Poussée de fièvre autour de la fuite de Salah Abdeslam

La fuite de Salah Abdeslam a provoqué, mercredi, un début d’emballement politico-médiatique. Tout a commencé à l’aube, lorsque le Laatste Nieuws a posé la question de savoir si l’interdiction de perquisition entre 22 heures et 5 heures du matin, en vigueur en Belgique, n’avait pas permis à Abdeslam de s’enfuir d’une maison de Molenbeek, où il aurait pu être retranché. Une question suscitée par un reportage de VTM, devant être diffusé mercredi soir, que le Laatste Nieuws a vu en avant-première, et où le ministre de la Justice, Koen Geens, s’exprimait. Très vite, la question posée est devenue une certitude dans bon nombre de médias belges et français : Abdeslam s’est enfui à cause de la loi belge. A tel point que, fait rare, le parquet a contredit le ministre de la Justice. « Nous avions une information indiquant que Salah Abdeslam pouvait ou avait pu se trouver dans l’habitation en question. Une perquisition a donc été effectuée et n’a rien livré. Affirmer qu’on n’a pas pu l’arrêter parce que nous ne pouvions pas effectuer de perquisitions entre 21h00 et 05h00 et qu’il s’est échappé durant cette tranche horaire, est une extrapolation. » Contacté par nos soins, le cabinet du ministre Geens relativise. « D’abord, le ministre n’a pas dit que Salah Abdeslam était dans l’immeuble, il a dit qu’il y avait des indications qu’il s’y trouvait. Ensuite, le ministre n’a pas fait de lien entre la limitation des heures de perquisition et la possible fuite. Il a dit que l’interdiction des perquisitions entre 21 à 5 heures du matin n’avait pas aidé. » Pour le cabinet, le montage de VTM a créé la confusion, tout comme le fait que les journalistes francophones, contrairement à leurs collègues flamands, n’ont pas vu toute l’émission en avant-première. « Il s’agit d’un extrait de 45 minutes d’interview. » Sur France 2, à 20 heures, le ministre de la Justice crédibilise la version de son cabinet. « Nos services nous ont indiqué qu’il n’était pas du tout exclu qu’il soit présent là, et que les heures entre lesquelles on ne peut pas perquisitionner, entre 21 heures et 5 heures du matin, n’ont pas nécessairement aidé. » En fin de soirée, l’émission de VTM est diffusée. Le lien est beaucoup plus direct, même si effectivement, le ministre n’a jamais dit qu’Abdeslam était dans les lieux. « Cela a été un gros handicap pour nous de ne pouvoir commencer à perquisitionner qu’à 10 heures du matin. Je pense que le bureau du procureur fédéral aurait préféré pouvoir intervenir plus tôt cette nuit-là. » Alors, propos anodin ou bourde de communication ? Le cabinet du ministre Geens indique que le ministre n’a dit que ce qui se savait déjà : Abdeslam a peut-être fui. D’autres, au fédéral, parlent de maladresse de Koen Geens. « Il plaide pour l’élargissement des heures de perquisition depuis juillet, et a profité de l’occasion pour pousser maladroitement son dossier. » D’autres estiment que les médias s’emballent, mais que la vraie info, c’est que la police belge a peut-être laissé filer Abdeslam une deuxième fois. « Et ça, c’est problématique pour la police, le renseignement et le gouvernement », concède un conseiller. Au gouvernement, personne ne nie que si c’est vrai, la police belge, le fédéral et la réputation du pays seraient secouées. Et on prépare déjà ses arguments. « La meilleure police du monde ne peut pas tout faire contre une personne qui bénéficie manifestement de complicités. C’est un jeu du chat et de la souris, et nous ne sommes pas en face de quelqu’un qui agit seul. », dit une source proche du gouvernement. La polémique politico-policière n’est pas encore vraiment à l’ordre du jour, devant les conditionnels à la fois sur la présence d’Abdeslam dans la maison en question, et en raison de l’absence de preuve que la loi belge a permis la fuite. Mais l’opposition CDH demande déjà des comptes. « Koen Geens, comme d’ailleurs Jan Jambon, doivent venir s’expliquer », a déclaré Benoît Lutgen, président du CDH à Sudpresse. « Quelles instructions ont été données pour suivre les 80 personnes fichées depuis le mois de juin ? Quels moyens concrets ont été mis en œuvre ? Quels sont les dispositifs pris pour accompagner les perquisitions ? Depuis un mois, ces questions légitimes restent sans réponse ! C’est particulièrement grave dans un Etat démocratique ! A fortiori quand le ministre de l’Intérieur distille sur des plateaux TV bien choisis certaines informations tout en se réfugiant derrière le secret ou la sécurité lorsque cela ne l’arrange plus ! »

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