Une ville forte, laboratoire de la société et de la politique belge

Anvers n’est pas la Flandre mais Anvers fascine la Flandre et au-delà. Voici pourquoi. Parce que c’est la commune la plus peuplée du royaume. Parmi ses 500.000 habitants, 173 nationalités cohabitent. C’est à peine six de moins qu’à Bruxelles. 50.000 personnes sont nées ou sont venues s’y installer ces cinq dernières années. On en attend encore plus dans les cinq prochaines. [scald=24061328:sdl_editor_representation] Près d’un Anversois sur deux a des origines étrangères ou est étranger. « Cette ville a toujours été faite par l’immigration, explique le sociologue Stéphane Bouquin. L’Anversois typique a une identité urbaine assez forte. Il a la réputation d’être arrogant, têtu, râleur et un peu rebelle. C’est une identité multiple. Elle est influencée par le fait que déjà au Moyen Âge les religions protestante, chrétienne et les libertins (la franc-maçonnerie, les guildes…) se côtoyaient. » Parce que sa sociologie est en constante évolution. On estime que deux millions de migrants sont passés par Anvers au XIXe siècle. Certains sont restés et ont redonné à la ville le statut de métropole internationale qu’elle avait perdu pendant les deux siècles où l’Escaut avait été fermé. Grâce au commerce maritime, elle connaît la prospérité en son centre, jusqu’à la fin des années septante. « Au début des années quatre-vingt, le port s’est totalement retiré de la ville parce que les bateaux étaient devenus trop gros, raconte Stéphane Bouquin. Résultat, au lieu d’avoir des marins qui passent et viennent dans une ville qui respire par son port, Anvers s’est “provincialisée”. » Parce que les nouvelles tendances politiques peuvent y éclore. Parallèlement à la réduction de la place du port dans la ville, les communautés d’origines turques et maghrébines se sont élargies. Une partie des Africains de Bruxelles est aussi venue s’installer dans le centre d’Anvers. Beaucoup d’anciens habitants ont alors considéré que leur quartier se dégradait. Ils ont vendu leur maison ou leur appartement et se sont enfuis en périphérie de la ville. Ces déçus de la mondialisation deviendront le terreau électoral du Vlaams Block dans les années nonante, jusqu’au duel de 2006 où, devenu Belang, le parti était passé à quelques voix du maïorat. Aujourd’hui, la majorité d’entre eux vote N-VA. Notez que si la sociologie d’Anvers change, sa composition influence encore peu son fonctionnement. « Avoir une majorité de la population avec des origines étrangères ne se traduit pas automatiquement par une majorité au niveau politique, confirme Stijn Oosterlynck, sociologue à l’université d’Anvers. Les Anversois “autochtones” dominent encore car ils ont les clés de la ville, de la police, des institutions culturelles, de l’enseignement. Il faut voir si certaines communautés vont former des blocs afin de soutenir des partis qui répondent à leur exigence. » Lors des élections de 2012, moins de 10 % des étrangers ayant le droit de vote avaient fait la démarche de s’inscrire. La situation a empiré depuis. Tant au niveau des Européens que des citoyens non-issus de l’Union, les taux d’inscriptions sont en baisse, dépassant timidement la barre des 8 %. Les discours clivants de Bart De Wever à l’encontre des « Berbères » et des musulmans y sont peut-être pour quelque chose. [scald=24061039:sdl_editor_representation] Pourtant s’ils décidaient tous de se mobiliser, les électeurs étrangers ou d’origines étrangères représenteraient déjà plus d’un tiers des voix. De quoi faire pencher la balance de l’autre côté du spectre politique. Même si ces électeurs sont un groupe hétérogène, ils ne devraient pas, a priori, être séduits par la vision de la société peu inclusive de la N-VA et encore moins du Vlaams Belang. Parce que c’est l’un des moteurs économiques principaux de la Belgique. Malgré une diminution de sa valeur ajoutée directe estimée à 183 millions d’euros en 2017, le port et toute l’industrie qui gravite autour représentent toujours près 150.000 emplois directs et indirects. Ajoutez-y les quelque 50 milliards de dollars de diamants polis exportés annuellement, et vous comprendrez pourquoi elle peut se targuer d’être la seule ville flamande à avoir pu rembourser sa dette au gouvernement. [scald=24061643:sdl_editor_representation] Parce que sa vie culturelle est bouillonnante. « Anvers a la réputation d’être à l’avant-garde alors que c’est en réalité une ville avec une mentalité un peu provinciale et conservatrice », décrypte le politologue anversois Dave Sinardet. C’est pourtant là-bas qu’ont émergé des artistes provocateurs connus internationalement comme l’écrivain Tom Lanoye, Jan Fabre (actuellement sous le coup d’accusations de d’agressions sexuelles) ou encore le sculpteur Panamarenko. Anvers donne aussi le (bon) ton dans le domaine de la mode. Autant de raisons qui expliquent l’attention dont elle fait l’objet, et pas uniquement au moment des élections.

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