Lettre ouverte à Joëlle Milquet

Dans l’enseignement communal et provincial, un pouvoir organisateur, qu’est-ce que c’est ? Pouvoir = pouvoir local = commune, province, Commission communautaire francophone Organisateur = qui organise un ou plusieurs établissement(s) d’enseignement Pour rappel, les pouvoirs publics locaux doivent organiser des établissements d’enseignement là où des demandes se font sentir afin d’offrir aux citoyens-parents une offre de proximité (Arrêté royal de 57). Une offre scolaire de proximité qui de plus, selon le principe de neutralité, accueille les élèves de toutes obédiences philosophiques (Pacte scolaire 59). Cette obligation d’organisation est assortie de responsabilités et de missions à propos desquelles les pouvoirs organisateurs doivent rendre des comptes auprès du pouvoir régulateur. Le rapport Mac Kinsey diffusé à l’issue de la première phase des travaux du Pacte pour un enseignement d’excellence l’a rappelé : notre système éducatif sous-performe et induit une dualisation des écoles tous réseaux d’enseignement confondus. Pour juguler cette triste situation, plusieurs pistes ont été évoquées, notamment au regard de ce qui se fait dans les pays qui performent aux études internationales en matière d’enseignement. Notons entre autres : un système conçu pour offrir à chaque élève le meilleur enseignement possible en vue d’assurer leur réussite, le non redoublement, le développement du leadership des directeurs, le renforcement et l’allongement du dispositif de la formation initiale et, partant, l’attraction de personnes hautement compétentes pour les métiers de l’enseignement, mais aussi l’autonomie et la responsabilisation des équipes pédagogiques car, c’est d’abord dans les classes que se produisent les résultats. Le CECP, (pour rappel premier réseau dans le fondamental) est la Fédération des communes et provinces organisant de l’enseignement maternel et primaire, ordinaire et spécialisé, secondaire spécialisé et secondaire artistique à horaire réduite (académies, conservatoires communaux), il défend la mise en place de mécanismes visant à assurer que les écoles dispensent un enseignement de qualité à chacun. Un de ces mécanismes est la mise en place d’un dispositif de pilotage du système cohérent et impliquant chaque acteur, du pouvoir régulateur jusqu’à l’école, en fonction de ses rôles et missions (Mémorandum du CECP mai 2014). Un des constats mis en exergue par le Rapport Mac Kinsey est la non réussite des réformes imposées « par le haut ». A ce sujet, nous nous sommes tous réjouis du processus participatif annoncé comme méthode de travail pour écrire le Pacte pour un Enseignement d’Excellence. En terme de pilotage, cela signifie que le dispositif doit être réfléchi et construit avec et par l’ensemble des acteurs. Le pouvoir régulateur doit légitimement fixer des objectifs généraux à l’échelle du système, organiser les conditions de l’évaluation des dispositifs mis en œuvre, négocier leurs ajustements éventuels et, in fine, évaluer leur efficacité en terme de progrès en matière de qualité de l’enseignement. Ce sont les bases d’une bonne gouvernance assumée par tous les acteurs quel que soit leur niveau d’intervention. C’est ce qui se discute actuellement dans le Groupe de travail dédicacé à la gouvernance du système, et dont, pour rappel, les travaux se termineront en juin 2016. Alors que des représentants de toutes les instances impliquées dans le processus du Pacte sont occupés à construire un projet de dispositif de pilotage, tel que les y invite le cahier des charges du Groupe de travail, la Ministre a proposé, dans le cadre d’un avant-projet de décret « fourre-tout », deux articles jetant les bases d’un dispositif de pilotage très partiel, non abouti ! Outre le fait que la méthode retenue par la Ministre suscite pour le moins l’étonnement puisqu’elle court-circuite la démarche participative, force est de constater que le dispositif proposé est à ce point incomplet qu’il empêche toute lecture globale, cohérente voire bienveillante ! A ce stade, trop de modalités « essentielles » restent méconnues, comme par exemple les rôles et articulations des différents acteurs clés du système scolaire. Une initiative décrétale aussi incomplète ne peut qu’inviter à la méfiance et qu’empêcher tout soutien ! Des plans de pilotage identifiant les stratégies et des objectifs chiffrés à atteindre devraient être rédigés par les établissements pour le 1er septembre 2017. Ensuite, l’inspection et le Gouvernement remettraient un avis et pourraient, le cas échéant, imposer une adaptation. On parle de près de 3000 écoles… Qui va assurer pour le Gouvernement, dans un délai aussi court, ce travail conséquent qui nécessite une expertise d’audit pédagogique, organisationnel, sociologique, relationnel relativement pointue ? En parlant d’objectifs chiffrés, pour les établissements dont les performances présenteront un écart significatif de performance en dessous de la moyenne, c’est le Gouvernement qui réaliserait un diagnostic, fixerait des objectifs à intégrer dans le plan de pilotage et élaborerait un plan d’accompagnement. Quelle déresponsabilisation des acteurs ! La Ministre soutient le contraire mais le texte en projet ne prévoit qu’une concertation préalable des Pouvoirs organisateurs ! Ce n’est pas comme cela que j’envisage l’implication des acteurs locaux dans des politiques aussi essentielles. De quelles écoles parle-t-on ? De combien d’écoles parle-t-on ? Le texte annonce dans chaque paragraphe « selon les modalités prévues par le Gouvernement ». Alors, oui, dans ces conditions, les responsables de l’enseignement officiel subventionné se sentent dépossédés de leurs responsabilités. Si, comme la Ministre l’a annoncé par surprise sur les chaines de télévision ce dimanche, on parle de 2% des écoles, autrement dit celles dans lesquelles les conditions d’enseignement ne sont plus remplies, on est tous d’accord. Si on approche les 50% des établissements, là, le Gouvernement de la Fédération Wallonie Bruxelles s’octroie le rôle des pouvoirs organisateurs et devient Super PO au-delà du réseau officiel. En outre, on ne sait encire rien à ce stade de l’écart significatif si difficile à établir selon les travaux menés au sein de la commission de pilotage. A quoi la Ministre arriverait-elle en mettant en place un dispositif pour lequel ses services auraient beaucoup de mal à assurer un suivi de qualité dans des délais raisonnables. A quoi arriverait-elle en déresponsabilisant les enseignants, les directions et les pouvoirs organisateurs ? Pour moi, c’est la chronique d’un nouvel échec annoncé. Les acteurs qui font l’école sont las des réformes qui ne marchent pas. On ne peut plus se tromper ! Les enjeux sont trop importants ! Il faut donc prendre le temps de la réflexion et s’accorder le temps nécessaire pour construire un dispositif équilibré, complet et cohérent, un dispositif qui assurera que tous les acteurs disposant de marges de manœuvres accrues, mais aussi responsabilisés, pourront rendre des comptes utilement en faveur d’un réel renforcement de la qualité de l’enseignement. Pour ce faire, j’invite la Ministre à plus de sagesse et de patience et à attendre le rapport qui sortira du Groupe de travail qui planche actuellement sur cette thématique. Je ne doute pas que le travail réalisé par les membres de ce groupe permettra de dégager un scénario de pilotage des établissements aussi ambitieux qu’efficace. Enfin, il est utile de rappeler au passage que non, « tout le monde » ne râle pas dans l’enseignement. Il y a simplement par respect de la réglementation, des accords officiels, des chantiers de rénovation en cours, des limites à ne pas dépasser, trop souvent. Depuis fin de la dernière législature, l’enseignement communal a notamment du encaisser : - la distribution arbitraire et insuffisante d’aides administratives aux directeurs (Bruxelles n’étant même pas concernée), - des mesures d’économie qui ne visaient pas une optimalisation des ressources - un accord sectoriel creux alors que de nombreuses demandes étaient non coûtantes et visaient la qualité de l’action des acteurs, - l’EPA sans moyens complémentaires, l’élaboration des référentiels de compétences philosophie et citoyenneté et les programmes y afférents (pour le 1er septembre 2016 !). Nous avons toujours annoncé à la Ministre que nous serions un partenaire ferme mais loyal. Privilégiant un dialogue sain et une analyse professionnelle des problématiques afin d’apporter notre soutien à la veille d’une nécessaire grande réforme de l’école. Force est de constater que malgré le sérieux de nos démarches, interpellations et propositions, l’enseignement officiel subventionné est lésé lors de chaque décision. Est-il encore utile de jouer dans une pièce où le metteur en scène ne se préoccupe pas des acteurs qui sont en scène? Force est de constater que certains sujets, et singulièrement ceux qui méritent débat, semblent s’écrire ailleurs. L’enseignement communal n’a pas attendu le Pacte pour se lancer dans des chantiers d’excellence ; révision de tous ses programmes d’études, recentrage sur l’accompagnement des directeurs, l’accompagnement des pouvoirs organisateurs dans le pilotage et l’évaluation de la qualité de leur enseignement, évolution du dispositif de la formation continuée afin de répondre aux besoins des équipes pédagogiques et leur permettre de faire évoluer leurs pratiques en vue d’améliorer la réussite des élèves, mais encore différents serveurs et plateformes développés dans le cadre de la transition numérique opérée par le réseau. Puisse la trêve de Noël ramener les uns et les autres à cet objectif noble qu’est le pacte pour un enseignement d’excellence. Ce serait une bien drôle de chute que chacun ne claque la porte.

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