque, la Wallonie a été incarnée par des « grands chefs », je songe notamment à André Renard, mais aussi à certains ministres-présidents. Mais les temps ont changé. Aujourd’hui, les citoyens sont de plus en plus en capacité de comprendre le monde qui les entoure et donc d’y jouer un rôle. Ils sont d’autant plus méfiants à l’égard des politiques et décidés à s’investir que les chiffres montrent que la situation ne s’est pas fondamentalement améliorée depuis plusieurs décennies. Comme le dit Willy Borsus, « le passé a échoué ». Devant cette situation, je dirais ceci : aujourd’hui, ce sont les citoyens qui incarnent la Wallonie ! Comment cela ? Je songe, par exemple, à Hélène Bodart, qui travaille désormais à l’institut Destrée. Elle était rapporteuse du panel citoyen organisé par le parlement wallon sur la jeunesse. Elle a une vision de la Wallonie, elle essaye de la faire fonctionner à son niveau. Des gens comme cela, il y en a beaucoup. C’est une chance pour la Wallonie. En conséquence, ce serait la fin du politique omnipotent et incarnation du pouvoir ? Politiques et citoyens sont complémentaires. Trop souvent, les politiques tiennent des discours en décalage avec les réalités vécues par la population. Ils ne sont pas suffisamment à l’écoute. Je constate avec plaisir les efforts d’André Antoine et du parlement de Wallonie pour s’ouvrir aux citoyens. Le ministre-président Borsus est lui aussi à l’écoute, comme d’autres avant lui, Robert Collignon ou Elio Di Rupo. Le pouvoir doit avancer avec les gens, pas contre eux. Dans une Wallonie qui se reconstruit, les acteurs économiques n’ont-ils pas vocation eux aussi à incarner leur région ? C’est évident. Et ils sont très actifs et très visibles. Voyez le dynamisme de l’Union wallonne des entreprises, de la Chambre de commerce wallonne et du Cercle de Wallonie. Les gens qui participent à ces instances sont souvent incroyables de dynamisme. Je pense à ces responsables qui participent aux travaux du Collège régional de prospective. Ils en sont à leur 49e séminaire, le samedi toute la journée à discuter de l’avenir de la Wallonie. Le mouvement wallon tel qu’on l’a connu est mort. Ce sont toutes ces instances qui sont aujourd’hui porteuses de solutions parce que les entreprises créent de l’activité. Ce qui était d’ailleurs le but premier d’André Renard à son époque. Et les intellectuels, les artistes ? On ne les entend pas souvent se réclamer de la Wallonie… Si on leur demande s’ils incarnent la Wallonie, ils répondront sans doute par la négative. Mais ce n’est pas étonnant : compétente en matière culturelle, la Fédération Wallonie-Bruxelles reste un écran qui empêche de mettre la Wallonie en évidence. Je suis depuis toujours partisan de la régionalisation de la culture. Créer une direction régionale des affaires culturelles, comme il en existe dans toutes les régions françaises, serait déjà une avancée. Incarner la Wallonie implique aussi d’aller au-delà des baronnies, de dépasser les clivages sous-régionaux qui persistent ? Prenons un exemple. En Wallonie existent des métropoles autoproclamées. Mais qu’est-ce que c’est une métropole ? C’est un territoire qui entretient des connexions qui lui permettent de participer à l’économie mondiale. A Charleroi, il y a une ébauche de métropole, je vous l’accorde. Mais la seule métropole wallonne en réalité, c’est le Brabant wallon où les grandes entreprises pharmaceutiques sont en lien direct avec l’économie planétaire. Peu importe en réalité : l’objectif doit être de faire de toute la Wallonie une métropole. Dans son domaine par exemple, Libramont s’inscrit dans une réalité mondiale. Il faut bien sûr équiper les villes pour les mettre au meilleur niveau possible, mais l’avenir de la Wallonie ne dépendra pas exclusivement d’elles. Je vis à Houyet et moi aussi, je veux pouvoir travailler dans de bonnes conditions avec le monde entier.

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