Un manifeste pour «Ne plus faire un théâtre du toujours plus»

Que répondez-vous à ceux qui pointent le côté dogmatique du Manifeste ? Peu de gens ont compris que ça n’a rien à voir avec l’esthétique, mais plutôt avec la technique. Je veux m’éloigner d’un théâtre qui consiste à rajouter toujours plus. Avec Lenin (NDLR : pièce montée à la Schaubühne à Berlin), j’en étais arrivé à avoir 14 acteurs sur un plateau roulant avec des enfants, plusieurs caméras, des centaines de lumières. J’ai eu l’impression d’être arrivé au bout de ce système, où on n’a plus le temps de faire de la recherche parce qu’on est trop occupé à régler la lumière pour les caméras. On n’a plus le temps de chercher de nouveaux acteurs parce qu’on est dans le détail, parce que tout coûte, parce que tu as besoin d’une vingtaine de techniciens. C’est un système dans lequel tu ne peux pas inviter des non-professionnels parce qu’ils n’arriveront à pas faire l’Orestie en six semaines. Et puis, c’est tellement gros que tu ne peux plus tourner. Au bout d’un moment, je me suis senti bloqué par tout ça ! Le point 1 du Manifeste déclare : « On n’en est plus à représenter le monde, il faut le changer. » Mais, si retentissant soit-il, un spectacle ne touche jamais que quelques centaines de spectateurs bobos des grandes villes. Croyez-vous vraiment changer le monde ? Non, le théâtre ne peut pas changer le monde mais c’est un endroit symbolique où tu pratiques une chose qui devrait être pratiquée de manière généralisée. Ce n’est pas parce qu’un homme joue Dieu et qu’une mère de djihadiste joue la Vierge Marie que ça va tout changer et que tout le monde va dire : ah oui, on comprend le djihadiste. Mais c’est un acte symbolique. Comme dans le Tribunal sur le Congo qui réunissait une trentaine de témoins parce qu’il n’y avait pas eu de justice réelle. Ça ne va pas changer l’ordre du monde mais on dit : voilà, c’est comme ça qu’on pourrait faire. Aller sur scène faire une petite lecture pour dire que la justice au Congo n’existe pas, ça ne suffit pas. Les gens ont besoin de voir ce que c’est, ce que ça pourrait être. Le point 6 du Manifeste impose au moins deux langues parlées sur scène. C’est une manière de casser les frontières linguistiques ? Bien sûr, ça me paraît logique en Belgique. Je suis par exemple en contact avec Fabrice Murgia (du Théâtre national, NDLR) ou Serge Rangoni (du Théâtre de Liège, NDLR). Au NTGEnt, il y aura toujours plusieurs langues sur scène dont le français mais pas systématiquement. Les acteurs viendront du monde entier et parleront leur langue : le syrien, le congolais, le français, le néerlandais (NDLR : notamment avec Faustin Linyekula et Luk Perceval qui revisiteront tous deux l’histoire du Congo et de la Belgique). Dans deux mois, nous partons à Mossoul pour travailler avec des acteurs syriens pour monter une Orestie transposée à notre époque. Il ne s’agit pas de faire du théâtre documentaire réaliste, je veux revenir à cette pensée mythologique grecque qui considère que c’est le monde entier qui est sur scène.

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